Partir à l'assaut du deuxième plus haut sommet de la planète, est le nouveau défi que ce champion de l'alpinisme marocain compte relever. - Vous serez le premier Marocain, Arabe et Africain à atteindre le sommet du K2, qui est le plus dur au monde. Qu'est-ce qui vous motive à relever ce défi ? - Le K2 est considéré comme le plus difficile au monde dans la catégorie des 8.000 mètres, qui regroupe quatorze montagnes. Sa dureté vient de sa position géographique. C'est le seul sommet de la catégorie des 8.000 mètres, le plus au Nord de la chaîne de l'Himalaya. Plus on s'y approche, plus les conditions durcissent et la pression atmosphérique augmente. Le corps humain y est poussé à ses limites, d'autant que les pentes à gravir sont particulièrement raides. Bien sûr, il y a des sommets de 4.000 et de 5.000 mètres plus durs ou qui n'ont jamais été conquis. Chaque montagne a ses spécificités et particularités. - Pourquoi souhaitez-vous gravir cette montagne, une aventure qui peut être fatale ? - C'est au moins pour deux raisons, l'une en rapport avec l'alpinisme et l'autre d'ordre personnel. Je ne cherche pas une notoriété ou un exploit égoïste. Je vois que le K2 n'a jamais été atteint ni par un Marocain ni par un Arabe ou un Africain. Ce serait une consécration et une fierté nationale, puisque le Royaume ne s'est pas encore confirmé dans cette discipline. L'autre raison, personnelle, est de rendre hommage à mon père, décédé il y a quelques mois. Il voyageait beaucoup au Pakistan pour des séjours spirituels et de méditation. Ce qui a changé sa vie, et la nôtre également. Le Pakistan est un pays qui me parle. J'y vais pour accomplir une "mission" en grimpant le K2, qui est situé à la frontière sino-pakistanaise dans la région autonome du Gilgit-Baltistan. - Peut-on parler de l'alpinisme comme un sport confirmé au Maroc ? - Vu le nombre de personnes qui les ont conquises, certaines grandes montagnes ne sont plus vues comme des défis. Aujourd'hui, ça a pris une forme commerciale et touristique, car les sherpas y ont acquis de l'expérience. Au Maroc, il s'agit encore de tourisme de montagne, qui est loin du vrai alpinisme. Quand on voit ce qui se passe à Toubkal par exemple, c'est désolant ! Des gens y vont pour faire du tourisme. De mon point de vue, par respect à l'exploit des autres alpinistes, je cherche de nouveaux défis. Les montagnes ont un esprit sacré. Certains montagnards, au Népal par exemple, les protègent, quitte à en interdire l'accès aux alpinistes. - Certains pensent que «le vrai alpiniste ne veut pas d'infrastructure, il veut aller se mesurer à la nature sauvage». Êtes-vous adepte de cette doctrine ? - Absolument. Je suis pour l'alpinisme sauvage. Malheureusement, l'alpinisme s'est démocratisé d'une manière négative. Il convient ici de rappeler les propos de l'un des grands alpinistes, Reinhold Messner, qui est toujours en vie. Il dit qu'aujourd'hui, "l'Everest s'est tellement vulgarisé qu'un chien pourrait demain le faire ". De mon point de vue, un véritable alpiniste est celui qui grimpe le Mont Blanc mais en mode alpin, au lieu de gravir l'Everest, qui est deux fois plus haut, via un itinéraire balisé et accompagné de sherpas. Dans cette discipline, on peut être accompagné par un autre alpiniste avec qui on crée une nouvelle voie, qui n'est pas fixée par des cordes. - L'alpinisme, en général, est dur et exige une condition physique particulièrement forte. Comment vous préparez-vous pour réussir le défi de battre le K2, l'hiver prochain ? - Il y a trois phases de préparation. Une première, déjà accomplie. Il s'agit de mes précédentes réalisations, en alpinisme et en triathlon. C'est de l'endurance, mais ce n'est pas suffisant. On