Américains et Allemands se sont enfin décidés à livrer des chars aux Ukrainiens au grand dam de Moscou. Avec une telle décision, les Occidentaux ont franchi une étape symbolique dans leur soutien à Kiev. Pressée par Kiev d'envoyer des chars d'assaut Leopard 2, réputés être parmi les meilleurs du monde, l'Allemagne a fini par céder mercredi en promettant 14 exemplaires à l'Ukraine, ouvrant la voie à d'autres livraisons similaires par plusieurs pays européens qui en sont dotés. La Norvège a indiqué en envoyer un nombre non précisé d'exemplaires et l'Espagne s'est dite "disposée" à en fournir aussi. "Du don de 5.000 casques lourds à l'envoi de Leopard en Ukraine: en moins d'un an l'Allemagne a déconstruit sept décennies de politique pacifiste. Peut-être avec réticence, mais cela constitue un tournant majeur en soi", commente sur Twitter Bruno Lete, du centre de réflexion américain German Marshall Fund. Avant Berlin, Londres avait déjà promis une douzaine de chars Challenger 2. Paris et Washington avaient annoncé la livraisons de blindés de reconnaissance et d'infanterie. Ce front uni derrière Kiev sonne comme un nouveau camouflet pour les Russes, qui misent depuis le début du conflit sur un essoufflement du soutien occidental. Avec cette nouvelle montée en gamme du matériel livré à Kiev, les Occidentaux prennent de nouveau le risque d'être accusés de "co-belligérance" par Moscou. Mais de fait, depuis le début de la guerre en Ukraine, plusieurs tabous sont déjà tombés.
Des chars Abrams et des missiles Patriot
"Les obusiers et lance-roquettes multiples fournis en 2022 étaient des équipements aussi sérieux, voire plus sérieux que les chars de combat, car l'artillerie est plus puissante", souligne l'analyste militaire ukrainien Mykola Bielieskov. De même, après bien des réticences par peur d'escalade, Washington a récemment fini par accepter de livrer à Kiev son système de missile sol-air moyenne portée Patriot, considéré comme l'un des meilleurs dispositifs de défense antiaérienne des armées occidentales. Et Washington a annoncé mercredi soir la livraison de 31 chars Abrams pour aider l'Ukraine "à mieux se défendre". Une décision qui n'est pas une "menace offensive contre la Russie", a insisté le président américain Joe Biden. L'ambassadeur russe en Allemagne Sergueï Netchaev a dénoncé mercredi une décision "extrêmement dangereuse" de Berlin, "qui va amener le conflit vers un nouveau niveau de confrontation". "Notre appréciation est qu'aujourd'hui (les chars) ne sont pas des outils escalatoires, compte tenu de leur utilisation probable par les Ukrainiens" sur leur territoire seulement, et pas au-delà, réagit-on de source gouvernementale européenne.
Seuls, les chars ne constituent pas une solution miracle
En réaction, Moscou pourrait déployer pour la première fois son char de combat T-14 de nouvelle génération sur le champ de bataille, mais "seuls une vingtaine d'entre eux sont déjà fabriqués", fait valoir Andras Racz, du Conseil allemand des relations internationales. Ainsi, "à défaut d'une réponse militaire symétrique, on peut s'attendre à une offensive informationnelle accrue de la part de la Russie, qui pourrait aussi être incitée à lancer une seconde vague de mobilisation". Toutefois, estime l'expert, "les Russes savent bien que quelques dizaines de chars occidentaux ne vont pas changer la face de la guerre. Je ne m'attends donc pas à une escalade immédiate de la part de Moscou", prédit-il. Kiev réclame depuis décembre quelque 300 chars aux Occidentaux pour lancer des contre-offensives, alors que le front est relativement stable depuis des mois et que l'arrivée prochaine du printemps fait craindre le lancement d'une vaste opération russe dans le Donbass (est). Les chars et blindés pourraient permettre aux forces ukrainiennes de regagner du mouvement, dans l'espoir de percer les lignes de défense russes avec l'appui de l'artillerie et de sortir de la guerre de tranchées qui se joue dans l'est du pays. "Les chars de combat font partie intégrante de la guerre interarmes depuis la Seconde guerre mondiale. Aucune opération défensive ou offensive n'est possible sans un arsenal de chars d'assaut", souligne l'expert ukrainien Mykola Bielieskov. Toutefois, les chars ne constituent pas à eux seuls la solution miracle. "C'est seulement employés de concert avec l'infanterie mécanisée, l'artillerie, la défense aérienne, les missiles, que les chars peuvent apporter des résultats", prévient-il. L'armée ukrainienne se retire d'une ville du Donbass
Kiev a confirmé, mercredi, le retrait de ses forces de Soledar, ville du Donbass dans l'est de l'Ukraine, près de deux semaines après que Moscou a affirmé avoir pris le contrôle de cette ville. La décision a été prise dans le but de «préserver les vies de nos personnels militaires après que nos forces ont rempli leur principal objectif dans la ville», a déclaré le porte-parole du groupement oriental des Forces armées ukrainiennes, Serhiy Tcherevaty, cité par la chaîne publique de télévision «Suspilne». «Nous avons empêché l'ennemi de percer systématiquement en direction de Donetsk», a expliqué le responsable ukrainien. Et Tcherevaty d'ajouter : «Aucun militaire ukrainien n'a été capturé dans la région, dans le cadre des efforts déployés par nos forces pour déjouer le blocus». «C'est la guerre. Chaque commandant militaire pense à ce qui est le mieux pour ses forces», a fait observer Tcherevaty, avant d'ajouter : «Contrairement à la Russie, l'Ukraine n'utilise pas ses soldats comme de la chair à canon». Concernant les tactiques de guerre, Tcherevaty a affirmé : «Nous essayons de manœuvrer, en évitant parfois la confrontation et les échanges de tirs dans le but d'épuiser l'ennemi autant que possible». Le 13 janvier 2023, le ministère russe de la Défense avait revendiqué la prise de contrôle de Soledar, une ville de 10.000 habitants abritant des mines de sel, affirmant que cela permettrait à ses forces de couper l'approvisionnement des forces ukrainiennes à Bakhmut.