Trois ans après la missive du président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, adressée au roi Mohammed VI, qui avait mis un terme à une crise diplomatique majeure entre les deux pays, l'exécutif espagnol revendique une relation «extraordinaire» et «inédite». Cette annonce s'est traduite par un élargissement de la coopération sécuritaire, diplomatique et migratoire. Un basculement stratégique assumé En mars 2022, Rabat révélait le contenu d'une lettre dans laquelle Pedro Sánchez qualifiait le plan d'autonomie proposé par le Maroc en 2007 de «base la plus sérieuse, crédible et réaliste» pour résoudre la question du Sahara. Cette déclaration marquait un alignement explicite de l'Espagne sur la position marocaine dans le cadre de la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le territoire par les Etats-Unis sous Donald Trump en décembre 2020. Si cette décision a été largement commentée localement–, elle n'a jamais été remise en question par l'exécutif espagnol, qui y voit une réorientation stratégique majeure de sa politique étrangère. Le 7 avril 2022, Pedro Sánchez se rendait à Rabat pour officialiser la réconciliation avec Mohammed VI et poser les bases d'une nouvelle feuille de route bilatérale. Ce cadre de coopération a été appuyé lors de la réunion de haut nveau (RAN) de février 2023. S'agissant des frontières douanières, après plusieurs annonces différées et trois tests de passage de marchandises en 2023, les premiers échanges commerciaux ont finalement débuté en janvier 2024. Toutefois, ce dispositif demeure extrêmement limité : les flux restent restreints à un camion par jour dans chaque direction, et aucune échéance précise n'a été fixée pour une montée en puissance. Par ailleurs, la feuille de route de 2022 prévoyait la relance du groupe de travail sur la délimitation des espaces maritimes dans l'Atlantique. Elle mentionnait également l'ouverture de discussions sur la gestion de l'espace aérien du Sahara, partiellement sous contrôle espagnol via l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), un point sensible à Madrid. Un partenariat économique florissant En plus des évolutions politiques, les échanges commerciaux entre les deux pays poursuivent leur ascension. En 2024, l'Espagne a consolidé son statut de premier partenaire commercial du Maroc, avec un volume d'échanges atteignant 22,7 milliards d'euros (près de 247 milliards de dirhams). Les exportations espagnoles vers le royaume se sont élevées à 12,86 milliards d'euros (140 milliards de dirhams, en hausse de 5,9 %) tandis que les importations marocaines ont atteint 9,83 milliards d'euros (107 milliards de dirhams, en progression de 8,9 %). L'Espagne représente désormais 37 % des importations marocaines en provenance de l'Union européenne, loin devant la France (20 %), l'Allemagne (10 %) et l'Italie (8 %). Dans le sens inverse, elle absorbe 38 % des exportations marocaines vers l'UE, surpassant également la France (27 %) et l'Italie (9 %). Dans un contexte plus large, le Maroc domine les échanges entre l'Espagne et l'Afrique, représentant 61 % des exportations espagnoles vers le continent et 79 % de celles dirigées vers l'Afrique du Nord. Une coopération exemplaire et des échéances diplomatiques en suspens L'Espagne et le Maroc poursuivent une coopération étroite, qualifiée d'«exemplaire en Europe», dans la lutte contre les réseaux criminels de traite humaine et contre le terrorisme, assurent des sources diplomatiques espagnoles. Parmi les illustrations de cette entente, les autorités espagnoles citent l'organisation conjointe, avec le Portugal, de la Coupe du monde de football en 2030. «Cet événement constitue un défi pour les trois pays impliqués mais revêt également une portée symbolique, révélatrice de la profondeur des liens entre Madrid et Rabat», soulignent-elles. Une nouvelle réunion de haut niveau en Espagne ? La révision du Traité de bon voisinage (TBV), engagement pris en avril 2022, demeure une question en suspens. Le ministère des Affaires étrangères espagnol ne précise pas si des avancées ont été réalisées sur ce dossier, pas plus qu'il n'évoque la date d'une prochaine réunion de haut niveau (RAN) entre les deux gouvernements, qui devrait, en théorie, se tenir en Espagne. «Les deux parties aspirent à organiser une nouvelle rencontre», reconnaissent les mêmes sources, rappelant que huit années s'étaient écoulées entre les deux précédentes RAN. Elles insistent toutefois sur la nécessité d'«une préparation adéquate» avant toute convocation. «Les échanges bilatéraux sont constants et la relation d'une grande fluidité», ajoutent-elles, mettant en avant la régularité des contacts au plus haut niveau.