La montée en puissance de la Chine - et l'affichage qu'elle en fait – n'inquiète pas seulement les grandes puissances. Elle commence à irriter ses proches voisins, alors que les pays en développement semblent ne plus nourrir d'illusions sur son discours tiers mondiste. Ils savent que ce dernier va de pair avec le besoin de la Chine d'un débouché commercial pour son industrie manufacturière et des matières premières indispensables à sa croissance économique, hydrocarbures et minerais en particulier. Les assurances du géant asiatique sur le caractère pacifique de son ascension et sur le tort qu'auraient les Occidentaux et ses voisins d'en avoir peur n'y changent rien. La crise diplomatique avec le Japon montre que le temps des tensions est arrivé. L'arraisonnement le 7 septembre d'un chalutier chinois par des patrouilleurs japonais avec lesquels il était entré en collision est au cœur de la querelle. Mais plus que cet incident, c'est l'environnement dans lequel il s'est déroulé qui est en cause: la mer de Chine orientale et les îlots inhabités Senkaku/Diaoyu. Situées dans des eaux poissonneuses et une zone riche en hydrocarbures et stratégique sur la route de la Chine vers la haute mer, ces îles sont revendiquées par Taïwan, mais surtout par la Chine et le Japon qui les contrôle de facto depuis la fin du XIXe siècle. Le capitaine du bateau de pêche chinois gardé à vue seize jours au Japon a finalement été libéré. Mais la tension n'est pas retombée, Pékin ayant réclamé excuses et compensations financières au Japon. Ce que Tokyo a évidemment refusé. Signes d'agressivité Cette provocation de Pékin dans la mer de Chine, où les deux pays ont un contentieux sur la propriété des réserves de gaz et de pétrole off shore, n'est pas son premier signe d'agressivité régionale. Ni sa première démonstration de force, Pékin soutenant que la mer de Chine méridionale et ses richesses sous marines font partie intégrante de son territoire comme Taïwan ou le Tibet. Récemment, la Chine réaffirmait aussi ses ambitions territoriales sur des zones contestées à la frontière avec l'Inde en refusant d'accueillir en visite officielle un général indien commandant la région militaire du Cachemire qu'elle considère litigieuse. Pendant la récente crise entre les deux Corées, Pékin a également menacé la Corée du Sud et les Etats-Unis d'adopter une attitude hostile si les manœuvres programmées par les deux pays avaient lieu en mer de Chine, y compris dans les eaux internationales. Et le 28 septembre, les autorités chinoises montraient les dents dans un tout autre registre. Elles menaçaient la Norvège de représailles diplomatiques si le prix Nobel de la paix était décerné à un dissident chinois ! Ces évènements reflètent-ils seulement l'arrogance de la deuxième puissance économique mondiale qui, en ces temps de crise, continue à étaler un taux de croissance à deux chiffres ? Ou s'agit-il d'un jeu diplomatique visant à apparaître plus fort qu'on l'est réellement pour intimider partenaires et adversaires potentiels? En faisant «reculer» le Japon, le géant chinois «avertit» en tout cas tous ses voisins d'Asie du sud-est qui ont avec lui des différends territoriaux qu'ils ne peuvent pas compter sur le Japon pour maintenir la sécurité de la région. Contenir Pékin On aurait cependant tort de trop sur-évaluer l'avertissement. Car la croissance économique, base de la puissance chinoise, est très dépendante de ses principaux fournisseurs et clients : les Etats-Unis, l'Europe, le Japon et les pays du sud est asiatique. Pékin ne peut donc se permettre de créer trop de problèmes, ce qui aurait pour conséquence de menacer son économie. Les dirigeants chinois commencent à s'en apercevoir : les grandes puissances et nombre de leurs voisins s'organisent pour tenter de «contenir» la puissance chinoise. Presque tous les pays du Sud-est asiatique, à commencer par le Vietnam, la Malaisie, l'Indonésie qui se sentent menacés par les ambitions chinoises, ont applaudi une déclaration de Washington affirmant que la mer de Chine méridionale n'était la propriété de personne et qu'il s'agissait là d'une question de sécurité pour les Américains. Plus révélateur encore : l'Inde, le Japon, l'Australie et quelques pays de l'Asean (l'Organisation économique et politique de l'Asie du Sud-Est) ont décidé d'augmenter leur coopération navale. En attendant, ils se livrent à des manœuvres communes pour signifier qu'ils sont prêts à affronter n'importe quelle intimidation chinoise. L'Inde, autre grande puissance émergente, va plus loin : elle a adopté une nouvelle doctrine stratégique dite «des deux fronts» au terme de laquelle l'ennemi désigné n'est plus seulement le Pakistan mais aussi le voisin chinois. Surenchère nationalo-populiste Reste que cette nouvelle arrogance chinoise obéit à une logique strictement interne et porte en soi ses propres limites. Les démonstrations de force actuelles semblent liées aux luttes d'influence qui se déroulent au sommet du PC chinois. Des mentalités archaïques y cohabitent et s'affrontent sur la politique économique avec des dirigeants vivant au XXIe siècle et à la pointe de l'électronique ! Une partie des dirigeants chinois savent en effet que le taux de croissance actuel de 10% ne pourra pas tenir longtemps et qu'il devrait chuter à 5% dans dix ans… Ces dirigeants entendent mener des réformes et rationnaliser l'économie pour que la Chine cesse d'être la manufacture de la planète. Cela implique notamment que Pékin permette l'émergence d'une classe d'entrepreneurs nationaux qui fait cruellement défaut puisque la part des exportations chinoises produites par des exportateurs chinois ne dépasse pas… 1,5% ! De leur côté, les apparatchiks du PC freinent des quatre fers, sachant que toute ouverture sera fatale au pouvoir dur et autoritaire du parti unique. Dans ce bras de fer et à l'approche de la succession présidentielle, la tentation est forte de se livrer à une surenchère nationalo-populiste. Cette surenchère comporte toutefois ses propres limites. Pékin n'ignore pas que le monde n'acceptera pas éternellement une monnaie chinoise sous évaluée pour mieux doper les exportations. Les défis internes sont plus décisifs encore. D'autant que Pékin va être confronté au vieillissement de la population puisque entre 2006 et 2025, on comptera 63 millions de jeunes chinois en moins ! La baisse prévisible du taux de croissance est par ailleurs dangereuse vue l'impatience des Chinois à bénéficier des retombées de la croissance et à consommer. Les bruits de bottes en direction du Japon sont en outre aux antipodes des préoccupations de la jeunesse chinoise passionnée par la mode et la musique japonaises. Autant dire que Pékin devrait y regarder à deux fois avant d'aller à un clash susceptible d'aboutir sur du militaire.