Malgré le souffle d'espoir qu'a connu le secteur de location de voitures grâce à la saison estivale et à une courte période d'assouplissement des mesures sanitaires, les professionnels du secteur craignent de ne pas pouvoir se relever des répercussions de la crise Covid-19. Le retour des MRE et la saison estivale ont représenté un bol d'oxygène pour les professionnels de la location de voitures après deux années cauchemardesques d'arrêt d'activité presque total. Tout au long des mois de juin et de juillet, la ruée sur les voitures de location a laissé croire que cela pourrait aider à atténuer les répercussions de la crise économique persistante, mais aujourd'hui encore, les professionnels du secteur se retrouvent dans un noir absolu. Explosion des prix Les demandes de touristes et des MRE sur des voitures de location à prix raisonnables se sont multipliées sur les réseaux sociaux durant l'été. Selon ces publications, les voitures ne sont plus disponibles dans plusieurs villes, notamment Oujda, Fès ou Casablanca, ou encore elles sont proposées à des prix exorbitants. « Nous avons commencé à chercher une voiture à louer pour notre séjour au Maroc bien avant notre arrivée, toutefois, nous n'avons pas réussi à trouver une seule dans la ville d'Oujda », nous confirme Fouzia, une Marocaine résidente en France. Pour sa part, Hassan, venu de Belgique en compagnie de sa famille, déplore l'inflation prodigieuse des tarifs : « Nous avons dû payer 500DH pour une voiture de qualité moyenne, la même qu'on louait avant à 200DH ». De leur côté, les agences de location de voitures considèrent que l'augmentation des prix est légitime vu la grande demande et les répercussions de la crise. En effet, la décision royale de faciliter le retour des MRE, les dispositifs « exceptionnels » et « historiques » proposés par la RAM et les transporteurs maritimes, ont encouragé des milliers de MRE à venir passer les vacances dans leur patrie, ce qui explique la grande demande sur ce service parfaitement touristique. D'ailleurs, le nombre de MRE arrivés par ferry a diminué par rapport aux années précédentes, vu l'exclusion de l'Espagne de l'opération Marhaba : « Nous avions l'habitude de venir avec notre propre voiture, mais on a opté pour l'avion cette année vu le prix accessible et aussi vu qu'il n'y a plus de navires qui passent directement de l'Espagne », nous a annoncé Omar, Marocain installé à Saragosse avec sa famille. Mutisme gouvernemental L'explosion des prix de locations est due également à l'absence de mécanismes de soutien gouvernementaux à ce secteur. Mohammed S., propriétaire d'une agence de location à Rabat, nous déclare d'un ton accablé : « Pour deux longues et dures années, nous étions presque en arrêt. Alors que notre secteur reste essentiel au rayonnement de l'industrie touristique nationale, nous étions les oubliés du gouvernement. ». Ainsi, une grande majorité était dans l'obligation de réduire ses flottes, de licencier du personnel, de prendre des crédits... d'autres ont même déclaré faillite et ont vu leur source de revenu se tarir. En réaction au mutisme du gouvernement, les professionnels du secteur ont décidé de mener une grève nationale à Rabat, le 20 juin, et d'autres au niveau régional, le 10 juillet. Toutes les agences de location de voitures ont été complètement fermées, indique un communiqué conjoint de la Fédération des Loueurs d'Automobile Sans Chauffeur au Maroc (FLASCAM), le Syndicat Patronal National des Loueurs de Voitures (SPNLV), et le syndicat des professionnels de la location de voitures. Toutefois, le gouvernement n'a encore aucun plan pour sauver ce secteur dans un contexte qui n'offre aucune visibilité aux professionnels. Un secteur au bord du gouffre Le secteur de location de voitures regroupe plus de 10.000 entreprises déclarées en plus des loueurs informels, le secteur recense une flotte de près de 140.000 véhicules. A cause de la crise Covid-19, un bon nombre de ces voitures se sont soit vendues dans le marché de l'occasion, soit ont été saisies par les banques. Ainsi, les professionnels de location tirent un cri d'alarme unanime. Pour eux, les banques n'ont fait qu'empirer leur situation : « Contrairement à ce qui nous a été dit, le rééchelonnement de crédit, suite à la crise Covid-19, n'est pas gratuit. Nous avons signé deux demandes de report du paiement qui contiennent des clauses pas très claires », déplore Anasse, propriétaire d'une agence de location. Finalement, les loueurs de voitures alarment quant à la prolifération des loueurs informels qui font une concurrence déloyale aux entreprises structurées. « Alors que notre secteur souffre déjà d'une panoplie de problèmes, l'intrusion de ces personnes complique la situation. Les clients sont sous un grand risque d'être arnaqués et la réputation de notre secteur en prend un coup. Nous demandons aux autorités d'intervenir pour organiser ce secteur au bord du gouffre ».
Hiba CHAKER L'info...Graphie 3 questions à Fouad Meliani « Actuellement, près de 60% des locations se font dans l'informel »
Fouad Meliani, président du syndicat patronal national des loueurs de voitures au Maroc, a répondu à nos questions sur la situation qu'endure le secteur de location de voitures. - Le secteur de location de voitures a été frappé de plein fouet par la crise Covid-19. Y a-t-il eu des mesures spéciales pour vous soutenir ?
- Le secteur souffrait déjà à cause du cahier de charges du ministère des Transports qui a dépassé 25 ans et qui est obsolète. Il n'a jamais été revu malgré les appels multiples des syndicats et des professionnels. La situation a empiré avec le Covid et personne n'a levé le petit doigt pour nous aider. A part le soutien de l'Etat via la CNSS de 2000 DH, l'on n'a rien reçu malgré les manifestations répétées. D'ailleurs, les banques n'ont pas arrêté les remboursements et ont fait un rééchelonnement du crédit exorbitant. Pis encore, plusieurs entrepreneurs ont vu leurs voitures saisies par les banques à cause du retard de paiement des crédits dans des jugements par contumace. Les banques ont même mis la main sur les comptes bancaires et les fonds de commerce. Tout cela n'a pas eu que des effets économiques mais aussi des effets psychologiques graves pour certains, 4 personnes du secteur se sont suicidées. - Comment pouvez-vous décrire la situation actuellement ?
- Certes, nous étions contents de la reprise de notre activité mais cela risque de s'arrêter encore une fois. En outre, nous souffrons encore des répercussions de la crise et d'autres problèmes. L'offre a diminué de plus de 30%. Moi personnellement, j'avais 16 voitures, j'ai pu en garder 5 après cette crise, ce qui a engendré le problème de la hausse des prix. Les crédits Oxygène et Relance n'ont pas été attribués à notre secteur. Il y a un non-respect des cahiers de charges. 60% des personnes qui louent actuellement travaillent dans le secteur informel. - Que revendiquent les professionnels du secteur, alors ? - Il faut sauver l'entrepreneur marocain dans la location de voitures et le remettre sur les rails. Cela se fera d'abord à travers l'actualisation du cahier de charges, une réconciliation avec les banques et des formules spéciales avec les assurances. Finalement, il faut que l'Etat contrôle et les agences en situation régulière et celles travaillant dans l'informel.