a besoin de techniques pour faire de l'alpinisme. Pour cela, si j'ai des sponsors pour m'accompagner, je compte escalader le Kilimandjaro, une montagne située au Nord-Est de la Tanzanie et l'Elbrouz situé au Nord du Caucase, en Russie, et puis le Denali, qui est la plus haute montagne d'Amérique du Nord. De plus, il est probable que j'aille au camp de base de l'Everest, en compagnie d'un autre alpiniste marocain, ce qui me permettra de m'acclimater aux conditions de pression et de température. Recueillis par Safaa KSAANI Portrait Un Marocain en quête de sommets Ibrahim Bennouna est de cette trempe d'hommes qui veulent toujours aller plus vite, braver les sommets, les surpasser pour en atteindre d'autres. Ce trentenaire est ingénieur télécom. Son quotidien s'articule autour du sport. La quête de l'inconnu est le poinçon de sa volonté. Il identifie des challenges à la hauteur de ses ambitions, et canalise son énergie dans une optique de dépassement. Homme de tous les défis, aux aptitudes hors normes, il a grandi à Fès pas loin des montagnes du Moyen Atlas. Il a embrassé les défis sportifs d'une grande envergure, et a trouvé un terrain propice à l'accomplissement de ses objectifs. Ses exploits lui valent la reconnaissance de ses pairs, lui permettant de se faire un nom dans le milieu de l'alpinisme, qui est encore "mal développé au Royaume", selon lui. Son palmarès compte des triathlons en Europe qu'aucun autre Marocain n'a jamais osé glaner.Il a entre autres conquis le sommet du Mont Blanc en solitaire, traversé seul la « Mer de glace » alpine sans aucune assistance. "J'aime les défis. Quand j'ai commencé le triathlon, je suis tout de suite allé vers le triathlon extrême. Un parcours normal dans cette discipline commence par des petites compétitions, pour ensuite tenter les triathlons extrêmes, en passant par la catégorie "Ironman", que j'ai réussi à dépasser". S'inventant sans cesse de nouveaux challenges, Ibrahim Bennouna compte aller plus loin, enchaînant les plus hauts sommets du monde. En 2022, il compte conquérir le sommet réputé être le plus difficile au monde : le K2 dans l'Himalaya. "Au-delà d'un challenge, ce sommet est une aventure porteuse de sens, une sorte d'aboutissement pour l'engagement d'une vie", explique-t-il. Il deviendra ainsi le premier Marocain et Africain à réaliser cet exploit. S. K. Repères A la rescousse des montagnards Comme dans chaque défi sportif, une cause humanitaire est le moteur. Pour Ibrahim Bennouna, et si tout va bien, un premier collège sera construit dans le village d'Imlil. "Je suis en négociation avec certaines associations pour accomplir cette mission. Nous ciblons en premier lieu Imlil puisque c'est la première destination montagneuse au Maroc", nous confie-t-il. La cime du K2 rarement conquise La première tentative d'ascension du K2 remonte à 1902. Une expédition, composée d'Anglais et de Suisses, atteint 5 670 mètres d'altitude, rapporte l'encyclopédie Britannica. Au fil des ans, d'autres alpinistes s'attaquent à la montagne, sans jamais parvenir à son sommet. En 1939, une équipe menée par des Américains arrive à une hauteur de 8 380 mètres. Mais personne n'atteint la cime de la montagne avant une expédition italienne, au mois de juillet 1954. Pendant longtemps, aucune équipe ne dépasse les 7 650 mètres d'altitude, selon la BBC. Trois alpinistes disparus Trois alpinistes, qui tentaient l'ascension du K2, sont portés disparus depuis le vendredi 5 février. Il s'agit du Chilien Juan Pablo Mohr, du Pakistanais Muhammad Ali Sadpara, et de l'Islandais John Snorri. Une opération de recherche du trio est menée par un hélicoptère au-dessus des montagnes du Karakoram, dans le Nord du Pakistan.