Regard sur la façon dont la Chine perçoit le monde et dont le monde devrait percevoir la Chine…. À quelque chose malheur est bon. Pour beaucoup de Chinois, la violente tempête qui souffle sur l'économie mondiale se résume à une petite bise vivifiante. L'ascension de la Chine ces trois dernières décennies a été stupéfiante. Mais il lui manque une chose pour satisfaire pleinement sa frange ultranationaliste : le déclin parallèle de l'Ouest. Aujourd'hui, le capitalisme recule dans son propre bastion. L'Europe et le Japon, entraînés dans la plus profonde récession depuis la guerre, n'occupent plus cette place de concurrents. Pour la superpuissance américaine, l'heure de gloire est désormais derrière elle. Bien que les dirigeants politiques chinois évitent tout triomphalisme en public, on sent tout de même à Pékin que l'ascension de l'Empire du Milieu dans le monde est à portée de main. Wen Jiabao, le Premier ministre chinois, ne se cantonne plus au scénario dans lequel la Chine est un acteur discret sur la scène internationale, désireux de se concentrer sur son propre développement économique. Il qualifie maintenant la Chine de «grande puissance» et s'inquiète à propos des dépenses prodigues de l'Amérique qui mettent en danger son pécule s'élevant à 1 billion $. Les propos irréfléchis du nouveau secrétaire au Trésor américain à propos de la Chine et de ses manipulations monétaires ont été jugés ridicules ; Hillary Clinton, venue repentante en visite à Pékin, a été accueillie d'égal à égal. Dernièrement, un incident maritime s'est produit entre des bateaux chinois et un bâtiment américain en mer de Chine. On peut dire qu'au moins, ils prêtent attention aux Américains. L'Europe, quant à elle, est parfaitement ignorée : un sommet de l'UE a été annulé et la France est toujours sur sa liste noire depuis que Nicolas Sarkozy a osé rencontrer le Dalaï-lama. Déjà, une vision bipolaire du monde commence à se profiler, et pas seulement en Chine : d'un point de vue géopolitique, l'Amérique et la Chine sont les deux seuls qui comptent désormais. Donc, le mois prochain à Londres, ce n'est pas le meeting du G20 qui aura lieu, mais le sommet du «G2» entre les présidents Barack Obama et Hu Jintao. Non seulement les Européens sont inquiets, car maintenant qu'ils sont débarrassés de la politique nombriliste de George Bush, ils n'ont aucune envie de la voir remplacée par un duopole du Pacifique ; mais les Japonais le sont aussi, eux qui ont toujours eu une peur bleue de leurs rivaux en Asie. Et cette anxiété semble se faire sentir aussi à Washington, où la fascination du Congrès pour le rival le plus proche de l'Amérique est à deux doigts de virer au protectionnisme. Avant que la panique ne gagne tout le monde, il est bon de noter que la nouvelle assurance de la Chine est le reflet de sa force, mais aussi de sa faiblesse. Elle demeure un pays pauvre, traversant, selon les termes de M. Wen, sa pire année depuis le début de ce siècle. La dernière estimation du nombre d'emplois supprimés à ce jour (20 millions) donne une idée de l'ampleur du problème. La Banque mondiale a revu à la baisse la croissance de la Chine pour cette année qu'elle estime à 6,5 %. Ce qui n'est pas si mal par rapport à la plupart des autres pays. Mais pour beaucoup de Chinois, habitués à une croissance à deux chiffres, la récession est une réalité. Déjà, des dizaines de milliers de manifestations éclatent : de ceux qui se sont vus confisquer leurs terres au nom du développement, des travailleurs licenciés, des victimes des effets de la spoliation environnementale… Même si la Chine atteint miraculeusement son objectif officiel de 8 %, la colère s'intensifiera. Loin de déborder d'assurance, la Chine fait l'objet d'un débat féroce aussi bien sur son système économique que sur la grande puissance qu'elle voudrait devenir. Et c'est un débat que le gouvernement n'aime pas du tout. Cette année, le régime a même écourté le meeting annuel de son parlement, le Congrès national du peuple, préférant confiner le débat aux coulisses et à des forums obscurs sur Internet. Les libéraux, qui appellent à une plus grande ouverture, sont réprimés comme à l'accoutumée. Mais les hauts responsables chinois font aussi face au mécontentement des nationalistes de gauche, qui considèrent la récession comme une chance de stopper les réformes orientées vers le marché, et comme une chance pour la Chine de s'affirmer plus fermement à l'étranger. La Chine se trouve donc dans une situation plus précaire que ce que beaucoup d'Occidentaux peuvent penser. Le monde n'est pas bipolaire, et ne le sera probablement jamais. L'UE, malgré toutes ses erreurs, reste la plus grande économie mondiale. La population de l'Inde dépassera celle de la Chine. Mais cela n'enlève rien au fait que la puissance relative de la Chine est en pleine croissance, et l'Ouest comme la Chine doivent apprendre à vivre avec. Pour Obama, cela implique de réaliser un difficile exercice d'équilibre. À long terme, s'il ne réussit pas à convaincre la Chine (et d'ailleurs l'Inde et le Brésil aussi) d'entrer dans un système libéral multilatéral avant la fin de son mandat, alors les historiens jugeront qu'il a échoué. À court terme, le président américain doit obliger la Chine à tenir ses promesses et la réprimander pour ses écarts : Mme Clinton aurait dû évoquer la question du Tibet et des droits humains lorsqu'elle était sur place. Le gouvernement Bush attachait beaucoup d'importance à l'idée d'accueillir la Chine comme «coparticipante responsable» dans le système international. Le G20 est l'occasion d'octroyer à la Chine un plus grand rôle dans les décisions mondiales que dans les petits clubs du G7 et du G8. Mais c'est aussi l'occasion pour elle de montrer qu'elle peut exercer cette nouvelle influence de façon responsable. En effet, sur toute une série de questions sensibles, de l'Iran au Soudan, la Chine s'est servie de son principal atout géopolitique, son siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, pour gêner toute progression, donnant pour excuse qu'elle ne désire pas intervenir dans les affaires des autres pays. Cela, malheureusement, prendra beaucoup de temps avant de changer. Mais concernant le problème le plus immédiat, l'économie mondiale, elle a une bonne marge de manœuvre. Durant le dernier quart de siècle, aucun pays n'a tiré plus d'avantages de la mondialisation que la Chine. Des centaines de millions de Chinois sont sortis de la misère pour entrer dans la classe moyenne. Mais dans ce processus mondial, la Chine est un acteur bougon. Elle est en partie responsable de l'échec du dernier cycle mondial de négociations commerciales. Le sommet du G20 est l'occasion pour elle de montrer qu'elle a changé. En particulier, il lui est demandé de soutenir les ressources du FMI pour que le fonds soit en mesure d'aider les pays touchés par la crise, en Europe de l'Est par exemple. Certains à Pékin préféreraient ignorer le FMI, car cela voudrait dire aider des pays ex-communistes qui ont développé une «mentalité antichinoise». Si la Chine parvenait à passer outre cet aspect et à aider le FMI financièrement, cela ne constituerait qu'un petit pas en avant. Mais cela montrerait que l'Empire du Milieu a compris ce que cela implique d'être une superpuissance. n