Posée depuis plusieurs années, la question de la succession du magnat de la finance, Othman Benjelloun, revient sur la table. En l'absence d'un dauphin clairement désigné à la tête de l'empire BMCE Bank, une solution institutionnelle serait actuellement à l'étude. Un big deal bancaire qui, en cas de réalisation, sera le dernier coup de maître de Sir Othman. Sir Othman Benjelloun est un homme prévoyant. Presque octogénaire, l'homme a vécu bien des épreuves et mené nombre de batailles homériques. Il a traversé le dernier siècle en seigneur. Rien n'a entamé son mental de guerrier, ni les coups durs des capitalistes du régime ni les épreuves personnelles. Grandi dans l'industrie, il a gagné le challenge de la privatisation de BMCE Bank, monté un groupe bancaire modèle, été le premier à conquérir l'Afrique et le monde, réussi la fusion de RMA Watanya… Mais l'âge est traître. Et pour domestiquer l'inconnu, il doit mener aujourd'hui son ultime combat : pérenniser son empire. Longtemps, Saâd Bendidi avait fait figure de dauphin désigné, un fils spirituel taillé sur mesure pour Sir Othman. Las, les architectes du Makhzen économique ont débauché le dauphin en 2005, avant de le jeter en pâture en 2008. Depuis, Othman Benjelloun avait bien installé Kamal, son fils, dans le fauteuil de vice-président du groupe. Mais celui-ci a la fibre davantage écologique qu'économique. Et il goûterait, dit-on, peu le monde des affaires et des banques, même s'il répond présent à toutes les grandes réunions stratégiques du holding Finance.com. De quoi susciter encore des interrogations sur la succession de Sir Othman, d'autant que, autour de celle-ci, de grandes manœuvres semblent s'opérer dans les coulisses. Et si, finalement, pour le patriarche, un méga-rapprochement entre le groupe BMCE Bank et d'autres institutions était la meilleure des solutions ? Dans cette perspective, des personnalités “haut placées” s'activent pour finaliser un big deal qui pourrait transformer la physionomie de tout le secteur bancaire. Car au-delà d'une simple passation dans le temps, la succession à la tête du groupe BMCE est perçue en haut lieu comme une opportunité pour donner naissance à un mastodonte bancaire de dimension continentale et limiter la fragmentation du secteur… qui compte aujourd'hui pas moins de 14 établissement ! “Président est toujours aussi dynamique…” Et dans les couloirs de la place casablancaise, l'hypothèse qui revient le plus demeure celle d'une fusion-absorption orchestrée par la Banque Centrale Populaire (BCP). “Farfelue” pour certains, “totalement fausse et ubuesque” pour d'autres, l'hypothèse est pourtant admise par certains cercles. Une énième tentative d'aborder le vaisseau amiral de Othman Benjelloun ? En tout cas, si les premières ont échoué depuis la privatisation de la BMCE, le stratagème qui se profile a toutes les chances d'être le dernier… et le bon ! Casablanca. Six PM, bar branché de l'hôtel Hyatt Regency. Un petit groupe de banquiers d'affaires se retrouve pour l'after-work habituel. En ces jours de juillet, et avant le ramadan, on profite de l'ambiance de l'été pour voler quelques moments de vacances anticipées. Sur fond de rythme jazzy, ça devise autour des affaires du moment, des deals qui se préparent pour la rentrée… Un sujet finit par ressurgir : la succession de Othman Benjelloun. Depuis quelques mois, ce n'est plus un tabou dans les salons de Rabat et de Casablanca. Longtemps, le milieu des affaires s'était habitué à voir cet homme aux allures aristocratiques résister à l'épreuve du temps. Mais récemment, les langues se sont déliées sur les rumeurs de fatigue liée à l'âge de ce dernier. Au siège de la BMCE Bank, on relativise cette baisse de voilure. “Ce ne sont que des rumeurs. Président est toujours aussi dynamique... Il est juste un peu occupé par les affaires du groupe à l'international. Il a multiplié les voyages ces derniers temps. C'est pour cela qu'on le voit presque plus au siège de la banque”, révèle l'un de ses plus proches collaborateurs. Dont acte. Mais peu importe la véracité des rumeurs. Pour le “Président”, comme ses collaborateurs aiment à l'appeler, la question de la succession est plus que jamais d'actualité. Le magnat de la finance, qui fêtera ses 78 ans en novembre prochain, devra tôt ou tard passer le témoin. Comment le fera-t-il, et à qui ? C'est là toute la question. Kamal, dauphin symbolique Si certaines intelligences s'empressent de soutenir, en toute logique d'ailleurs, que c'est son fils, Kamal Benjelloun, qui prendra naturellement la relève, épaulé par la dream-team qui gère le business de la banque (Benjelloun Touimi, Jaloul Ayad….), d'autres, plus nombreuses, rejettent catégoriquement cette hypothèse. “Son fils, même s'il a été désigné administrateur du groupe en 2005, reste très loin du business. C'est un dauphin symbolique, sans vrais pouvoirs”, nous confie ce proche de la famille. Kamal Benjelloun a en effet une passion bien éloignée du microcosme financier : l'anthropologie, en plus d'une “fibre environnementale” chevillée au corps. Il préside, tant aux Etats-Unis qu'au Maroc, aux destinées de plusieurs sociétés et associations spécialisées dans les énergies renouvelables et la préservation de l'environnement. Ni sa formation ni son parcours ne font donc de lui, a priori, un favori. Néanmoins, il dispose, selon certains analystes, d'un préjugé favorable. Comme le confirme cet analyste, “il a déjà l'expérience du business, puisqu'il gère plusieurs sociétés et est administrateur dans des entreprises du groupe Financecom. Il n'a donc guère besoin d'être un expert en finance pour diriger le groupe de son