Les prix des hydrocarbures ne cessent de flamber depuis la fin du confinement. Si la situation peut être expliquée par la montée des prix du baril du pétrole, d'autres facteurs locaux impactent également les prix affichés à la pompe. Il suffit de faire un tour rapide chez les différents distributeurs des hydrocarbures pour constater l'importante augmentation des prix depuis plusieurs mois : l'essence coûte en moyenne 12,5 dhs le litre, tandis que le diesel, pourtant réputé bon marché, s'approche de la barre des 11 dhs. Des chiffres presque similaires d'une station à une autre, de quoi nous assurer que le principe de la concurrence, mis en avant lors du déplafonnement des prix par le gouvernement Benkirane, n'aura jamais eu sa place dans un marché à très fort revenu pour les distributeurs. Le Maroc a en effet décidé de libéraliser les produits pétroliers en 2015, ce qui a conduit à une certaine concentration des opérateurs qui s'organisent sous forme d'oligopole et qui, de facto, ont les mains libres pour profiter de la situation pour répercuter plus que proportionnellement la hausse des prix à l'international, puisque le contexte s'y prête. Par quoi la récente flambée des prix est-elle justifiée ? Le baril du pétrole avoisine durant ce mois de février 2022 les 90 $, en augmentation constante depuis juin 2020. Un prix qui s'explique par l'offre inférieure à la demande, en raison de l'importance des politiques de relance économique mises en place par les différents gouvernements, et de la décision de l'OPEP+ en avril 2020 de rationner la production en prévoyant des quotas pour chacun de ses pays membres. La baisse de l'offre était donc programmée par ces pays-là. Manque de régulation L'augmentation des prix du brut justifie-t-elle les prix affichés à la pompe ? Pour l'économiste Yasser Tamsamani, deux autres composantes affectent le chiffre final : les taxes, qui sont fixes, mais surtout le comportement de marge des distributeurs. « Si les distributeurs sont en position de force sur le marché, ce qui semble être le cas au Maroc où le marché n'est ni concurrentiel ni régulé, ils auront les mains libres pour avoir un comportement de marge agressif en cas de hausse des prix du pétrole ». Pour lui, l'intervention du gouvernement est nécessaire dans ce sens, pour absorber la hausse des prix à l'international. La libéralisation des prix était-elle alors nécessaire dans un pays comme le Maroc ? Pour le docteur en économie de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, si les prix étaient toujours plafonnés, l'impact aurait été moins négatif. Il explique : « Avec le plafonnement, on aurait certes subi le choc externe sur les devises, et on allait voir l'effet sur le budget de l'Etat. Mais l'impact macroéconomique aurait été plus faible puisque ça n'allait pas affecter la consommation des ménages et des entreprises, et cela aurait eu un effet reproductif entre les distributeurs et les particuliers ». La compensation aurait donc pu empêcher la captation des rentes de la part des distributeurs. Le bout du tunnel ? Par ailleurs, la fermeture continue de la SAMIR est également un facteur non-négligeable sur l'augmentation des prix. Avoir la capacité de transformer le pétrole brut sur le territoire marocain aurait économisé au citoyen une certaine somme d'argent et aurait assuré une concurrence loyale entre les différents distributeurs avec leurs différentes capacités de stockage. La situation est-elle amenée à perdurer ? Yasser Tamsamani mise sur la carte de l'optimisme. «Les prix seront probablement revus à la baisse avec la reprise de l'activité économique et le retour à la situation prépandémique », rassure-t-il. Quoiqu'il en soit, conclut-il, une nouvelle augmentation pourrait mettre à mal l'économie internationale: « Des prix plus élevés impacteront négativement les quantités vendues ». Mohamed BERRADA Repères Déjà vu ? Si le prix atteint du baril du pétrole peut sembler extrêmement cher, le chiffre est à relativiser. Le niveau des prix du pétrole d'aujourd'hui n'est en effet pas inédit. Durant l'épisode post-crise des subprimes, le prix a oscillé autour de 100 $ le baril. A cette époque, tout le monde, producteurs et consommateurs, s'en réjouissaient, en le considérant comme le nouveau prix d'équilibre. « Cette hausse n'est pas une fatalité et son effet peut être absorbé par des mesures à court et moyen termes », commente de son côté Yasser Tamsamani. Cependant, il faut garder un oeil sur la situation en Ukraine et au Moyen-Orient avec l'Iran, puisque les conflits géopolitiques ont toujours eu un effet immédiat sur les prix du pétrole. La balle est dans le camp de l'OPEP+ Les perspectives plaident plutôt pour la stabilisation de ces prix. Du côté de la demande, la croissance mondiale devrait ralentir suite à la normalisation des politiques économiques, et le dollar, monnaie de paiement pour le pétrole, s'appréciera. Quant à l'offre, elle devrait être abondante à ces niveaux de prix bien qu'il faille attendre la forme que prendra la nouvelle Organisation OPEP+. L'Organisation a déclaré le mois dernier que la production des pays membres avait augmenté de 166.000 barils par jour, sur une base mensuelle, au cours du mois de décembre dernier, tout en continuant à libéraliser les quotas de production selon l'accord conclu. L'info...Graphie Conjoncture Montée en flèche des bénéfices depuis la libéralisation
