Une date, un document, des revendications justes et ambitieuses, une répression coloniale démesurée et le point de départ de ce qui sera, douze ans plus tard, le début d'une ère nouvelle, celle d'un Maroc libre et orienté vers l'avenir. Il y a aujourd'hui 77 ans, un groupe de nationalistes courageux et déterminés a signé un acte fondateur dans l'histoire du Maroc moderne. Il étaient près de 70 dont une femme et représentaient les différentes régions du Royaume, à revendiquer l'émancipation du peuple qui, depuis 1912, vivait sous le joug d'un «protectorat» aux allures de colonisation. La commémoration de cet anniversaire crucial intervient cette année dans un contexte qui confirme la détermination du Maroc à poursuivre son processus de libération et de recouvrement de son intégrité territoriale. Dans la continuité de l'esprit du 11 janvier, le Royaume a accompli des pas de géant dans ce sens. Les victoires diplomatiques, la reconnaissance de la marocanité du Sahara par un nombre de pays arabes et africains, et celle officielle des Etats-Unis, la consécration légale des frontières maritimes atlantiques et la libération d'El Guergarat ont d'ailleurs marqué le cours de l'année 2020 la consacrant comme une année charnière dans ce processus. Les villes occupées de Sebta et Melilia restent un volet important pour achever, pour de bon, cette question de souveraineté de la Nation marocaine sur ses terres ancestrales. La date la plus importante de l'histoire du mouvement national Les historiens s'accordent à dire que cette date est la plus importante dans l'histoire du mouvement national et de la lutte pour l'indépendance du pays. Présenté, le 11 janvier 1944, ce document a constitué un tournant décisif dans la lutte visant à affranchir le royaume du colonialisme, scellant un pacte entre le roi, Feu Mohammed V, et les figures du Mouvement national. Cet accord, qui illustre la volonté commune du Trône et du peuple d'en finir avec le protectorat pour un Maroc libre et indépendant, a permis d'entamer la phase de revendication publique de l'indépendance et de la souveraineté nationale. A lire rétrospectivement le Manifeste, à regarder la manière dont le problème de l'Indépendance avait été posé, nous restons impressionnés par la force de la revendication qui marqua le contenu du texte, à un moment où le monde sortait difficilement de la Deuxième Guerre mondiale, où la France sortait de l'occupation nazie. Dès les premières lignes, les signataires réclamèrent l'indépendance du Maroc dans son intégrité territoriale sous l'égide du Roi Mohammed Ben Youssef. L'indépendance et rien d'autre, mais sous l'autorité du Roi légitime, et seul garant de l'unité et le symbole de la souveraineté. Il y avait à l'évidence une subtile logique dans le propos qui posait la libération comme principe incontournable. Cette exigence que la libération du Maroc ne pouvait s'effectuer que dans ses frontières naturelles et dans l'intégrité territoriale du Royaume représentait un point de non retour dans la marche du rétablissement du droit d'une Nation à disposer d'elle-même. La commémoration de la journée du 11 janvier cristallise ainsi la volonté de tous les patriotes sincères et dévoués à la cause du peuple de mener ensemble la lutte pour ouvrir de nouveaux horizons, forger une nouvelle mentalité et donner au Maroc démocratique et souverain la place qui lui sied sur la carte du monde. Un acte fondateur dans l'édification du Maroc moderne Cette édification de l'avenir du Maroc, jouissant de son indépendance politique, économique et culturelle et où tous les citoyens profitent de façon égale des fruits de cette indépendance, exige la conjugaison des efforts de tous et la mobilisation de toutes les potentialités pour relever les défis et consolider les fondements d'un édifice solide capable de faire face à tous les défis. Le 11 janvier