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Les Otakus marocains, férus de manga
Publié dans L'observateur du Maroc le 26 - 11 - 2010

Nous sommes dimanche le 7 novembre 2010, il est 8h du matin, un calme religieux domine les alentours de la gare ferroviaire de Casa voyageurs. De frêles silhouettes débarquent, en petits groupes des premiers trains pour se frayer un chemin dans les ruelles du quartier la Gironde. Se rendent-ils à un match de foot ou une excursion spéciale? Ni l'un, ni l'autre. Ces jeunes âgés de 13 à 20 ans se dirigent vers le théâtre Mohammed VI pour assister à la Manga Afternoon (MA), événement réunissant des fans de bandes dessinées et dessins animés japonais. La 1ère édition avait rassemblé 100 fans, pour cette 7ème édition les organisateurs s'attendent à en recevoir plus de 800. Tous les deux mois, les MA sont devenus un rendez-vous incontournable pour les fans d'animés japonais.
Une place au paradis
En préparant cette édition de la MA, les organisateurs ont laissé tomber la piste de la salle Touria Sekkat et ses 400 places, «trop petite», juge Amine Nejjari, maître d'orchestre de la MA. Recette du succès, pas besoin de publicité, juste utiliser le plus puissant média au Maroc : Facebook et ses 2 millions de membres marocains. Les Outakus arriveront-ils à remplir les 800 places du théâtre Mohamed VI ?
Retour à l'entrée du théatre. C'est une foule monstre qui s'agglutine devant la porte d'entrée. Les billets d'entrée (50 DH) sont vendus en un temps record, un marché noir se crée autour du théatre. Les fans veulent décrocher le précieux sésame à n'importe quel prix, de quoi arranger les affaires des agents de sécurité transformés en vendeurs de tickets. À 10h du matin, le défi d'Amine et le reste du staff est de placer 1200 inconditionnels de manga dans une salle de 800 personnes. Tout le monde veut une place au paradis japonais. Opération délicate, qui a failli tourner au drame, mais dès qu'Amine monte sur scène pour présenter le programme de la MA, les Outakus oublient tout. D'adolescents très bruyants, ils se métamorphosent en fans respectueux de leurs collègues Otakus qui montent sur scène. C'est le côté nippon de ces jeunes Marocains. Cette matinée est réservée au concert de Japanese Rock (J-Rock), des bands chantent en japonais ou en anglais, le public donne la réplique dans une parfaite symbiose.
La planète manga au Maroc
La MA de Casablanca est unique non seulement au Maroc mais aussi au Maghreb et au Moyen-Orient. «C'est un rêve qui se réalise. Je regardais les MA japonais ou français sur internet, moi aussi j'ai la chance de prendre part à un événement du genre», lâche, émue Nada, 15 ans, venue de Kenitra avec une bande d'amis de Salé et de Rabat, tous fans depuis quatre ans. Leur premier contact avec les mangas s'est fait grâce aux chaînes satellitaires mais surtout grâce au développement du streaming (lecture d'un flux audio ou vidéo à mesure qu'il est diffusé). Amine, l'organisateur de l'événement est le plus «vieux» des Otakus casablancais, il a 27 ans et il est chef de projet dans une agence web. Pour lui, la rencontre des Marocains avec les mangas remonte bien avant l'arrivé d'Internet dans les foyers marocains. «Sans le savoir, tous les Marocains sont des fans de manga et des dessins animés japonais. On a tous regardé Namir al mou9ana3 ou Captain Majed [animés cultes des années 90]. Ces personnages qui nous ont marqués sont des mangas», rappelle-t-il. Pour lui, le succès d'aujourd'hui n'est que la continuation de cette époque.
L'autre animateur de la communauté manga au Maroc est Meryem de Rabat, alias Lalisoki. Cette jeune femme crée en août 2006 le site mangas-x-mangas.net, devenu carrefour des fans. Ils y trouvent vidéos, scans de BD et les infos des mangas dans le monde. Talons aiguilles, jeans moulants, foulard de soie vert bouteille sur la tête, elle court pour immortaliser les meilleurs cosplays* (voir lexique ci-dessous) ou saluer d'anciens ou de nouveaux fans. «J'ai commencé à m'intéresser aux mangas à l'âge de 12 ans. À l'époque, en se faisait des prêts entre fans pour lire les BD. Avec Internet, tout le monde a désormais accès gratuitement aux scans», se réjouit-elle. Lalisoki est à sa 2ème participation à la MA et elle est émerveillée par l'ampleur que prend le mouvement au Maroc, «c'est magnifique d'avoir un tel événement et de rassembler autant de fans pour partager cette passion. Les Marocains sont en train devenir des pionniers», se félicite-t-elle. Il n'y a qu'à voir l'ampleur que prend un autre événement manga marocain, le Manga Expo Tanger, qui en est à sa 2ème édition, est également une des vitrines importantes de la communauté manga du royaume. Organisé par l'association Dragon Tanger, cet événement artistique a drainé en avril dernier 1600 personnes durant trois jours, avec la participation du réalisateur nippon Hajime Kamegaki, une célébrité dans le domaine. L'univers des mangas marocains se compose également de joueurs de cartes Yu-Gi-Oh et du groupe Byoki No Otaku, premier band marocain de J-Rock.
