Les feux ont ravagé la moitié de la forêt de Jbel Bouhachem, détruisant au passage les biens et moyens de subsistance des populations et tuant des centaines de macaques en voie de disparition. Si le Royaume n'avait pas accumulé plusieurs années d'expérience ainsi que des dispositifs et moyens conséquents de lutte contre les incendies de forêts, les dégâts matériels et humains causés par les incendies durant l'été 2022 auraient été bien plus dramatiques. En dépit de cela, plusieurs décès ont été enregistrés alors que des centaines de familles ont dû être évacuées d'urgence et des dizaines de petits villages réduits en poussière. En arrière-plan de ce drame, des milliers d'hectares de forêt ont été carbonisés en même temps que les espèces animales et végétales qui les composent. Si le bilan total de cette faune et flore perdue n'est pas encore bien déterminé au niveau national, les dégâts subis par la forêt de Bouhachem illustrent bien l'ampleur de l'hécatombe. « Plus de la moitié de la forêt de Bouhachem au Nord du Maroc a brûlé en raison des incendies de forêt, tuant des centaines de macaques de Barbarie », affirme un communiqué de l'Association Barbary Macaque Conservation in the Rif (BMCRif). Une forêt dévastée Située au coeur du magnifique Parc Naturel de Bouhachem, la forêt en question est habituellement un havre de paix pour un grand nombre d'espèces animales et végétales en tout genre. C'est également le lieu de vie de macaques dont la population est estimée à plusieurs milliers d'individus. L'incendie qui a ravagé ce bastion de la biodiversité a commencé le 25 juillet 2022 et a déjà anéanti plus de 7500 ha de superficies forestières. « Malgré les efforts surhumains du service forestier, des autorités, de l'armée et des villageois vivant dans la région, de nombreux villages environnants sont endommagés, les récoltes brûlées, et le bétail tué. De nombreux témoins oculaires ont vu plusieurs macaques s'enfuir des flammes », poursuit le communiqué de BMCRif. « Ce mercredi 10 août, les équipes d'intervention se sont encore mobilisées pour circonscrire les derniers foyers de petite taille qui subsistaient. Je n'ai jamais été témoin de pareille catastrophe au niveau de la forêt de Bouhachem », nous confie Ahmed El Harrad, président de l'association. Les macaques en danger « Nous craignons que des centaines des 4000 macaques de Bouhachem ont été tués ou mourront des suites de brûlures et/ou de dommages causés par l'asphyxie et la fumée dans leurs poumons. À la suite de l'incendie, la plupart de leurs sources de nourriture ont disparu et ne se régénéreront pas complètement jusqu'à ce qu'il pleuve, espérons-le, en septembre ou en octobre », poursuit le communiqué de BMCRif. En attendant, les locaux de l'association qui sont installés au niveau de la forêt ont également subi des dégâts à cause des incendies. « L'espace naturel qui entoure notre centre n'a pas été épargné par les flammes. Le paysage a complètement changé. Certaines parties externes de la construction ont été touchées par les flammes, mais le reste est plus ou moins intact. Nous prévoyons de faire les réparations nécessaires dès que possible, car cet espace héberge habituellement les activités que nous menons avec les populations locales », explique le président de Barbary Macaque Conservation in the Rif. La riposte s'organise Dans cette perspective, l'association marocaine « coordonne et achemine à l'intérieur du Maroc les dons du public marocain en vivres et d'autres fournitures nécessaires pour aider les villageois qui ont le plus besoin d'aide ». L'association bénéficie également de l'appui de son partenaire britannique, l'organisation « Barbary Macaque Awareness and Conservation » (BMAC) qui a coordonné une collecte de fonds pour cette urgence. Le communiqué de BMCRif rappelle par ailleurs que « le macaque de Barbarie est le seul macaque en dehors de l'Asie et le seul primate trouvé au Nord du Sahara. La forêt de Bouhachem est l'une des rares régions du Maroc où ces macaques sont à l'abri du braconnage et du tourisme anarchique ». Depuis 2009, l'association et ses partenaires se donnent pour mission de « conserver le macaque de Barbarie, espèce en voie de disparition à l'échelle mondiale, et son habitat, et de promouvoir la connaissance de l'espèce » en travaillant « avec des communautés partageant l'habitat avec les macaques, de manière holistique, pratique et inclusive ». Oussama ABAOUSS Repères Le magot, taillé pour le froid À l'état sauvage, les magots vivent généralement un peu plus d'une vingtaine d'années. Afin de s'adapter à l'environnement montagnard où elle vit, l'espèce a subi plusieurs adaptations morphologiques, notamment la quasi-disparition de la queue (pour éviter que l'appendice ne gèle) et l'allongement de la colonne vertébrale qui lui permet de se mettre en boule afin de maintenir sa température interne. Le mâle est plus massif et plus puissant que la femelle et présente des canines plus longues.
