Si ce n'est pas une escalade, cela y ressemble. Chaque jour voit un nouveau signe de repli dans une France où Nicolas Sarkozy et la droite dure de l'UMP sont incapables d'imaginer remporter la présidentielle de 2012 autrement qu'en chassant sur les terres lepénistes. Quand le ministre de l'Intérieur Claude Guéant ne s'en prend pas à «l'immigration légale (…) de travail», il enfile les déclarations démagogiques - «les Français partagent ce constat : un excès d'immigration irrégulière les trouble, les ennuie…» - ou bombarde de chiffres le bon peuple en décrétant l'urgence de «réduire de 20.000 les 200.000 titres de séjour délivrés chaque année en France». Pendant ce temps, le ministre du Travail Xavier Bertrand en rajoute en expliquant «possible de réduire l'immigration légale liée au travail». Comment ? En «réduisant la liste des trente métiers ouverts aux étrangers» pour que les demandeurs d'emploi assurent ces «métiers en tension»… Une aberration économique qui fait bondir Laurence Parisot. La patronne des patrons sait que les entrepreneurs ont besoin des travailleurs immigrés puisque 150.000 postes de travail ne sont pas pourvus, les «Français» rechignant devant de mauvaises conditions de travail et de rémunération. De plus, l'Europe, compte tenu du vieillissement de la population, devra à l'instar des Etats-Unis y faire appel. Dans ce contexte, la sortie de Laurence Parisot n'a rien de surprenant. «Notre responsabilité, dit-elle, est de rappeler qu'au cours de l'histoire, les pays qui se sont repliés sur eux-mêmes dans les moments difficiles se sont appauvris. Le plus grand danger, c'est toujours de se refermer (…) Je ne crois pas qu'il faille faire de l'immigration légale liée au travail un problème. Restons un pays ouvert qui accueille de nouvelles cultures et profite du métissage». Menace sur l'Europe sans frontières Mais Nicolas Sarkozy s'obstine à concurrencer le Front National dans l'électorat de droite sur le terrain des supposés dangers de l'immigration. Désormais, ce sont les 25.000 migrants tunisiens ou libyens débarqués à Lampedusa depuis la chute du régime de Ben Ali en janvier et la guerre en Libye qui en font les frais. Le 17 avril, cet épineux dossier qui est à l'origine d'une crise ouverte entre la France et l'Italie a connu une nouvelle péripétie - à coup sûr hélas pas la dernière : Paris a bloqué pendant six heures la circulation de tous les trains de voyageurs entre Vintimille et la Côte d'Azur lors d'une manifestation en faveur des clandestins tunisiens retenus au poste frontière de Vintimille. Baptisé «train de la liberté», le convoi de manifestants n'a pu quitter Vintimille, tandis que Tunisiens et militants français et italiens occupaient les voies aux cris de «Nous sommes tous des clandestins» et «Liberté, Liberté». Objectif de Paris? Empêcher le passage en France d'une centaine de Tunisiens munis de titres de séjours de six mois délivrés par l'Italie. Faute d'obtenir que ces migrants soient répartis dans différents pays européens, Rome - qui refuse d'en assumer seule le poids - a frappé un grand coup en leur fournissant des titres provisoires. Ces titres leur permettent de circuler librement dans tout l'espace Schengen, et donc de se rendre en France comme beaucoup le souhaitent. Cette affaire n'est pas un simple épisode de la crise entre les deux pays. Elle ne révèle pas seulement les divergences sur la validité des titres accordés par l'Italie aux Tunisiens de Lampedusa (Paris exige en outre un document d'identité valide du pays d'origine et des ressources financières suffisantes pour entrer en France). Elle a aussi entraîné une fermeture des frontières en contradiction avec les accords de Schengen que Rome a eu beau jeu de déclarer «illégitime». Equilibrisme de l'UE Faute de pouvoir rouvrir les postes douaniers en raison de la libre circulation prévue par Schengen, le gouvernement français a mis en place un important dispositif policier pour contrôler discrètement mais sûrement les frontières sur les routes, au départ des trains qui relient la France à l'Italie et dans les gares de Menton, Nice et Cannes. Autant dire que l'instrumentalisation du problème des migrants tunisiens montre à la fois une Europe du chacun pour soi et menace l'Europe sans frontière. Elle risque en effet de faire exploser Schengen quoi qu'en dise le président du Conseil européen qui, dans un bel exercice d'équilibrisme, est venu au secours de Paris. Tout en admettant qu'il y a «danger» à ne pas respecter la libre circulation dans les vingt-cinq Etats de Schengen, Herman Van Rompuy note que ni l'Italie ni la France n'ont «rien fait à ce jour d'illégal»! En vérité, l'heure semble bel et bien à la fermeture de la forteresse Europe. Partout, les populistes et l'extrême droite y exploitent allégrement les peurs et les fantasmes créés par le printemps arabe. La percée du parti xénophobe et eurosceptique des «Vrais Finlandais» aux élections législatives du 17 avril en Finlande en atteste. Seul parti à avoir progressé - il est passé de 4 à 19% des voix depuis 2007 -, il devient la troisième force du pays. L'immigration a changé depuis vingt ans Pourtant, ni l'exode biblique lié aux révoltes arabes prédit par Nicolas Sarkozy puis par le chef de la diplomatie italienne Franco Frattini, ni les prévisions apocalyptiques de l'extrême droite en matière d'immigration ne se vérifient. «Il n'y a pas eu d'afflux massif depuis le printemps arabe. Les moments d'incertitude politique ou institutionnelle créent toujours un «appel d'air» migratoire. Mais si l'Europe est présente aux côtés des nouveaux régimes, on pourra dissuader l'immigration. La démocratisation du Maghreb est une bonne nouvelle», estime Dominique Paillé, le président de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et ancien porte-parole de l'UMP. On pourrait ajouter que 80% des réfugiés politiques au monde sont pris en charge par des pays en développement et seulement… 20% par les pays de l'OCDE. Ou que les immigrés représentent 8,6 % de la population européenne alors qu'ils sont 12,9% aux Etats-Unis. Quant à la France, elle compte moins d'immigrés (6,5%) que l'Allemagne (10 %)… Mais même ces chiffres ne disent pas tout. Au moment où Italie, Espagne, Grèce, Chypre et Malte appellent l'UE à débloquer plus de fonds pour les aider à prendre en charge les migrants venant d'Afrique du Nord et du Moyen Orient, une nouvelle donne devrait contribuer à dédramatiser cette question: le changement de l'immigration ces vingt dernières années. Elle est plus jeune, plus mixte, plus diplômée. On rêve du coup de voir le sommet Nicolas Sarkozy- Silvio Berlusconi prévu le 26 avril à Rome cesser d'occulter ce phénomène et de le réduire à «toute la misère du monde qui débarquerait chez nous». C'est sans compter sur une dérive électoraliste qui ne sert qu'à banaliser les chevaux de bataille de l'extrême droite.