Le gouvernement a scellé un nouveau deal avec les avocats au sujet du régime fiscal. De quoi augurer la fin du bras de fer avec les robes noires qui a duré pendant des semaines. Détails. À la veille du dépôt des amendements du Projet de Loi des Finances à la Chambre des Conseillers, le gouvernement a saisi aussitôt l'occasion pour clore le dossier revendicatif des avocats qui n'ont eu de cesse de contester le nouveau régime fiscal. Haussant le ton comme ils ne l'ont fait que rarement par le passé, les robes noires ont usé de toutes les formes de protestation : sit-in, grèves et communiqués au ton sévère. Maintenant, le chemin vers le compromis et le règlement du dossier semblent moins pavés d'obstacles et tout le monde semble parvenir à entrevoir le bout du tunnel. Après des pourparlers intenses, le gouvernement et les représentants de la profession se sont enfin entendus sur un nouvel accord, qui semble final cette foisci, au sujet du nouveau régime fiscal. Cet accord a été trouvé le lendemain de la réunion du ministre de tutelle, Abdellatif Ouahbi, avec le président de l'Association des barreaux du Maroc (ABAM). Ce dernier s'est réuni avec le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaâ, qui a été accompagné du Directeur général des Impôts. Un accord avec plus de concessions À l'issue de la réunion, un compromis qui arrange les deux parties a été trouvé. Il consiste à réduire le montant de l'avance sur l'impôt versé sur chaque dossier à 100 dirhams au lieu des 300 prévus initialement. Le document, dont « L'Opinion » détient copie, stipule que cette réduction s'applique à toutes les voies de recours judiciaires. Ici, le gouvernement a supprimé l'obligation de verser l'avance à chaque niveau de juridiction. Cet accord diffère aussi de celui annoncé le 15 novembre dans la mesure où il donne aux avocats la possibilité de régler l'avance soit avant le dépôt du dossier et l'enregistrement du recours, soit avant l'écoulement du mois qui suit l'année d'exercice dans laquelle le dossier est ouvert, et ce, en vertu de la déclaration de l'avocat concerné. Concernant les avocats actifs et dépourvus d'identifiant fiscal, et qui sont inscrits au Barreau avant le 12 décembre, il a été convenu de leur accorder une amnésie fiscale avec effet rétroactif (amnistie sur les années précédentes). Les deux parties se sont mises d'accord pour exonérer les avocats nouvellement inscrits dans le registre fiscal de payer l'avance sur l'Impôt sur le revenu pendant cinq ans. Il a également été accordé aux nouveaux avocats une exonération d'IR pendant trois ans. Cette mesure a été retenue dans les amendements du PLF au niveau de la Commission compétente à la Chambre des Conseillers. Les membres de la deuxième Chambre, rappelons-le, ont adopté, samedi en commission, la première partie du PLF à onze voix favorables contre trois opposées et deux abstentions. Quid de la retenue à la source En effet, l'amendement en question a émané de la majorité qui a repris les termes susmentionnés de l'accord du 2 décembre. La question de la retenue à la source sur les honoraires, l'une des pommes de discorde principales qui a fait le plus frémir les avocats, a été réajustée de sorte à trouver un compromis. En vertu de l'amendement adopté, la retenue a été supprimée pour les personnes morales sauf en cas de versements provenant de l'Etat ou des collectivités territoriales. Elle a été, pourtant, maintenue pour les personnes physiques. Le gouvernement, qu'on le rappelle, est resté inflexible sur la réforme de la fiscalité des professions libérales, dont celle des avocats. L'Exécutif estime que ces derniers ne payent pas assez d'impôts et veut les faire contribuer plus aux recettes fiscales. Fouzi Lekjaâ a défendu la réforme en avançant des arguments chiffrés selon lesquels 50% seulement des avocats inscrits sur les registres fiscaux payent l'impôt (8837 sur 16.000). Outre cela, 90% de ceux qui payent leurs impôts ne contribuent qu'à hauteur de 10.000 dirhams par an. Silence du Barreau de Casablanca Par ailleurs, la position du barreau de Casablanca a été très attendue à l'issue de l'annonce du nouvel l'accord faite par l'ABAM, compte tenu de sa réaction véhémente à la réforme fiscale. Le barreau de la métropole, un des plus puissants au Maroc, n'a guère réagi jusqu'à maintenant. Nous avons contacté le barreau de la capitale économique pour sonder son avis sur le nouveau deal scellé avec l'Exécutif. Le silence est resté de mise. Toutefois, après de nombreuses sollicitations, une source a décroché le téléphone et nous a répondu en s'excusant de ne pas pouvoir parler au nom du barreau qui, selon elle, préfère rester discret pour le moment, le temps d'évaluer le nouvel accord avant de se prononcer. En effet, les robes noires casablancaises, rappelons-le, ont sévèrement contesté le deal du 15 novembre en maintenant leur grève (Voir repères). Cette mésentente a conduit à un divorce entre le barreau et l'Association des Barreaux dont il s'est séparé comme annoncé dans le communiqué du 24 novembre. Le retrait a été validé par le Conseil du barreau qui n'a pas cautionné la volonté de l'ABAM de trouver un compromis avec l'Exécutif. En somme, en scellant un nouvel accord avec les avocats, le gouvernement a fait part de sa volonté de clore ce dossier qui défraye la chronique depuis des semaines. Le ministre de tutelle, Abdellatif Ouahbi, semble luimême disposé à aller de l'avant pour améliorer le dialogue avec « ses confères ». Ce qui augure d'un début de dénouement de l'une des plus fortes contestations auxquelles a dû faire face le gouvernement depuis son investiture. Anass MACHLOUKH L'info...Graphie Contestation Les robes noires en grève se montrent inflexibles
Les avocats de Rabat suspendent leur grève, d'autres y pensent Si le gouvernement tente depuis quelque temps à désamorcer la colère des robes noires, une bonne partie des avocats renoue avec la grève, tandis que d'autres ont repris leur activité. C'est le cas des avocats de Rabat qui ont annoncé, samedi, la suspension provisoire de leur grève. Pourtant, les attitudes restent ambivalentes au sein du corps des avocats. En effet, d'autres avocats se sont maintiennent en grève depuis le 1er novembre. Par contre, d'après une source au sein du barreau de Casablanca, une grande partie des avocats ont exprimé leur refus de la poursuite de la grève d'autant plus que l'arrêt de leurs activités pèse lourdement sur leurs finances et les empêchent ainsi de s'acquitter de leurs charges et surtout d'assurer les intérêts des justiciables. Au moment où le blocage perdure, la tutelle tente de trouver un compromis avec une série de réunions avec les représentants du corps des avocats. Ainsi, d'après une source bien informée, une réunion aurait dû avoir lieu, dimanche 04 novembre, avec le ministre de tutelle et un bâtonnier du barreau de Casablanca afin de mettre à table les différents dossiers relatifs à la profession.
