Par Vincent Hervouët Les commentateurs ont évité de dresser le bilan de ses années au pouvoir. L'heure du deuil n'est pas celle de régler les comptes. Sauf dans un domaine, sa politique étrangère. C'est à la tête de son armée et de sa diplomatie, que Jacques Chirac aurait le mieux servi la France. C'est ce qu'ont répété pendant des heures les commentateurs. C'est un paradoxe tant il est difficile de discerner la part de responsabilité d'un dirigeant dans les réussites ou les échecs d'une politique internationale. En réalité, les Français sont reconnaissants à Jacques Chirac car ils ont eu l'impression d'être à la hauteur de l'image qu'ils se font d'eux-mêmes. A la hauteur aux côtés de grand escogriffe qui arpentait le monde avec une vraie sympathie pour les peuples et les cultures différentes. Avec Jacques Chirac, la France a eu le sentiment de compter dans le monde. C'est peut-être une illusion mais quelle consolation ! Il faut se souvenir que sa présidence commence sabre au clair. En 1995, des casques bleus français sont pris en otages par des miliciens serbes en Bosnie. La France mitterrandienne s'est enlisée dans l'ex-Yougoslavie. Le nouveau président envoie les paras qui montent à l'assaut. Deux sont tués. Mais c'est la fin de l'humiliation. Et le début d'une politique. La diplomatie aussi ferraille. La reprise des essais nucléaires pendant six mois, c'est un bras d'honneur souverain au reste du monde. Partout, des écologistes assiègent les ambassades françaises au grand dam des diplomates mais Chirac tient bon : la dissuasion nucléaire est en jeu. C'est Jacques Chirac le Rebelle qui se révèle aussi à Jérusalem, alors que les garde-frontières israéliens et les hommes de la sécurité intérieure du Shin Beth lui marchent sur les pieds depuis deux heures. Le monde entier observe le scandale dans la via Dolorosa, puis à l'église Sainte Anne. Le Président remonte furibard dans la limousine blindée. Il arrive à l'hôtel King David où l'attend pour déjeuner Benymin Netanyahou qui fête ce jour-là son anniversaire. La tension est palpable. La sécurité fait encore du zèle. Elle est traumatisée par l'assassinat de Yitzahak Rabin, encore tout récent. Les portières restent fermées, de grandes toiles bleues sont tendues pour cacher la vue. Jacques Chirac dit : « Et maintenant, ils vont laver la bagnole ! ». Ceux qui l'accompagnent éclatent de rire. Et le Premier ministre israélien stupéfait voit un président hilare descendre de voiture. A Ramallah, le lendemain le « Dr Chirac » sera acclamé par les Palestiniens et il restera fidèle jusqu'au bout à Yasser Arafat qui viendra mourir dans un hôpital militaire parisien. En 2003, Chirac/Asterix flanqué de son ministre Villepin/Assurancetourix tient tête aux Américains partis en croisade en Irak. Menacé d'un véto, George W. Bush se passera de l'Onu. Tout le monde se souvient d'un discours flamboyant. Cela fait oublier le bilan catastrophique de toute l'affaire. L'Onu est affaibli, le Moyen-Orient ne s'en relève pas, la France reste hors-jeu. Plus grand monde aux Etats-Unis ne défend l'aventure du Grand Moyen Orient. Mais l'absence aux obsèques à Paris d'un ministre américain montre que Washington en veut toujours à Jacques Chirac d'avoir eu raison trop tôt et d'une manière si éclatante. C'est le revers de la médaille. Avec Chirac, la France tenait son rang mais en 12 ans, elle a perdu du terrain. En Europe, avec l'échec du référendum sur le traité constitutionnel. En Afrique d'où elle s'est repliée au moment précis où le reste du monde s'y précipitait. Et en Asie où personne n'a versé de larmes chinoises. Comme si en politique étrangère, à l'heure du bilan, tout se réduit à la puissance.