Un sondage d'opinion conduit, il y a quelques semaines, par le Washington Post & ABC News, au plus haut de la récente crise entre Washington et Pékin, révèle que 41% d'Américains estiment que le 21e siècle sera chinois contre 40% pour les USA. De même, le Center for European Reform (CER), dans son édition de février s'est interrogé sur la fulgurante ascension de la Chine et du durcissement de ton de ses dirigeants dans les discussions avec leurs homologues Occidentaux et comment ces derniers envisageraient-ils d'y répondre ? Cette hausse de ton chinois a été observée à la suite de l'annonce des USA de vendre à Taïwan des armes pour 6,4 bln US$ ; elle a aussi été constatée lors de la dernière conférence de Copenhague sur le réchauffement climatique. De plus, le veto chinois anti-sanctions commerciales contre l'Iran a été un acte on ne peut plus palpable de cette volonté de la République populaire de Chine de s'imposer en acteur principal sur l'échiquier international. Et encore et encore… Les Chinois sont parvenus aujourd'hui à un niveau de puissance économique tel qu'ils n'acceptent plus de laisser les Américains régner seuls en maîtres du monde. Ce brusque changement de cap comportemental chinois interpelle, à juste titre, les observateurs, car il contraste avec la ligne de conduite habituelle observée jusqu'ici par la Chine qui, deux siècles durant, gardait un profil bas et arpentait une ascension tranquille. Raisons ? La Chine populaire a réussi à surmonter la récession mondiale mieux que n'importe quel autre pays y compris les USA et l'UE, avec un taux de croissance de 9% en 2009. Elle s'est en outre hissée plus rapidement que prévu à la deuxième place, en tant que puissance économique du monde après les USA, avec le « must » que la croissance de l'économie chinoise se réalise dans le respect des équilibres macro-économiques tandis que celle des USA demeure à 80% financée par les déficits et les dettes, de surcroît, chinoises. De plus, les communistes chinois sont grisés par leur succès économique devant un Occident faible et agité par des crises financières qui n'en finissent pas. Succès à comprendre et interpréter comme étant un triomphe du modèle Asiatique -un capitalisme d'Etat- sur le capitalisme libéral de l'Occident. Il s'avère aujourd'hui qu'Américains et Européens se sont lourdement trompés sur le compte chinois. Eux qui voyaient d'un bon œil l'ascension chinoise et supposaient que plus la Chine se développait et s'intégrait dans l'économie mondiale, plus elle «s'occidentaliserait » et se rangerait de leur côté. Les Américains ont déjà commencé à réagir en accusant la Chine de manipulation du yuan, en le maintenant faussement et sciemment sous-évalué par rapport au dollar. En guise de représailles, les USA brandissent la menace des mesures protectionnistes contre l'entrée libre des produits chinois sur le territoire américain. Quant aux Européens, s'ils sont convaincus que leurs politiques, déférentes par ailleurs envers la Chine, doivent changer, il n'en reste pas moins qu'ils ne savent pas encore quoi faire et comment réagir? Charles Grand, directeur du CER, livre quelques pistes de réflexion, quant à la ligne de conduite européenne à observer à l'égard de la Chine. Tout d'abord, les Etats européens doivent se rappeler qu'unis, ils auront plus de poids car souvent ils -notamment la G.B, la France et l'Allemagne- ont cherché, se regardant comme concurrents, à maintenir des relations bilatérales particulières avec Pékin, qui joue sur les divisions. L'Europe non dispersée doit donc, en tant qu'union à 27, convenir d'un ensemble de messages communs et sans ambiguité à relayer à destination des Chinois en mettant à contribution les USA à chaque fois que c'est possible, notamment sur des questions où l'unanimité américano-européenne est acquise, tels que le libre accès aux marchés et les droits de l'Homme. En second lieu, les Européens devraient être plus punch pour rappeler aux communistes chinois de respecter les engagements auxquels ils ont souscrits, car la Chine a pris l'habitude d'enfreindre souvent les règlements de l'Organisation mondiale du commerce sans pour autant être inquiétée et encore, moins, d'être traînée devant les Conseils de discipline dédiés de l'OMC. Sur le registre des droits de l'Homme, l'UE et les USA ne peuvent plus se contenter de cantiques insipides à l'endroit du gouvernement communiste chinois sur les droits de l'Homme, mais qu'en revanche ils devraient exercer de fortes pressions sur ceux-ci pour les ramener à ratifier la convention internationale y afférente. Enfin C.Grant recommande aux Européens d'abandonner la fiction du « partenariat stratégique » avec la Chine communiste, partenariat qui n'a pas de sens dès lors les valeurs des deux camps sont si différentes. En conclusion. Il est à craindre que le durcissement de ton chinois ne cache probablement des différends plus profonds, a savoir que les Chinois sont parvenus aujourd'hui à un niveau de puissance économique tel qu'ils n'acceptent plus de laisser les Américains régner seuls en maîtres du monde. D'ailleurs, force est de reconnaître que de plus en plus, se répand et se confirme au sein de la communauté internationale, le sentiment que l'inexorable ascension de la République populaire de Chine est irréversible et que les Etats-Unis perdent en puissance et en crédibilité. Indubitablement, ce constitue d'ores et déjà une entorse à l'hégémonie américaine et présage du début de la fin du mode unipolaire du monde. Moralité : ce qui avait été une prophétie de Napoléon Bonaparte, d'il y a deux siècles –quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera- est en train de se vérifier devant nos yeux. Le monde n'en est pas encore au tremblement, mais il ne tardera pas à y arriver.