Les facteurs participant à la hausse des prix des denrées alimentaires au Maroc sont multiples. Cependant, ce renchérissement inhabituel qui touche les légumes et les fruits dans un pays connu pour sa vocation «agricole» est à rechercher principalement dans les pratiques illégales qui grèvent le pouvoir d'achat des citoyens. Dans un contexte difficile, marqué notamment par une d'inflation galopante, avoisinant, selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP), 11% en moyenne pour les produits alimentaires, l'inquiétude des ménages quant aux coûts de leur panier hebdomadaire s'exacerbe à l'approche du mois de Ramadan.
Des facteurs structurels derrière la hausse des prix
Pour faire face à cette situation et préserver le pouvoir d'achat des citoyens et la sécurité alimentaire du pays, l'Exécutif a pris un ensemble de mesures d'urgence, à l'image des opérations de contrôle des prix et de lutte contre les spéculations, de la régulation de l'export pour sécuriser l'approvisionnement du marché intérieur, du soutien aux professionnels du secteur du transport routier et de la levée des droits de douane et de la TVA sur l'importation des viandes rouges (bovins). Toutefois, ces efforts n'auront pas suffi, selon le CESE, à « résorber le renchérissement des prix des produits alimentaires » du fait de la persistance de plusieurs facteurs à caractère structurel. Il s'agit, notamment, du déficit d'organisation du processus de commercialisation des produits agricoles, entraînant, par ailleurs, plusieurs dysfonctionnements, à savoir la prédominance de la vente informelle et l'intermédiation excessive et peu contrôlée qui favorise la spéculation et la multiplication des intervenants. Une réalité qui pénalise autant le producteur et le consommateur et impacte la qualité des produits. Outre cela, le CESE souligne la faible capacité des petits et moyens agriculteurs à s'organiser pour écouler, dans de bonnes conditions, leurs produits. Il faut y ajouter une digitalisation « encore très faible » des processus de commercialisation et de valorisation des produits agricoles qui est loin de faciliter l'accès direct et fluide des petits et moyens agriculteurs aux différents marchés et débouchés.
Vers une meilleure réorganisation du marché
Pour faire face à cette situation qui frappe l'économie des producteurs, mais aussi le pouvoir d'achat du consommateur, le CESE appelle à prendre un ensemble de mesures permettant d'organiser les circuits de commercialisation des produits agricoles, à même d'influer positivement sur le niveau des prix. Le Conseil propose, à cet effet, d'accélérer la réforme des marchés de gros en adoptant un dispositif ouvert à la concurrence et conditionné par le respect d'un cahier de charges, tout en mettant en place un cadre réglementaire précis et opposable qui clarifie le fonctionnement interne des marchés, le système de redevances et les modalités d'éligibilité des intervenants au niveau de la chaîne de commercialisation. Afin de réduire les circuits longs de commercialisation, le Conseil appelle à la promotion du commerce de proximité et à encourager les petits et moyens agriculteurs à se regrouper dans des coopératives en s'inspirant des approches adoptées par la filière sucrière et la filière laitière. Dans la même veine, l'impératif de lutte contre l'entreposage à des fins spéculaires, comme le recommande le Conseil, implique la mise en place d'un cadre juridique encadrant les pratiques de stockage des produits agricoles, soit à des fins de consommation, soit pour un usage ultérieur dans la culture. Il est également question, selon le Conseil, d'accélérer la transformation digitale de la commercialisation des produits agricoles, notamment à travers la conception de plateformes digitales permettant aux agriculteurs, d'une part, d'accéder instantanément aux données sur les prix réels, afin de mieux négocier avec tous les intervenants de la chaîne de commercialisation, et, d'autre part, d'écouler directement une partie de leurs produits. Dans ce sens, il est important, aux yeux des spécialistes du Conseil, de renforcer la fréquence des opérations relatives au contrôle des prix et au respect de la concurrence, pour lutter efficacement contre les pratiques spéculatives dans les différents secteurs concernés par la hausse des prix, sans oublier de mettre en place un « Observatoire des prix et des marges ». Celui-ci pourrait être abrité par le Conseil de la Concurrence, pour aider à la détection de tout comportement d'accumulation non-justifiée des marges de profit au détriment du pouvoir d'achat des citoyens. Trois questions à Rachid Benali, vice-président du COMADER Le marché de gros, un écosystème à repenser, mais comment ? Vice-président de la Confédération marocaine de l'agriculture et du développement rural (COMADER), Rachid Benali répond à nos questions
Premièrement, quelles sont les lacunes dont souffrent les circuits de commercialisation des produits agricoles ? Peut-on assurer un circuit qui exclut le passage par le marché de gros ? Dans cette activité, nous connaissons les agriculteurs et les détaillants mais nous ignorons tout ce qui se passe entre les deux. Par contre, on sait que les prix peuvent être multipliés par 3 ou 4 sur certains fruits. Les intermédiaires sont nécessaires, malheureusement, ils sont la cause des augmentations de prix sans l'apport d'aucune valeur ajoutée. Les mandataires des marchés de gros sont des intermédiaires officiels qui participent eux aussi aux augmentations des prix. La loi impose que les fruits et légumes transitent par les marchés de gros. Pendant le confinement, cependant, les autorités ont autorisé les agriculteurs à vendre directement aux détaillants, nous avions alors constaté une baisse importante des prix des fruits et légumes. La loi 37-21 autorise les produits agricoles issus des projets d'agrégation de passer en dehors des marchés de gros, c'est une excellente chose.
Le CESE, dans un récent rapport, préconise la digitalisation pour organiser le circuit. Le digital va-t-il régler les lacunes dont souffre le processus ? En tant qu'agriculteur, je ne vois pas comment peut-on digitaliser un secteur basé sur l'informel. Ça serait l'idéal pour une traçabilité complète, malheureusement, je ne sais pas comment l'appliquer. Parmi les plus grands problèmes des circuits de commercialisation, figure l'intervention des mandataires des marchés de gros. Sont-ils indispensables dans le circuit de commercialisation ? Les mandataires sont indispensables pour la commercialisation des fruits et légumes. Le projet de marché de Rabat est une excellente chose, il sera géré par une société privée et semi-privée. Pour une activité commerciale privée, je ne vois pas le rôle de mandataires dans cette activité.