C'est tout sauf une surprise. Le Rassemblement des musulmans de France (RMF-proche du Maroc) a largement remporté le 5 juin les élections au Conseil français du culte musulman (CFCM) pour le renouvellement de ses 25 instances régionales. Avec 62% des voix, il rafle 30 des 41 élus au conseil d'administration (CA) de cette institution censée représenter la diversité de l'islam, deuxième religion de France. L'élection du président du CFCM le 19 juin ne fait donc pas de doute: Mohamed Moussaoui (RMF) se succédera à lui même. Ce happy end pour le RMF est toutefois relativisé par le boycott des deux autres grandes fédérations du CFCM, la Grande Mosquée de Paris (GMF -proche de l'Algérie) et l'Union des organisations islamiques de France (UOIF -proche à l'origine des Frères musulmans). Au total, seules 700 mosquées sur environ 2000, ont participé au scrutin ce qui affaiblit évidemment la représentativité et donc la crédibilité du nouveau CA et, partant, du CFCM. Mohamed Moussaoui a bien sûr beau jeu de dédramatiser cette crise en notant que des listes communes à plusieurs fédérations ont vu le jour et que plusieurs mosquées n'ont pas respecté les consignes de boycott de la GMF dans deux régions clés Provence-Alpes-Côte d'Azur et Languedoc-Roussillon. C'est un signe clair de défiance à l'égard de son recteur Dalil Boubakeur qui semble ne plus représenter que lui même et l'Algérie. Alger peine à contrôler sa communauté Mais ni ce problème interne à la GMF, ni la démission surprise du président de l'UOIF Fouad Alaoui et son remplacement par un théologien Ahmad Jaballah susceptible de mieux répondre aux attentes de la nouvelle génération des musulmans français, ne masquent la réalité : huit ans après sa création aux forceps par Nicolas Sarkozy, l'organe représentant les musulmans de France est en pleine crise et plus divisée que jamais. Officiellement, c'est l'absurdité du mode de scrutin qui est à l'origine du boycott de la GMF et de l'UOIF. Les critères de représentativité basés sur la superficie des mosquées - un délégué par tranche de 100 m2 quelle que soit l'affluence avec limitation à 15 délégués à partir de 800 m2 - sont défavorables aux plus grandes, notamment à la GMF. Mais l'impossibilité du CFCM de trouver un terrain d'entente est plus profonde. Elle s'inscrit dans les luttes d'influence qui opposent les pays d'origine, l'Algérie et le Maroc. «Cette élection organise la diversité ethnique, pas le culte musulman», résumait Fouad Allaoui qui avait demandé le report du scrutin. L'enjeu est, il est vrai, décisif pour l'Algérie qui a de plus en plus de mal à encadrer et à contrôler sa communauté en France. Les associations mises en place par les consulats sont trop peu crédibles pour y remédier. Dès lors, Alger tente de se placer sur le terrain religieux en faisant de la Grande Mosquée de Paris l'élément fédérateur de toute la communauté algérienne en France. Contestation interne à la GMF Début juin, la GMF organisait à Lille un premier rassemblement européen de 1500 adhérents qui était en réalité une démonstration de force à trois jours des élections du CFCM. Le gouvernement français a d'ailleurs moyennement apprécié la participation de deux ministres algériens à la réunion d'une association française. Le réquisitoire prononcé à cette occasion par Abdallah Zekri, le président de la fédération du sud-ouest de la GMF, contre la gestion de Dalil Boubekeur donne en tout cas la mesure de la contestation interne. Selon le quotidien algérien Liberté du 5 juin, Zekri a accusé le recteur de «ne pas respecter les statuts de la fédération, de ne pas avoir concrétisé les projets sur le halal, le pèlerinage de La Mecque, l'assurance-obsèques, les loisirs des jeunes». Même grogne au sein de la fédération du Grand-Est qui dénonce une gestion «opaque», des «esprits renfermés et improductifs en haut de la pyramide, des comportements humains néfastes» ou le «gaspillage financier avec des milliers d'euros dilapidés dans des outils de communication sans effet»… Mais Mohamed Moussaoui aurait tort de compter sur cette grogne. Il va devoir montrer pendant son second mandat 2011-2014 sa capacité à avancer sur des « dossiers concrets : le financement de la construction de lieux de culte, la lutte contre l'islamophobie, la création de nouveaux postes d'aumôniers, l'abattage rituel et le dialogue interreligieux. Saura-t-il aussi tenir sa promesse «d'organiser de suite de nouvelles élections si un accord était trouvé» ? C'est sans doute la seule manière pour l'actuel et futur président du CFCM de compenser l'élection peu représentative du 5 juin et le déficit de légitimité du conseil d'administration mis en avant par ses opposants. LE CFCM attendu sur le terrain La question de la représentation de l'islam en France reste en effet entière à l'issue du scrutin. Ce qui n'aidera pas les musulmans à faire entendre leur voix auprès de l'Etat français. Pire : le CFCM risque de n'avoir aucun impact sur l'islam réel en France. D'autant que depuis sa création il y a huit ans, ce sont surtout les conseils régionaux - et beaucoup moins la structure nationale - qui ont fait ?uvre utile, notamment en aidant à la construction de carrés musulmans dans les cimetières, en formant des imams ou en sensibilisant les petites mosquées au danger des discours radicaux. Or les musulmans de base attendent le CFCM sur ce travail de terrain et sur une véritable action contre l'islamophobie ambiante en France. En la matière, les associations anti-racistes qui, au contraire du CFCM, n'ont pas la contrainte d'un dialogue permanent avec les autorités françaises, sont sans doute plus actives. En ce sens, la crise actuelle du CFCM peut être une chance : montrer qu'une instance représentative de l'islam en France passe aussi par une autonomisation des associations musulmanes les plus récentes et souvent les plus efficaces des grandes fédérations et des pays d'origine.