Le président du Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens (CNOP) dénonce les problèmes économiques et organisationnels dans lesquels patauge la profession. - La réforme de l'Ordre des pharmaciens a traîné dans les tiroirs du parlement durant deux ans, faute d'une entente sur le texte qui n'a pas été élaboré par le gouvernement précédent selon une approche participative. Quelles sont les raisons derrière le retard d'amendement du projet de loi relatif à l'Ordre national des pharmaciens ? - Il convient de rappeler que le projet de loi vient suite à la caducité du Dahir qui date du 17 décembre 1976 instituant le Conseil de l'Ordre National des Pharmaciens. C'est un texte totalement caduc dans la mesure où il y avait en cette année 500 pharmaciens seulement au Royaume. On est passé aujourd'hui de 500 à plus de 12.000. Le renouvellement du texte ou l'élaboration d'un nouveau était toujours demandé par les professionnels du métier. Depuis mon arrivée à la tête du Conseil national de l'Ordre, j'avais pris contact avec les ministères de tutelle, en l'occurrence le ministère de la Santé et le Secrétariat général du gouvernement (SGG) à qui j'avais proposé qu'on travaille en commission tripartite. Le travail était accompli à hauteur de 65%, jusqu'au moment où un nouveau ministre de la Santé a été désigné. On a donc retravaillé à zéro. En fin de compte, le SGG a proposé le texte qui est en oeuvre actuellement. - Jeudi dernier, les députés de la majorité ont pris acte des propositions des syndicats des pharmaciens pour l'élaboration des amendements, lors d'une journée d'étude tenue au Parlement autour du projet de loi n°18-98 relatif à l'Ordre national des pharmaciens. Que représente ce texte pour les pharmaciens ? - Le projet de loi, dans sa version actuelle, est acceptable dans son intégralité, étant donné qu'il répond à un certain nombre de doléances évoquées par les syndicats des pharmaciens. Néanmoins, certaines nuances doivent être revues au sein de la Commission des affaires sociales du Parlement. Un texte qui pourrait nous amener vers une meilleure organisation de la profession puisqu'il s'agit d'un texte d'ordre organisationnel. - En tant que président du Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens, quelles remarques soulevez-vous ? - D'abord, je tiens à saluer les efforts des députés de la majorité pour avoir intégré une forme avancée de démocratie autour de ce texte. Parmi les dispositions de ce projet de loi, la proposition de l'élection du président du Conseil national par l'ensemble des pharmaciens et non par consensus. C'est un pas extrêmement important car le choix de la base consolide la démocratie et la légitimité et libère le nouveau président des pressions en lui permettant de se positionner à égale distance de l'ensemble des composantes de la profession. Le second point est qu'à travers ce projet, une commission de suivi sera mise à la disposition du Conseil pour l'assister sur différentes questions. Cette commission est formée de pharmaciens hors profession. Il y a unanimité au sein de la profession : on ne veut pas une seconde tutelle. Nous avons la tutelle du ministère de la Santé, que nous acceptons pleinement, mais une deuxième tutelle est refusée. Si le gouvernement tient à garder cette commission, je propose qu'elle soit formée par des compétences internes à la profession. Troisièmement, je souhaiterai que dans ce projet de texte, le SGG garde un rôle très important dans l'exécution de mesures disciplinaires. On peut accorder l'exécution de ces mesures à une certaine hauteur pour le Conseil national, mais au-delà de cette limite, je préfère que le SGG garde la main. Il y a énormément de contraintes et de ruptures au sein de la profession. Je crains que ces mesures disciplinaires soient utilisées pour des règlements de comptes. - La situation du secteur pharmaceutique est donc aggravée par des problèmes organisationnels et économiques... - Absolument. Pour qu'on puisse aller vers une organisation avancée, il faut avoir une vision globale intégrée de la profession. Il faut aussi s'occuper du côté économique. Le problème aujourd'hui c'est que nous sommes au sein d'une profession qui souffre sur le plan économique pour plusieurs raisons. Premièrement, il s'agit d'un petit marché. La consommation globale des médicaments au Maroc est de 13 MMDH, dont 3 à 3,5 MMDH achetés par le secteur public. Lorsqu'on divise cela sur le nombre des pharmacies, on a 800.000 à 900.000 DH de chiffre d'affaires annuel. Ce qui est peu pour permettre à des pharmaciens de vivre dans la dignité à partir de leur profession. C'est pour cela qu'il va falloir réfléchir au côté économique, surtout que depuis 2014 un décret sur la fixation des prix des médicaments a été adopté. Depuis, nous vivons dans une sorte de spirale de baisse continue sans mesures de compensation. C'est là que l'on sent les choses devenir de plus en plus dures pour les professionnels. Une situation qui s'est aggravée dans un contexte marqué par la crise sanitaire et l'inflation. Tout cela engendre une baisse du pouvoir d'achat pour les pharmaciens et leurs assistants. Les contraintes économiques ont tellement déchiré la profession qu'il y aujourd'hui des fractures profondes au sein de la profession. Il va donc falloir réfléchir à un système pour rassembler les pharmaciens et les fédérer autour de principes en faveur du citoyen et de la réussite de la couverture médicale généralisée. Il faut donc pousser tous les pharmaciens à y adhérer et à travailler en synergie avec les autres intervenants du système de santé, notamment nos confrères médecins, techniciens, infirmiers, chirurgiens dentistes, les caisses de remboursement... Il faut que tout le monde se mobilise pour réussir ce chantier. On peut avoir le meilleur texte au monde sur le plan organisationnel de la profession, mais si le volet économique ne suit pas, nous risquons de ne pas être au rendez-vous !
La régionalisation est fondamentale dans ce projet de loi. Il comporte des dispositions très avancées. - Le principe de la régionalisation à travers la création de 12 Ordres régionaux en phase avec le processus de régionalisation avancée est consacré dans ce projet de loi. Quels objectifs s'assigne-t-on à travers cette répartition régionale des tâches ? - La régionalisation est fondamentale dans ce projet de loi. Il comporte des dispositions très avancées, dont la régionalisation des Conseils de la commission, qui constitue la porte d'entrée vers une véritable démocratie locale qui fait confiance aux compétences régionales. Nous souhaitons ainsi avoir 12 Conseils régionaux qui vont travailler dans la solidarité et que Rabat transfère la totalité des pouvoirs aux régions afin d'assurer un encadrement de proximité en faveur des pharmaciens. Certains professionnels demandent que les Conseils régionaux soient regroupés en un Conseil central des pharmaciens d'officines. Si cette composition est acceptée par le gouvernement, il faut que le nombre des pharmaciens par région soit pris en considération pour fixer le nombre de représentants au sein de ce Conseil central. Recueillis par Safaa KSAANI