a été le point de départ pour le peuple marocain afin d'établir la démocratie, de surmonter les obstacles et de disposer de tous les moyens de défense et d'immunité. La présentation de ce Manifeste le 11 janvier 1944 à feu S.M Mohammed V, au Résident général français, aux consuls de Grande-Bretagne et des Etats-Unis au Maroc et à l'ambassadeur de l'Union Soviétique, a constitué un cap décisif dans la lutte du peuple marocain. Après avoir pris connaissance de cet important événement, ce peuple libre et fier a organisé des actions dans plusieurs villes. Les autorités coloniales ont alors procédé à l'arrestation de plusieurs leaders du Mouvement national, à la suite de quoi des grèves et des manifestations ont éclaté, particulièrement dans les villes de Rabat, Salé et Fès. Le 11 janvier 1944 concrétise donc le fait que le peuple marocain avait dépassé le stade de revendication des simples réformes économiques, administratives et sociales pour exiger l'indépendance du pays. Le programme était ainsi tracé et les objectifs définis. Une feuille de route qui servira de socle auquel s'attacheront aussi bien le Roi que les nationalistes marocains autour de lui. Une stratégie a tout de suite pris forme, adaptée aux circonstances nationales, mais en corrélation aussi avec les textes qui fleurissaient un peu partout dans le monde à cette époque sur les mouvements de libération nationale. Aussi bien dans le monde arabe qu'en Asie ou en Afrique. Ce n'est pas par hasard que des années plus tard, suscitant des échos d'admiration en Afrique et en Asie, le combat de Mohammed V fut évoqué comme une forte illustration de l'engagement politique, fait de sagesse et de détermination. Ce n'est pas non plus un hasard si les autorités coloniales françaises , mesurant la profondeur des liens qui unissaient le Roi et son peuple, n'en démordirent pas une seconde pour briser ce lien sacré et en découdre avec le guide de la nation, propulsé désormais sur la scène nationale et internationale comme un leader dont la force de conviction, l'esprit de sacrifice pour son peuple, la vision lointaine allaient de pair avec le charisme que dégageait sa personne. Il aura fallu aussi une véritable conspiration, une campagne sournoise d'intrigues et de complots en sous-main, menés par le général Juin et des mercenaires de sous-préfecture, pour réussir à exiler, un matin du 20 août 1953, le Roi et sa famille, le contraindre de force à quitter son pays et à s'éloigner de son peuple. Une véritable forfaiture, c'est ce qu'a été le complot d'un groupe de connétables envers la personne qui incarnait l'histoire millénaire du Maroc et portait tous les espoirs du peuple en lui. Une répression démesurée, une détermination à toute épreuve La répression qui suivit la publication du Manifeste du 11 janvier et la réunion au Palais Royal de Rabat entre le Souverain et les nationalistes était féroce. Elle n'avait d'égale que la résolution coléreuse mais calme et froide de Mohammed V à défendre la liberté de son peuple et l'indépendance de son pays. Le 10 avril 1947, en visite à Tanger avec sa petite famille, il prit sur lui de prononcer du haut de la Mandoubia, dans cette cité méditerranéenne séparée seulement de l'Europe par 13 kilomètres, un discours historique fondateur. Cet appel solennel eut un retentissement international, compte tenu du fait que la capitale du Nord avait un statut particulier de Place internationale et, de ce fait, servait de caisse de résonance à la revendication royale qui n'était autre que la revendication d'indépendance du peuple. Le coup de traîtrise du général Juin du 20 août 1953 aura été la sinistre réponse à la ténacité du Souverain, mais qui n'a en rien entamé sa perspicacité et à sa résolution puisqu'en décembre 1952, soit quelques mois auparavant, des révoltes populaires d'une rare violence éclatèrent dans les Carrières