Tous les penseurs et analystes politiques occidentaux, tels que les Américains, Bernard Lewis ou Richard Hass, qui avaient participé à la conférence annuelle d'Hertzilia en Israël, s'accordent à estimer que la raison de l'instabilité au Moyen-Orient n'est pas due au conflit israélo-arabe, resté sans solution, mais plutôt aux tentatives menées par l'Iran pour contrôler la région. De leur côté, les stratèges Israéliens présents considèrent que la seule menace, à court terme, provient de Téhéran. Une raison suffisante pour que Tel-Aviv soit le fer de lance du projet américain. L'interview accordée, jeudi dernier, par Jacques Chirac, au quotidien Le Monde dans laquelle il s'est montré «conciliant» en quelque sorte à l'égard du programme nucléaire initié par la République Islamique d'Iran, ne vient pas d'un vide. En effet, le président français, qui est parmi les mieux placés pour savoir si ce pays est d'ores et déjà dans l'œil du cyclone, voulait ainsi épargner l'implication de la France dans une éventuelle guerre de l'Occident contre l'Iran. Et, par là, anticiper, en mettant en garde tous les candidats à la prochaine présidentielle contre quelconque engagement qu'ils pourraient prendre lors de leurs campagnes en cours. La réplique, quelques heures apr ès, de George Bush aux propos de Chirac, en minimisant l'impact de ses déclarations, prouve que ce dernier est venu perturber réellement les plans mis en place pour la préparation médiatique et psychologique de l'imminente frappe militaire. Les responsables du département «Golfe arabo-persique» au Quai d'Orsay, affirment que la décision portant sur la frappe des soi-disant sites nucléaires iraniens est déjà prise depuis plus d'un an. La question qui se posait alors consistait à savoir si l'aviation américaine les bombarderait ou bien on confiera cette mission aux Israéliens, comme cela a été le cas avec la centrale irakienne de Tammouz dans les années 80. Même constat, ou presque, est fait par les Britanniques. Ces derniers estiment que si les Iraniens ne font pas marche arrière dans les plus brefs délais, la machine de guerre en préparation poursuivra son chemin. De plus, un des proches conseillers de Tony Blair, qui a voulu garder l'anonymat, a indiqué à La Gazette du Maroc, qu'il suffit d'une lecture approfondie des débats échangés à la conférence d'Hertzilia, la semaine dernière, pour comprendre les nouvelles orientations qui se résument par les trois axes suivants : La menace iranienne, en premier lieu, la montée de l'Islam radical anti-américain, occidental et israélien, et enfin la manière de traiter les erreurs commises par l'institution militaire israélienne lors de la deuxième guerre du Liban. Ce qui a attiré le plus l'attention des observateurs à Hertzilia, c'est le changement en profondeur de l'état d'esprit des participants à cette conférence géostratégique. Les experts militaires, les hommes politiques et les stratèges ne considèrent plus, comme avant, que l'instabilité de la région est due au conflit israélo-arabe demeurant sans solution, mais plutôt, aux intentions de l'Iran visant à mettre la main sur la région du Moyen-Orient, à travers une déstabilisation de ses Etats et le soutien des organisations terroristes qui se considèrent aujourd'hui en état de guerre contre les Etats-Unis et Israël. Ces participants, qui ne cautionnent aucune résolution du rapport Baker/Hamilton, insistent sur le fait que toute nouvelle concession sera expliquée par les forces arabes radicales comme étant une faiblesse de la part de l'Etat hébreu et un pas vers sa fin. Ce, comme l'avait déclaré, à plusieurs reprises, le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad. Cela dit, il ne faut pas, côté israélien, discuter les plans de paix et la réactivation de la fameuse «Feuille de route», mais dessiner un projet à long terme visant à faire face au danger iranien grandissant qui n'est pas comme celui des palestiniens et des pays arabes, loin de menacer l'existence d'Israël. Les discussions entamées à Hertzilia ont montré, sans aucun doute, que le problème ne résidait ni dans la poursuite de l'occupation des territoires arabes par les Israéliens ni au niveau des conditions de vie inhumaines dans lesquelles vivent les palestiniens, encore moins dans le refus d'Israël d'accepter toute solution à l'impasse de l'Autorité palestinienne, notamment après l'arrivée du mouvement Hamas aux commandes. Mais plutôt dans le danger émanant de l'Iran qui veut, à tout prix, devenir une puissance régionale, possédant l'arme nucléaire, capable de rayer l'Etat hébreu de la carte. Le souci de Tel-Aviv ne consiste plus à trouver les moyens lui permettant de faire face aux mouvements radicaux comme Hamas, le Jihad Islamique et le Hezbollah libanais, mais à déjouer le projet d'hégémonie politique mis en place par Téhéran, et contrecarrer son acquisition de l'arme nucléaire qui pourrait se trouver un beau jour entre les mains des organisations terroristes. Les débats d'Hertzilia ont aussi reflété la grande préoccupation de la société israélienne après le revers qu'avait essuyé son armée l'été dernier au Liban. La question, comme l'avait montré les différentes interventions, dépasse de loin la définition des responsabilités de l'échec militaire pour toucher un point beaucoup plus sensible, à savoir, le fond de la