Entre 2015, année de la libéralisation des prix des hydrocarbures, et 2020, les opérateurs auraient réalisé des bénéfices de 38,5 milliards de dirhams. Un chiffre rapporté par le Front national pour la sauvegarde de la raffinerie marocaine de pétrole, la SAMIR, lors de son assemblée générale tenue en décembre 2021. Son président, Houcine Yamani avait précisé que ce chiffre inclut uniquement les bénéfices réalisés sur le gasoil et l'essence, et exclut le fuel industriel et le kérosène. Toujours selon la même source et dans le détail, les opérateurs ont engrangé 8,1 milliards de dirhams en 2016, 9,5 milliards de dirhams en 2017, 6,2 milliards 2018 et en 2019, une légère régression justifiée par le boycott de plusieurs marques, notamment Afriquia, filiale du groupe Akwa. En 2020, malgré la pandémie, le chiffre est reparti à la hausse pour atteindre 8,5 milliards. Par ailleurs, la marge des pétroliers est passée de 7% à 14% durant cette même période.
Pratiques anticoncurrentielles
Une épine dans le pied du Conseil de la Concurrence
Alors que le Conseil de la Concurrence s'apprêtait à affliger, fin juillet 2020, une amende record aux distributeurs pour non-respect des règles concurrentielles, un communiqué du Cabinet royal a annoncé la constitution d'une commission ad-hoc pour statuer sur le processus de prise de décision par le président du Conseil à l'époque, Driss Guerraoui. Ce dernier a été remplacé par Ahmed Rahhou, sur décision du Souverain. Depuis, l'aboutissement du dossier demeure lié à la réforme du cadre juridique régissant la concurrence, chantier pris très au sérieux par la ministre de l'Economie et des Finances, Nadia Fettah Alaoui. Cependant, le Conseil de la Concurrence est-il légitime à statuer sur la question ? Pas sûr, si l'on croit Yasser Tamsamani. Pour lui, le marché des hydrocarbures ne remplira jamais les conditions théoriques de la concurrence pure et parfaite. Le nombre d'opérateurs restera toujours limité. « Nous parlons d'une activité capitalistique avec un coût fixe important qui entrave la libre entrée et sortie de ce marché. La concurrence n'est alors pas envisageable. Elle n'est pas non plus souhaitable car imposer une tarification comme s'il y a concurrence rend l'activité non viable économiquement étant donné que les charges fixes ne seront pas couvertes. Dans ces conditions, les opérateurs finiront par quitter ce marché ». La solution, selon lui, est de créer une agence de régulation, plus à même de s'adapter aux spécificités du marché.
Trois questions à Yasser Tamsamani, économiste « Les craintes sont à relativiser »
Yasser Tamsamani, docteur en économie de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, nous livre sa lecture de la flambée des prix des hydrocarbures. - Quelles sont les raisons derrière l'augmentation du prix du pétrole ? - La hausse des prix est un signe de rareté accrue. Dans le cas du pétrole, celle-ci est la résultante aussi bien d'une redynamisation de la demande avec l'accélération de la croissance économique mondiale en 2021 que d'un rationnement de l'offre suite à l'accord des pays de l'OPEP+ du 12 avril 2020 qui prévoit une baisse conséquente de leur production jusqu'à fin avril 2022. - Faut-il craindre cette hausse au Maroc? - Certes, cette hausse a un coût en termes de pression sur le stock de devises et de baisse du pouvoir d'achat des ménages défavorisés. Pour ces derniers, cette hausse ressemble à une taxe régressive, donc injuste. Mais au niveau agrégé, les craintes sur l'ampleur de son effet sont à relativiser, car d'abord l'inflation en tant que hausse généralisée et autoentretenue des prix est peu probable dans le cas du Maroc pour des raisons structurelles... - Que doit faire le gouvernement pour remédier à la situation ? - A court terme, on peut penser à une aide ciblée au profit des ménages dépendants du pétrole dans leur quotidien et qui habitent souvent les zones préurbaines et rurales. Aussi, il y a urgence de créer une agence de régulation de la distribution des produits pétroliers afin de contenir le comportement de marge des entreprises de ce secteur. A moyen terme, le développement des biens et services substituables (transports en commun) à ceux énergivores et un recadrage de la stratégie de la transition énergique sont des leviers pour amortir un choc pétrolier. Recueillis par M. B.