centrales de Casablanca après l'assassinat en Tunisie du leader syndical Farhat Hachad, révoltes qui se déroulèrent aussi, surtout, sous l'emblème du soutien au Roi, prenant de court le préfet français de la ville, Boniface et ses troupes. La conjonction entre le Roi et les forces nationales ne faisait plus de doute pour les responsables coloniaux. D'ailleurs, ils mesurèrent les enjeux non sans gravité et conclurent à la nécessité d'en extirper les racines. Ce qu'ils firent, sans toutefois se rendre compte qu'ils renforçaient la symbiose entre Mohammed V et son peuple, donnant à l'un et à l'autre une légitimité supplémentaire à continuer le combat libérateur au nom de la justice, de la liberté et de la dignité. Le 16 novembre 1955, après deux an d'exil en Corse et à Antsirabé (Madagascar), après aussi de laborieuses négociations menées à la Celle Saint-Cloud avec Antoine Pinay et Edgar Faure, Mohammed V regagna le Royaume et y fit un retour triomphal dans une liesse populaire indescriptible qui aura laissé une empreinte indélébile dans la mémoire de millions de marocains.
Mustapha Bourakkadi Les signataires du Manifeste de l'Istiqlal du 11 Janvier 1944 - Ahmed Ben Taher Mékouar; - Mohamed Ben Larbi Alami; - Hassan Benjelloun; - Mohamed Ben Abderrahmane Saâdani; - Abdeslam Mestari; - Mohamed El Bouâmrani; - Malika El Fassi; - Tahar Zniber; - Ahmed Cherkaoui; - Ahmed El Manjra; - Jilali Bennani; - Haj Hassan Bouayad; - Ahmed Hamyani; - Mohamed Ghazi; - Mohamed Ben Jilali Bennani; - Abdellah Ibrahim; - Kacem Ben Abdeljlil; - Ahmed El Yazidi; - Abdelkrim Benjelloun; - Saddik Benlarbi; - Mohamed Riffai; - El Hafiane Cherkaoui; - Hachmi Filali; - Mohamed Bensouda (Soudi); - Abdelkebir El Fassi; - Abdelhadi Sekkali; - Mohamed Bel Khadir; - Driss M'hammedi; - Omar Ben Abdejlil; - Abdeljlil El Kabbaj; - Kacem Zhiri; - Abdellah Benaâmr Rahmani; - Abdelkader Hassan; - M'hamed Zghari; - Ahmed Bendella; - Mohamed Issaoui Mestassi; - Ahmed Bahnini; - Mohamed Laghzaoui; - Omar Benchemssi; - Messaoud Echiguer; - Abdelouahab El Fassi; - Mohamed El Bakkalli; - Mohamed El Fatmi El Fassi; - El Houssein Ben Abdellah El Ouarzazi; - Abdelhamid Ben Moulay Ahmed Zemmouri; - Ahmed Ben Bouchta; - Ahmed Benchekroun; - Nasser Ben Hadj Larbi; - Mohamed El Yazidi; - Mohamed Diouri; - Abdellah Er-Regragui; - Aboubakr Sbihi; - Mohamed El Jazouli; - Amr Ou Bennaceur Zemmouri; - Mohamed Ben Azzou; - Ahmed Balafrej; - Abdekaziz Ben Driss Lamraoui; - Bouchta Jamaï; - Mohamed Hamdaoui; - Haj Othmane Jorio; - Boubker El Kadiri; - Abderrahim Bouabid; - Mehdi Benbarka; - Abdelkbir El Fassi El Fihri; - M'Barek Ben Ahmed El Gharras; - Mohamed El Fassi. Repères L'autre manifeste du 11 janvier Près de 20 après le premier Manifeste, en 1963, le parti de l'Istiqlal a conçu un second document essentiellement axé sur le principe d'égalitarisme, l'indépendance économique, les efforts de formation dans tout les domaines, la réforme agraire, la redistribution équitable des richesses et l'édification du Maghreb. Ce manifeste signé Allal El Fassi, leader historique du parti, avait pour but de revendiquer des mesures concrètes pour matérialiser les objectifs du mouvement national et l'édification d'un Etat moderne, démocratique et ouvert au monde. Une Dame à la tête du parti Suite au Manifeste, les autorités coloniales ont incarcéré la majorité des leaders de l'Istiqlal dans l'optique de neutraliser leur influence sur le peuple, et par la même occasion démembrer l'organisation du parti. Mais c'était sans compter avec l'intelligence et la force de caractère de Feue Malika El Fassi (la seule femme signataire) qui a assuré avec brio le fonctionnement des instances du parti en l'absence de son leadership. Preuve supplémentaire de la valeur d'une digne représentante de la gente féminine dans la lutte pour l'indépendance et la souveraineté du Royaume.