La réduction de la détention préventive peine à parer au défi de la surpopulation carcérale, selon le nouveau rapport annuel du Ministère public qui en explique les causes. Détails. Il semble qu'il faudrait une lutte de longue haleine pour parer définitivement au marronnier de la détention préventive. Malgré les efforts consentis pour en réduire l'ampleur et en dépit des innombrables circulaires du Parquet général pour en rationaliser le recours, ce qu'on présente comme un réflexe des magistrats est toujours ancré au sein de l'appareil judiciaire marocain
Les chiffres sont parlants. En 2021, le recours à la détention à titre préventif a augmenté, selon les données que vient de publier le Ministère public dans son nouveau rapport annuel. Il en ressort que parmi les personnes qui ont comparu devant un procureur du Roi ou des juges d'instruction, 103.374 ont été détenues préventivement tout au long de 2021. Un chiffre plus élevé que celui enregistré au cours de l'année précédente (100.129). Pourquoi une telle hausse ? Le rapport explique cela en soulignant l'impact de la pandémie. Comme il y a eu plus de procès à distance, les juges ont recouru davantage à la détention préventive. C'est l'un des arguments avancés dans le rapport.
En 2021, 564.521 personnes ont été déférées devant la Justice, dont 22.587 mineurs, soit une baisse de 13% par rapport à l'année précédente où 648.296 personnes ont eu des démêlés avec la Justice. Si le Ministère public se félicite, dans son rapport, des réalisations en matière de gestion de la détention préventive, c'est parce qu'il estime que le recours à la détention est maîtrisé dans la mesure où la part des détenus provisoires dans la population carcérale est sous contrôle. À cet égard, il convient de rappeler qu'ils sont 37.526 à être détenus à titre provisoire à la n de 2021, soit 42,19% du nombre total des prisonniers. Un motif de satisfaction pour le Ministère public qui se réjouit que ce taux ait baissé en 2021 par rapport à la même période de l'année précédente (45,7%).
Bien que les détenus préventifs soient légèrement moins nombreux, le problème de la surpopulation se pose toujours et de façon plus inquiétante vu que la population carcérale a augmenté de 4000 nouveaux prisonniers à la fin de l'année. Pour cause, une hausse du taux d'emprisonnement en général en 2021 qui demeure supérieur au niveau constaté en 2020 (+15,44%). Depuis 2011, la population carcérale n'a cessé d'augmenter, passant ainsi de 64.833 à 88.941 personnes.
Détention préventive-surpopulation carcérale : quel rapport ?
En réalité, le Ministère public minimise la corrélation entre la détention préventive et la surpopulation carcérale sous prétexte que le soulagement des prisons dépend plus des délais de traitement des affaires judiciaires. En et, c'est l'un des enjeux les plus sensibles, sachant que la lenteur des procès et leurs complications administratives et procédurales ne sont pas étrangères aux tribunaux du Royaume. Ce dont sont conscientes les autorités judiciaires.
Ça trébuche dans les Cours d'Appel !
Cela fait des années que le Ministère public incite les magistrats à rationaliser la détention préventive. Le Procureur général du Roi près la Cour de Cassation, et président du Ministère Public, Hassan Daki, a lui-même appelé les magistrats à redoubler d'efforts et faire preuve d'efficience en matière de traitement des dossiers des détenus et d'émission de jugements. Aussi a-t-il plaidé pour l'accélération de la procédure de transfert des dossiers des détenus préventifs, objet de recours, vers une juridiction suprême.
En parlant de recours, il convient de noter que les Cours d'Appel se taillent la part du lion en ce qui concerne les décisions de détention préventive, en accaparant 26.657 détenus, soit 71% de leur total en 2021. Les tribunaux de première instance se sont contentés de 16,58%. Ceci dit, la détention préventive est plus conséquente en appel qu'en première instance. Pour cause, le manque d'effectif de juges qui fait que les a‐aires judiciaires prennent plus de temps qu'il ne le faut. Dans son rapport, le Ministère public juge qu'il est urgent de renforcer les ressources humaines au niveau des Cours d'Appel an de venir à bout de ce problème récurrent. Le besoin se fait plus sentir chez les juges d'instruction, indique la même source. Lorsqu'on scrute attentivement les chiffres des détenus durant chaque niveau de juridiction, on se rend compte que les "détenus préventifs" sont plus nombreux dans les Chambres criminelles des Cours d'Appel, sachant que 5014 font l'objet d'enquête judiciaire. Un chi‐re plus élevé qu'en première instance (772). Ainsi, l'information judiciaire en appel prend plus de temps, les juges d'instruction n'étant pas assez nombreux.
On est tout de même rassuré !
Par ailleurs, la détention préventive est due au risque que présente un suspect sur la société et la possibilité de son évasion au cours de l'information judiciaire. Son efficacité est mesurée en partie par les jugements où les détenus sont déclarés innocents. Plus ils sont nombreux, plus le recours à la détention devient problématique puisqu'il porte, dans ce cas, atteinte à la présomption d'innocence. Sur ce point, les résultats sont rassurants pour le Ministère public qui fait état d'un recul des acquittements entre 2017 et 2021. Ils sont passés de 4389 décisions prononcées en 2017 à 1854 en 2021. En interprétant ce constat, le rapport du Ministère public laisse entendre que les décisions de la détention préventive demeurent bien fondées.
Repères Peines alternatives : le remède attendu
Cela fait des années qu'on parle de peines alternatives, censées être intégrées au Code de la procédure pénale depuis 2015. Comme la réforme n'a pas été votée depuis lors, le gouvernement actuel compte les intégrer dans la réforme que porte Abdellatif Ouahbi qui a quasiment finalisé le nouveau texte du Code pénal. Toutefois, l'emplacement des peines alternatives fait l'objet d'un vif désaccord avec le Secrétariat général du gouvernement. Alors que le ministre plaide pour une loi indépendante, le département de Mohammed El Hajoui préfère ne pas les séparer sous prétexte qu'il vaut mieux les mettre au sein du corpus du Code pénal. La réforme du Code pénal entend d'introduire de nouvelles peines alternatives à l'emprisonnement, on en cite le bracelet électronique et les travaux d'intérêt général. Il est prévu également de révoquer les peines privatives de liberté en cas d'infractions financières. Réduire la contrainte physique ! Les procureurs et les juges d'instruction ont ordonné la détention de 18,31% des personnes qui leur étaient présentées. En outre, le reste (81%) a été soit poursuivi en état de liberté ou relâché suite au classement des affaires. Dans ce sens, le Ministère public a listé une série de mesures prises pour réduire le recours à la contrainte physique et les mesures privatives de liberté. Selon le rapport, les procureurs ont réagi proactivement aux multiples circulaires de la présidence du Ministère public. En 2021, 94.882 décisions ont été revues donnant lieu à l'annulation de 13.694 pour prescription des faits concernés et de 4.477 pour insuffisance d'éléments justifiant la contrainte physique.