On savait depuis longtemps l'Europe divisée sur la politique en matière d'immigration. Les révoltes arabes et la dislocation du régime libyen qui jouait les gendarmes pour empêcher les flux de clandestins de gagner l'Europe à partir de la Libye, n'ont fait qu'aggraver ces divisions. Car les migrants tunisiens, libyens et sub-sahariens profitent du relâchement des contrôles aux frontières de leur pays pour embarquer en nombre en direction des côtes italiennes. Quelques 25.000 Tunisiens y sont arrivés depuis le début de l'année, tandis que 500 migrants en provenance de Libye débarquaient à Lampedusa le 8 avril. La réunion des 27 ministres européens de l'Intérieur et de l'immigration consacrée à la situation en Méditerranée, qui s'est tenue le 11 avril 2011 à Luxembourg, était censée trouver des solutions communes à ces problèmes migratoires. Sans surprise, elle n'aura servi qu'à une chose : confirmer l'absence de toute politique européenne commune et de toute solidarité entre les Etats de l'UE. Un affrontement verbal assez rude y a même opposé plusieurs ministres: la France, l'Allemagne et l'Autriche veulent en effet fermer leurs frontières aux Tunisiens porteurs de permis de séjour de trois mois que l'Italie de Silvio Berlusconi a décidé de leur délivrer pour mettre les Européens devant leurs responsabilités, c'est à dire les obliger à «partager le fardeau». Une Europe de plus en plus restrictive Le problème, c'est que ces titres permettent aux migrants en situation irrégulière de circuler, comme tous les Européens, dans tout l'espace Schengen. Ce dont Français, Allemands, Autrichiens et Suisses - extérieurs à l'UE mais intégrés à Schengen – ne veulent pas entendre parler. Chacun, à commencer par la France, a en effet des politiques d'accueil de plus en plus restrictives, entre une Allemagne majoritairement opposée à une immigration sans strict encadrement même si elle commence à manquer de main d'œuvre spécialisée et une Espagne qui, après avoir régularisé plus de 600 000 étrangers en 2005, cherche à pousser ceux qui sont au chômage à rentrer dans leur pays d'origine en leur versant toutes leurs indemnités en deux fois… Pas étonnant dans ces conditions que l'appel de l'Italie à organiser la répartition des illégaux entre les différents pays de l'UE ait été rejeté sans ménagement à Luxembourg. «Nous avions demandé de la solidarité et l'Europe nous a répondu: débrouillez-vous tout seuls. Je me demande si cela a encore un sens de faire partie de l'Union européenne. Mieux vaut être seul qu'en mauvaise compagnie…», a lancé Roberto Maroni, ministre italien de l'intérieur et l'une des principales figures de la Ligue du nord, le parti xénophobe et anti-immigré. Paris est incontestablement en pointe dans ce refus. Pire : Nicolas Sarkozy et Claude Guéant ne se contentent plus de lutter contre les clandestins. Ils entendent désormais réduire aussi l'immigration légale qu'elle soit de travail, de regroupement familial ou liée à l'asile. Sarkozy ou comment plaire à la droite anti-immigration «Le Président de la République n'a jamais dit qu'il fallait développer sans limite l'immigration de main d'œuvre. Notre société a une capacité d'intégration qui n'est pas sans limite», affirmait récemment Claude Guéant pour expliquer ce revirement spectaculaire. En réalité Nicolas Sarkozy est obsédé, à un an de la présidentielle, par la chute libre de sa popularité et la montée en puissance de Marine Le Pen. Poussé par des conseillers venus de l'extrême droite comme l'ex journaliste Patrick Buisson qui le persuadent que les images télévisés des candidats à l'immigration venus d'Afrique du Nord font des ravages dans son électorat, Nicolas Sarkozy ne sait visiblement plus comment faire plaisir à la droite française anti-immigration. Certains observateurs pensent même que le chef de l'Etat voit dans une présence de Marine Le Pen au premier tour sa seule chance de passer au second. Cette stratégie est non seulement dangereuse et indigne. Elle est aussi inepte car les sondages qui prévoient un duel avec le Front National au second tour excluent la présence du président français au premier ! Cette obsession de la présidentielle explique en tout cas son attaque contre l'immigration légale alors qu'il a échoué jusqu'ici à «maîtriser les flux migratoires» et que cette offensive inquiète au plus haut point les milieux économiques. Ces derniers savent très bien en effet qu'en matière d'emploi, les migrants ne se substituent pas aux «nationaux». «C'est très dangereux un pays qui se ferme», a prévenu notamment la patronne du Medef Laurence Parisot. L'Europe sans frontière risque d'exploser Tout cela explique en tout cas que la France, suivie par l'Allemagne et les voisins de l'Italie, prévoit des contrôles renforcés pour interdire son territoire aux nord-africains et sub-sahariens auxquels Rome veut donner un titre de séjour temporaire. Claude Guéant n'a pas caché que Paris utilisera «tous les moyens de droit» pour renvoyer de l'autre côté de la frontière italienne les migrants tunisiens en situation irrégulière. Une compagnie de CRS supplémentaire vient d'être mobilisée «pour des contrôles serrés et extrêmement vigilants». Ces contrôles auront lieu dans une bande de 20 km au-delà de la frontière et ne dureront «pas plus de six heures en un point déterminé», a précisé Paris pour prévenir les accusations de contrôles systématiques qui sont contraires à la directive européenne de Schengen sur l'Europe sans frontières. Le fait que d'autres pays européens aient aussi fait savoir à l'Italie qu'ils étaient prêts à rétablir des contrôles frontaliers est de mauvais augure. Avant tout, en termes humains, car comment abandonner à leur sort des hommes et des femmes qui prennent des risques insensés - plus de 4000 candidats à l'immigration sont morts en mer depuis trois ans - pour rejoindre un eldorado européen qui ne sera au bout du compte qu'un enfer pour eux? Mais c'est aussi un très mauvais signe pour l'avenir de l'Europe car l'introduction de nouveaux contrôles dans l'espace Schengen fera immanquablement exploser l'espace sans frontière que prévoyait cette convention signée en 1985 et institutionnalisée en 1997. En même temps qu'elle sanctionnera un revers sévère de la construction européenne.