Le dossier du prix du médicament n'en finit pas de diviser ! Selon les conseils régionaux des pharmaciens d'officine, celui-ci se trouverait même à l'origine de la décision de dissolution des deux instances régionales du sud et du nord, qui a suscité une vraie tempête médiatique dans le secteur récemment. Le ministre de la Santé vient en effet de publier un projet de décret portant dissolution de ces deux conseils régionaux des pharmaciens. La raison invoquée par le département de la santé étant le blocage que connaît la profession dans le cadre du Conseil national de l'ordre (regroupant grossistes, biologistes et officinaux) depuis 2008. «En réalité, cette dissolution n'est autre qu'une réponse à notre rejet de la manière antidémocratique avec laquelle le ministre entend adopter le décret sur les prix du médicament», avance Abderazak Manfalouti, président du Conseil régional de l'ordre des pharmaciens du sud. Des élections comme toutes les autres Pour cette instance, toutes les autres raisons invoquées par le ministre (voir interview publiée le 11 novembre 2011 www.leseco.ma) ne sont que «pur mensonge». Le ministre avait en effet, annoncé que cette dissolution trouve son fondement dans une décision de justice, qualifiant de «non recevables» les dernières élections de mai 2013. Un argument rejeté par le Conseil régional des pharmaciens du sud, qui souligne que «les jugements rendus par les tribunaux confirmaient au contraire que les élections se sont tenues dans le respect de la loi». En réaction «aux allégations du ministre», le Conseil régional du sud annonce avoir entamé une procédure judiciaire devant les instances pénales. Or, au sein même de la profession, les points de vue divergent. La Fédération des pharmaciens officinaux, qui se veut la plus représentative, avec plus de cinquante syndicats de différentes régions du Maroc, affirme être le premier soutien à cette dissolution. «Il n'y a aucune polémique autour de cette décision. De nombreux dysfonctionnements ont caractérisé les dernières élections et le texte de loi appliqué aujourd'hui est largement dépassé», témoigne Oualid El Amri, président de la Fédération des pharmaciens et du Syndicat des pharmaciens d'officine de Casablanca. Certains pharmaciens reprochent aujourd'hui à l'actuel ordre d'avoir falsifié les résultats des urnes en ayant recours notamment à des votes par correspondance très peu transparents. Pour les conseils dissous, le ministère aurait dû avoir recours aux dispositions de l'article 13 de la loi organisant les instances ordinales. Celles-ci prévoient qu'en cas de contestation des résultats, le SGG devrait déclarer démissionnaires les actuels membres du Conseil et mettre en place une commission chargée de gérer les affaires courantes en attendant de nouvelles élections. La tension est en tout cas à son comble depuis l'annonce de la nouvelle. Les pharmaciens en sont même venus aux mains dimanche dernier durant une conférence organisée par le Conseil régional du sud pour contre-attaquer la mesure du ministre de la Santé. Un accrochage suite auquel le président dudit conseil a dû être hospitalisé. Bataille des négociations Dans son argumentaire, le Conseil du sud persiste : «Les élections de mai dernier ont été faites de manière démocratique selon les mêmes règles que celles qui ont prévalu durant ces dernières années. Dans toutes les élections, il y a des dysfonctionnements et ces choses doivent être réglées devant la justice», déclare Manfalouti. Celui-ci estime qu'il aurait fallu changer le mode de scrutin ou modifier la loi, mais ne jamais dissoudre. Les pharmaciens du Conseil du sud promettent en tout cas une rude bataille devant le Parlement concernant l'adoption de ce texte. Difficile à assurer lorsque la profession reste divisée. Cette tension «intra professionnelle» s'explique surtout par le rôle que compte jouer chaque partie dans les négociations autour des prix du médicament. «Il est clair que c'est la fédération qui devrait représenter les pharmaciens dans tout ce qui concerne le volet économique de l'exercice de la profession, l'ordre lui doit s'occuper, entre autres, des règles de l'éthique et de la déontologie», avance El Amri. Un avis que ne partagent pas les conseils régionaux, qui estiment que «c'est aux représentants des instances de l'ordre que revient le droit de faire des propositions concernant les prix du médicament». Abdelghani El Guermai, Président de l'AMIP «La baisse des prix ne réglera pas le problème» Les ECO : Comment les industriels réagissent-t-ils au nouveau décret concernant le prix des médicaments? Abdelghani El Guermaii : Ce projet de décret devra être étudié comme il se doit par les différents départements ministériels concernés. Comme nous l'avons déjà dit, nous rejetons ce texte qui ne correspond pas à l'accord que nous avons passé avec le ministère. Le plus important pour nous, c'est la méthode de calcul des prix que nous refusons dans sa forme actuelle. Nous avons passé un accord avec le département de la Santé en juillet 2012, fixant un mode de calcul particulier qui n'a pas été respecté. Il s'agit d'une décision dangereuse pour notre industrie. Avec des baisses de 17 à 20% sur les prix de certains médicaments, ce décret mettra en péril 60 ans d'existence de l'industrie pharmaceutique. Une industrie performante, conforme aux normes internationales de qualité et qui, grâce à la fabrication locale, assure la sécurité et l'indépendance sanitaire du pays. Que demandez-vous concrètement aujourd'hui? Nous demandons qu'un bureau d'experts étudie objectivement tous les impacts et avantages dudit décret. Nous pensons que ce n'est pas la baisse des médicaments les plus chers qui va régler le problème de l'accessibilité. Nous disposons déjà d'excellents génériques dont les prix sont très bas et couvrent toutes les pathologies. Pourquoi ne les utilise-t-on pas? Nous avons aujourd'hui un référentiel que nous avons accepté grâce à des études de benchmark dans plusieurs pays qui nous permet de fixer la moyenne des prix. Selon ce procédé, il est logique de baisser les prix qui se situent au dessus de cette moyenne et de rehausser ceux qui se situent en dessous. Au Maroc, nous avons beaucoup plus de médicaments en dessous qu'au-dessus de cette moyenne. Pour l'instant, nous avons accepté de ne pas les rehausser. À quelles conséquences vous attendez-vous? Si ce décret sur les prix des médicaments est adopté, la conséquence sera tout simplement le déséquilibre de tout le système pharmaceutique que nous avons construit pendant 60 ans avec toutes les composantes de la profession et notre ministère de tutelle. Il est tout à fait normal que les médicaments qui seront déficitaires ne puissent plus être maintenus et risquent de disparaître aux dépens des malades les plus démunis économiquement. Aujourd'hui, de nombreuses multinationales ont commencé à déplacer leur activité pour se diriger vers d'autres destinations telles que l'Algérie ou l'Afrique du Sud, ce qui n'est pas positif pour notre pays.