Chorégraphie de fans
Dans le désordre et la bousculade, la Manga Afternoon qui a commencé à 10h du matin se termine à 12h30. Une pause, le temps que les fans reprennent leur souffle, et les choses sérieuses commencent de plus belle à partir de 14h.
À la reprise, des Otakus ont quitté le théâtre et d'autres, plus nombreux, sont arrivés de villes comme Marrakech ou Tanger. Au menu, le plat consistant de la MA, les Cosplay et les karaokés. Mohammed a 20 ans, il vient de Rabat, c'est sa première MA et il fait deux apparitions sur scène très remarqués, il est aux anges, «c'est depuis l'âge de cinq ans que je suis fan de mangas, c'est un vrai moment de bonheur de découvrir qu'un tel événement existe». À chaque prestation, la salle n'est pas indifférente, le public applaudit ou descend en flamme la chorégraphie ou la chanson.
Tous ces inconditionnels d'animation japonaise prennent soin de préparer leurs costumes et leurs prestations. À l'image de Sami, ce lycéen de 16 ans, qui a préparé le costume de son idole Green de la série Pokemon en deux semaines, avec l'aide d'une coutière. «Comme tous les enfants je regardais les dessins animés, puis je commençais à voir Dragon Ball Z. Par la suite, j'ai su que c'était des mangas, depuis j'aime les regarder, c'est comme une vraie vie», soutient Sami, qui depuis trois ans commence à parler japonais !
La fête japonaise en terre marocaine continue. Amine, dans son rôle d'animateur présente la partie Karaoké de la Manga Afternoon. Abir se prépare pour chanter, cette jeune fille de 18 ans est venue en famille, sa maman et ses deux petites sœurs l'accompagnent, «à force de la voir chanter en japonais, toute la famille est devenue fan de manga, explique la maman d'Abir, elle est fan depuis quatre ans maintenant. Sa passion pour le Japon dépasse les mangas, elle écoute leur musique et adore leur gastronomie». Cette japanmania se lit sur les visages du jeune public, une génération tombée dans marmite japonaise et qui adopte les codes vestimentaires du pays du soleil levant.
D'autres spectateur sont venus à la MA sans être spécialement fans de manga, à l'instar Anouar qui trouve ça «cool» mais sans plus. Pour Abdelhak, qui se définit comme un gothique, il y trouve «une source d'inspiration» mais pas au point de devenir fan.
Otakus et fiers
Au milieu du défilé de costumes directement sortis d'animés japonais, Amine se confie : «cette passion peut paraitre ridicule mais les fans prennent très au sérieux cet attachement à la japanimation». Fiers de leurs prestations, les Otakus continuent à défiler. La spécificité de ces derniers reste leur jeune âge, alors qu'ailleurs dans le monde, l'âge d'un fan de manga peut aller de 7 à 77 ans, au Maroc c'est encore une passion d'adolescent, «la diversité des genres et de thèmes casse la barrière de l'âge. Juger cette passion comme enfantine n'est plus à l'ordre du jour. Les mangas sont un des meilleurs moyens pour s'ouvrir à une grande culture, celle du Japon. C'est à la fois instructif dans un cadre amusant», argumente Meryem. Le fan r'bati. Amine n'y va pas avec le dos de la cuillère, «même si on s'en fout de notre gueule et pour certains nous sommes des enfants attardés qui regardent des dessins animés, n'empêche que notre base grandit de manière fulgurante. Il y a un an, nous avons 50 fans, aujourd'hui nous sommes à 4500 et on arrive à remplir le plus gros théâtre de Casablanca. Hélas, des fans sont encore obligés de se cacher pour exprimer cette passion», regrette-t-il. Pour ces deux leaders, les mangas permettent d'avoir «une éthique de vie, d'adopter les bonnes manières, poursuivre ses rêves, croire en soi, s'identifier à des personnages et leur mode de vie». L'avenir de Lalisoki ne peut être imaginé sans les mangas, «d'ici 20ans, je m'imagine toujours au sein d'une famille dont les membres se réunissent tous les soirs pour regarder un épisode de mangas ou bien pour jouer aux consoles», souhaite-t-elle.
La Manga Aftertoon touche à sa fin vers 18h30, les corps n'arrivent plus à interagir avec la même vivacité que celle du matin, un peu d'ennui gagne les esprits. Le staff établit le bilan de cette 7ème édition et pense déjà à une salle plus spacieuse, capable d'accueillir la 8ème édition avec plus de fans. Les Otakus qui ont fait le déplacement d'autres villes reprennent le chemin de Casa voyageurs, exténués mais comblés d'avoir pu transformer leur communauté virtuelle en un grand rassemblement de jeunes Marocains.


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