Des communautés matriarcales Le magot vit en bandes familiales à la hiérarchie matriarcale. Dans l'Atlas, on le trouve principalement dans les forêts de cèdres, de pins et de chênes dont il mange les fruits jusqu'à 2.200 mètres d'altitude. Contrairement à d'autres espèces de macaques, les magots mâles participent à l'éducation des jeunes, jouent avec eux et pratiquent le toilettage. La plupart des mâles quittent leur groupe originel entre cinq et huit ans, et migrent vers une autre bande lors de la saison de reproduction. L'info...Graphie Statut Le magot inscrit dans la liste rouge des espèces menacées
Jadis, les populations de macaques de Barbarie étaient éparpillées sur l'ensemble du bassin méditerranéen. Depuis la dernière glaciation, la présence de l'espèce s'est toutefois réduite aux forêts marocaines et algériennes. Depuis quelques décennies, les macaques ont également colonisé l'île de Gibraltar à partir d'individus saisis par les autorités locales auprès de trafiquants. Actuellement, l'aire de répartition du magot est très fractionnée et son habitat souvent dégradé, notamment en raison de la concurrence avec l'agriculture et l'élevage. Au niveau international, l'espèce est inscrite à l'annexe I de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), ce qui implique que sa vente, achat et détention sont strictement réglementés. L'espèce - qui figure sur la Liste rouge des espèces menacées de l'UICN avec le statut d'espèce « En danger d'extinction » - est également protégée par la loi marocaine 29-05 relative à la protection des espèces de faune et de flore sauvages et au contrôle de leur commerce.
Réintroduction Le singe magot, de retour au Parc National de Tazekka
Du fait de la régression de leur aire de présence au niveau national, les macaques de Barbarie ont déserté plusieurs écosystèmes naturels marocains durant ces dernières décennies. Ce phénomène est dû à plusieurs facteurs, notamment au braconnage et à la destruction de l'habitat naturel des populations de macaques. Dans leur effort de lutte contre le braconnage et la détention illégale de cette espèce, un grand nombre de singes a été saisi par les autorités concernées dans différentes régions du Royaume. Si les spécialistes estiment que la réintroduction dans la Nature du singe magot après une phase de captivité est un véritable défi à cause de la perte des structures sociales qui leur permettent de survivre, les forestiers du Maroc semblent déterminés à tenter l'expérience. Dans une publication sur les réseaux sociaux, la page officielle de l'Agence Nationale des Eaux et Forêts (ANEF) a ainsi annoncé que dans le cadre de son partenariat avec l'association AAP (Animal Advocacy and Protection), les singes confisqués et hébergés jusqu'à aujourd'hui au sein du Zoo de Dream Village et du Jardin zoologique de Rabat connaîtront une nouvelle vie dans la nature. « Après une période de quarantaine et de protocole sanitaire strict, 35 singes magots ont été transférés les 18 et 19 mai vers la station d'acclimatation de Bab Boudir où ils bénéficieront d'un programme de réhabilitation et de socialisation en vue de préparer leur réintroduction dans la réserve du Parc National de Tazekka », a souligné la même source.
3 questions à Ahmed El Harrad « C'est une catastrophe d'une ampleur inédite »
Homme de terrain et président de l'Association marocaine Barbary Macaque Conservation in the Rif (BMCRif), Ahmed El Harrad répond à nos questions. - Comment décririez-vous les ravages causés par les feux dans la forêt de Bouhachem ? - C'est une catastrophe d'une ampleur inédite dont nous avons pu être témoins dans la forêt de Bouhachem. Le feu a sévi pendant plusieurs jours, mais des milliers d'hectares de superficies brûlées sont quasiment entièrement partis en fumée en trois jours seulement. Durant cette période, l'état très sec de la végétation qui a fait les frais de la sècheresse, en plus de la canicule et de vents très forts, ont constitué des conditions favorables à la propagation très rapide des flammes. En dépit des efforts des équipes d'intervention qui se sont battues pour contrôler les incendies, le feu avançait à vue d'oeil. - Mettrez-vous en place des mesures pour assister les macaques survivants qui n'ont plus de quoi se nourrir ? - Je tiens d'abord à rappeler que notre association, avec l'aide de ses partenaires, se focalise sur la conservation des populations de macaque de Barbarie. De ce fait, nous avons toujours été contre le fait d'intervenir pour une raison ou une autre afin de nourrir les populations sauvages de macaques pour éviter d'altérer leur écologie. Cela dit, maintenant que les feux sont circonscrits, nous ne manquerons pas de faire des missions de terrain avec les experts qui contribuent à notre travail afin d'établir un état des lieux précis de la situation. Ce n'est que par la suite que nous pourrons décider ensemble des actions éventuelles qui devront être entreprises afin de tenter de mitiger les dégâts que les populations de macaques ont subis. - Cette catastrophe a-t-elle été suivie par les organisations mondiales de protection des primates ? - Au vu de l'importance du macaque de Barbarie (dont l'aire de répartition au niveau mondial est très limitée), plusieurs associations et organismes qui soutiennent habituellement notre travail se sont bien évidemment solidarisés avec nous suite à cette catastrophe. Nous tenons d'ailleurs à les remercier chaleureusement pour leur engagement avec nous, comme nous tenons à remercier l'ensemble des partenaires nationaux sans lesquels notre travail n'aurait pas pu être possible. Recueillis par O. A.