père, surtout qu'il est entouré de bonnes compétences”. Vrai. Surtout en référence au parcours de son père. En effet, l'acquisition de la BMCE en 1995 par Othman Benjelloun a été perçue comme une incongruité par la communauté bancaire de l'époque. Pour beaucoup, en osant investir un secteur longtemps réservé à une certaine élite, ce capitaine d'industrie fonçait droit dans le mur, même s'il s'était déjà illustré dans les assurances à travers le succès de Wataniya. La suite, on la connaît : il accède à la tête du plus prestigieux cartel du pays, le GPBM, trois ans seulement après son atterrissage dans le secteur et bâtit, en presque 15 ans, un empire financier dont les tentacules ont percé les frontières nationales. Ceci non sans avoir essuyé, au passage, des revers et de sévères coups bas (lire encadré). Alors… tel père tel fils ? En tout cas, s'il est permis de croire que Kamal Benjelloun peut reprendre le flambeau familial, il est tout aussi important de rappeler que le milieu financier marocain est une sphère où l'on ne peut s'aventurer l'escarcelle vide. Il peut certes disposer de prérequis pour assurer la succession, mais a-t-il le charisme nécessaire ? Est il animé de la même passion que son père ? Est-il vraiment intéressé par ce métier dont il s'est tenu à l'écart durant de longues années ? Surtout, a-t-il, comme son père, la carapace dure ? Et surtout en a-t-il envie ? Car, comme le disait l'ancien président du Conseil national du patronat français, Yvon Gattaz, “pour la succession des entreprises familiales, les patrons se partagent en deux catégories : ceux qui croient que le génie est héréditaire et ceux qui n'ont pas d'enfants”. Un deal de rêve Dans les hautes sphères, c'est un autre son de cloche qu'on entend. L'empire financier de Othman Benjelloun est présenté comme un “actif national” dont la pérennité est surveillée de très près. Pas question de laisser un groupe bancaire de la taille de BMCE Bank sujet aux spéculations. L'enjeu est énorme et les architectes du nouveau capitalisme marocain ne laisseront pas l'occasion passer sans essayer un ultime coup d'éclat. Selon des sources dignes de foi, une méga opération de rapprochement serait à l'étude. Objectif : mettre la main sur le vaisseau amiral de l'empire de Sir Benjelloun. Et c'est la Banque centrale populaire (BCP) qui a été désignée pour monter au front. La banque du cheval n'y irait toutefois pas en solitaire : “La CDG sera mise à contribution pour accompagner la banque du cheval dans cette opération qui devrait prendre la forme d'une fusion-absorption. L'opération est trop lourde pour la seule BCP”, précise une source proche du dossier, qui pouirsuit : “Cela fait plus de quatre mois que le deal se négocie entre les deux parties. Et les pourparlers vont bon train”. Et plusieurs “compétences” travaillent sur le dossier : Hassan Bouhemou (patron de la SNI… et ancien de la BMCE), Mohamed Benchâboun, le patron de la BCP et Anas Alami, nouveau DG de la CDG. “Anas Alami est considéré par le sérail comme l'un des meilleurs financiers du pays. Le profil idéal pour piloter une opération d'une telle envergure”, assure notre source. L'homme a été d'ailleurs l'une des rares personnes à avoir défendu bec et ongles le rapprochement entre la BCM et la BMCE au moment où la première cherchait une opération de croissance externe, avant de jeter son dévolu sur Wafabank. “Anas Alami croyait à l'époque que le meilleur scénario de fusion dans le secteur bancaire était celui entre la BCM et la BMCE. Et il le faisait savoir auprès de ses amis du sérail”, confie ce proche du nouveau patron de la CDG. Un nouveau mastodonte public ? Du côté du groupe BMCE, le secret est jalousement gardé . “Tous les lieutenants du président sont au courant des discussions. Mais personne n'y est impliquée directement”, révèle notre source. Les hauts cadres du groupe semblent être ces derniers mois dans une situation de “wait and see”. “Dans le staff du président et des hauts cadres, il y a une certaine appréhension des lendemains...”, révèle notre source. Dans ce dossier , la rumeur prêterait également un rôle à ....un certain Moncef Belkhayat, patron d'AT Com, filiale média et NTI de Finance Com : “Belkhayat a de bonnes relations avec les deux camps. C'est l'un des rares hommes de Benjelloun à entretenir des relations rapprochées avec les hommes du Palais”. Mais à propos dudit projet de fusion, l'intéressé (joint par téléphone) nie tout en bloc : “À mon niveau, je déments formellement ces informations”. Il n'en dira pas plus. En tout cas, si l'opération BCP-BMCE se concrétisait, elle représenterait un véritable coup de maître pour les architectes du “nouveau capitalisme” marocain. Outre les complémentarités et les synergies qui peuvent être développées entre les deux groupes bancaires, cette méga fusion donnerait naissance à un véritable mastodonte public dans les métiers de la banque et de la finance. Chose qui signerait définitivement le verrouillage d'un secteur hautement stratégique pour les intérêts du pays en ces temps de libéralisation du paysage bancaire. Le Maroc disposerait alors de deux “champions bancaires”, un premier privé (Attijariwafa), et le second à dominante publique (BCP-BMCE). Des banques ayant une taille suffisante, non seulement pour rayonner au Maroc, mais aussi pour conquérir les marchés africains, futur terrain de bataille entre les banques marocaines et leurs grandes rivales étrangères. Sir Othman Benjelloun, en grand seigneur, pourra alors être fier de son œuvre. Rares sont les vies qui donnent lieu à un destin. Le dernier des banquiers en a assurément un ! Par Mehdi Michbal