démocratie israélienne. Les polémiques et les accusations, qui avaient suivi cette rude épreuve, ont affaibli l'establishment d'autant qu'elles ont créé une méfiance de la société vis-à-vis de tous ses dirigeants sans exception. De ce fait, on demande aujourd'hui de récupérer cette confiance perdue, de coller les pièces du puzzle israélien. Ce qui ne peut se faire sans une victoire qui sort de l'ordinaire. Ainsi, la frappe des sites nucléaires iraniens pourrait constituer le meilleur alibi pour répondre à cette exigence. Dans ce contexte, le professeur Israël Omne du Centre d'études de l'Université hébraïque a, dans son intervention à Hertzilia indiqué que «sans les mobiles suffisants, nous ne pouvons pas résister ici». Et d'ajouter : «Nous sommes là parce que nous sommes des sionistes. Et parce que nous voulons réaliser un rêve existant depuis mille ans, c'est d'avoir un pays libre». Cet académicien israélien rejoignait ainsi certains militaires et hommes politiques qui estiment que les efforts déployés pour trouver une solution avaient des effets négatifs. Les retraits unilatéraux aussi bien de Gaza que des colonies adjacentes n'avaient abouti à rien. De ce fait, l'Etat hébreu devrait adresser des messages beaucoup plus forts à ses voisins ou «cousins» comme certains les appellent. Des messages dans lesquels, il leur fait comprendre qu'Israël n'est pas affaibli et qu'il possède toujours aussi bien la force que le facteur temps. Ces personnalités finissent par conclure que les concessions entraînent toujours la guerre mais la vigilance, les préparatifs de guerre, sont les seuls à ramener la paix. Le possibleet l'impossible Ce climat, qui comprend à la fois des analyses théoriques et des diagnostics sur les véritables dangers, pousse les dirigeants israéliens à se rapprocher de la logique d'une frappe militaire contre l'Iran. Les débats à Hertzilia étaient une sorte d'introduction à une mobilisation, du jamais vu par le passé, de la part de Tel-Aviv et de ses alliés occidentaux afin de s'apprêter à confronter la poussée iranienne arrivant vers elle aussi bien de l'Est que du Nord. Les analystes politiques britanniques rencontrés estiment que la majorité des informations et rumeurs qui circulent ces derniers temps, sur une éventuelle frappe israélienne des sites nucléaires iraniens, pourraient être de l'intox. Surtout que les Russes et les Chinois ont fait savoir au Premier ministre Israélien, Ehud Olmert, lors de ses visites, à la fin du mois dernier, à Moscou et Pékin, que l'idée d'une attaque est non seulement risquée mais inconcevable. Une telle aventure pourrait pousser les Iraniens à riposter. Ce qui engendrera une situation très grave dans la région et brouillera par la suite toutes les cartes. Les Russes ont conseillé à Olmert de compter jusqu'à 100 avant de franchir ce pas et mettre en danger le peuple israélien. De leur part, les Américains encouragent l'aile la plus dure au sein de l'armée israélienne pour faire pression sur les politiques. Ils leur montrent que si Israël réussit à frapper et détruire les sites iraniens, il écartera un danger qui le vise en premier lieu. Des généraux du Pentagone ont convaincu leurs homologues israéliens des forces de l'Air que leur aviation pourrait traverser les espaces irakien et jordanien pour atteindre leurs objectifs. Ce que craignent plusieurs responsables militaires à Tel-Aviv. Confier la tâche aux Israéliens épargnera aux Américains de supporter les conséquences d'une telle frappe, quels que soient les résultats. Ce qui permettra à Washington de concentrer plus ses efforts sur l'Irak. Une défaite de l'Iran après la perte de son programme nucléaire pourrait mener ses dirigeants à faire de grandes concessions en Irak. Par ailleurs, force est de souligner que les stratèges américains estiment qu'une frappe directe de la part d'Israël empêchera Téhéran de détruire des pétroliers dans le Golfe, notamment dans le dédroit d'Ormuz. Ce qui perturbera l'afflux du pétrole vers l'Occident. En dépit des efforts américains qui avaient, semble-t-il, apporté leurs fruits au niveau de la conviction de certains responsables israéliens, les autres demeurent réticents d'autant qu'ils ne sont pas favorables au paiement du prix à la place des Etats-Unis. Dans cette foulée, les stratèges israéliens, qui commencent à mesurer le pour et le contre de cette frappe menée par leur aviation, craignent une contre-attaque de la part des Iraniens. Celle-ci pourrait avoir des conséquences douloureuses au cas où elle dépasse le domaine classique des guerres. Israël est le mieux placé, plus particulièrement après la deuxième guerre du Liban, pour savoir la dimension des répercussions qui pourraient résulter de ses frappes. En tout état de cause, le scénario le plus probable pour l'instant consiste à montrer que l'exécution militaire directe de la part des Etats-Unis n'est pas à l'ordre du jour. Washington poursuivra, le cas échéant, ses pressions diplomatiques et économiques sur l'Iran. Elle donne ainsi le temps au temps, en attendant que les Israéliens tranchent et acceptent de jouer le jeu à sa place. Dans les coulisses du Congrès, notamment ce qui résulte des prévisions des Démocrates tels que John Kerry : «la solution militaire est impossible sauf si la folie des grandeurs à la Maison-Blanche voit les choses autrement».