Les dossiers qui fâchent Ouahbi choisit l'apaisement
Le régime fiscal n'est pas le seul sujet de discorde qui envenimait la relation entre les robes noires et leur ministre de tutelle. La volonté de ce dernier de réformer en profondeur le cadre légal relatif à l'exercice du métier s'est heurtée à une vive opposition des avocats, dont une partie importante ne partage pas sa vision et considère que sa réforme est restrictive. En effet, le texte du projet de Loi, dont des détails ont fuité, introduit des changements majeurs au niveau de l'accès à la profession en définissant un nouveau parcours pour passer du stade d'étudiant juriste à celui d'avocat avec une nouvelle classification des grades d'avocats. La réforme est jugée stricte par certains avocats qui voient d'un oeil suspicieux les nouvelles conditions d'accès à la profession. Même l'ABAM qui se montre plus encline au dialogue avec le gouvernement s'est montrée réticente. Raison pour laquelle Adellatif Ouahbi s'est évertué à relancer le dialogue en invitant le président de l'association, Abdelouahed El Ansari, à une réunion au Club nautique à Salé, le 2 décembre. Une façon pour le ministre, déterminé à aller jusqu'au bout dans sa réforme, d'installer de nouveau la confiance avec les représentants de la profession. Une réunion jugée fructueuse. A en croire le compte rendu, les deux parties n'ont pas manqué d'aborder toutes les questions relatives au métier d'avocat, y compris les dossiers qui fâchent. Le communiqué a également cité les causes de détérioration de la relation entre le ministre et les robes noires comme l'un des points de l'ordre du jour. Allusion faite à la relation tendue entre Ouahbi et ses « ex-confrères » depuis sa prise de fonction. Les deux parties ont fait part de leur volonté de « dépasser la crise et désamorcer la tension », comme précisé dans le communiqué.
3 questions à Me Jihad Agouram « Nous assistons à une division du corps des avocats au Maroc »
Avocat au barreau de Casablanca, Me Jihad Agouram répond à nos questions sur les aboutissants du dialogue entre les représentants du corps des avocats au Maroc et le gouvernement. - Les rounds de dialogue se poursuivent entre les représentants des barreaux du Maroc et la tutelle en vue de parvenir à un compromis sur plusieurs différends, se dirige-t- on vers une résolution définitive du dossier ? - Aujourd'hui, les avocats des barreaux du Maroc sont presque divisés entre ceux qui ont repris leur travail, ceux qui n'ont pas encore annoncé leur décision et d'autres qui sont toujours en grève depuis des semaines. A mon sens, c'est malheureux de voir les avocats en arrêt de travail depuis 5 ou 6 semaines, d'autant plus que cela affecte gravement l'accès des citoyens à la justice. - Qu'apportera aux avocats l'accord trouvé avec le gouvernement ? - Apparemment, il a été convenu de baisser à 100 dirhams l'avance sur impôt pour chaque dossier traité, couvrant toutes les juridictions, et ce, au lieu d'un montant de 300 dirhams proposé par l'Exécutif dans le Projet de Loi des Finances de 2023. Ainsi, la retenue à la source, selon ce qui circule, va aller jusqu'à 5%, l'exonération fiscale professionnelle pendant 5 ans et la cotisation minimale pour 3 ans. A part quelques améliorations, je pense que ces acquis ne sont pas nouveaux. - Que pensez-vous de la réforme de la loi sur l'exercice de la profession qui se prépare actuellement ? - C'est bien d'adopter une démarche participative dans ce sens, mais je pense que c'est inconcevable de voir un nouveau projet de loi avec l'arrivée de chaque nouveau ministre. A mon sens, il doit y avoir une continuité du travail mené par les gouvernements dans ce sens. Le fait de passer encore du temps à concevoir un nouveau projet de loi risque de renforcer le bras de fer entre les deux parties sans vraiment aboutir à une vraie loi. C'est le cas même de la loi sur la procédure pénale qui n'a pas cessé de faire le tour des gouvernements depuis des années.