A la veille de la libéralisation du secteur bancaire, l'objectif des architectes du pôle financier public est de financer les investissements d'une économie émergente, et de protéger le système bancaire et financier national. Détails du schéma d'un plan secret. Qu'est-ce qui justifierait la création d'un pôle financier public? Quels groupes publics regroupe-t-il ? Cela a-t-il un rapport avec la libéralisation du secteur bancaire? Longtemps tenues secrètes, les tractations des architectes de ce pôle public ont commencé en 2007. Ils ont initié ce projet en continuité d'un processus de concentration et de regroupement bancaire qui a débuté timidement dans les années 90, pour reprendre de plus belle au début des années 2000. Puis, lorsque ce processus a atteint sa maturité, quelques années plus tard, il était question de créer un pôle public solide qui préserverait le système bancaire et monétaire et continuerait à financer les projets structurants d'une économie émergente. Dans ce pôle, il a aussi été question de créer des passerelles, concrétisées par des participations croisées, dans le but de former un pôle solide et indestructible. Le tissu de ce pôle a été tissé au cours du dernier semestre 2007. En décembre de la même année, une étude stratégique a été lancée par Bank Al Maghrib et le ministère des Finances visant à échafauder un schéma directeur du secteur bancaire au Maroc. C'était en quelque sorte un plan Emergence Bis, destiné à sauver le secteur des aléas d'une libéralisation prématurée qui s'imposait. Le comité de pilotage était constitué des présidents des banques BMCE, Attijariwafabank, la Banque populaire ainsi que de Abdellatif Jouahri, le gouverneur de Bank Al-Maghrib. Ce comité s'était réuni au moins deux fois dans le bureau de Jouahri à Rabat. L'étude, ce comité l'a commandée, encore une fois, au cabinet Mc Kinsey. Le cas de BMCE Bank est très particulier. Et cette particularité interpelle encore les observateurs. La question, qui succèdera à Othman Benjelloun, actionnaire majoritaire, est toujours posée. La BMCE est l'une des banques les plus dynamiques du secteur, avec un actionnariat exemplaire incluant des partenaires étrangers, les salariés, sans oublier le patron Othman Benjelloun. Cette banque va continuer à parcourir son chemin de futur champion financier africain. Elle est d'ailleurs l'une des banques les plus structurées du système bancaire, comptant la meilleure clientèle grands comptes de la place casablancaise. En outre, BMCE a toujours eu les premiers réflexes en matière d'ouverture à l'international, de financement du commerce international et d'accompagnement d'une clientèle ciblée axée spécialement sur la classe moyenne, les particuliers ainsi que les professions libérales. Cependant, la question de la succession de M. Benjelloun demeure posée. Le sujet n'est plus un tabou au sein de la banque même, la succession n'est pas claire et le futur maître à bord n'est pas encore désigné. Du coup, les supputations fusent. Certains observateurs avancent qu'une grande opération de rapprochement avec une grande banque de la place est déjà finalisée, et que seul le timing ne convient pas pour faire l'annonce. Cependant, une chose est sûre, c'est que les autorités monétaires marocaines ont leur mot à dire et qu'une vision est déjà arrêtée pour ladite banque à l'instar de ce qui précède. L'Etat marocain aura-t-il le courage de laisser le partenaire étranger, Banque Fédérative du Crédit Mutuel (BFCM), monter dans le capital et exercer son plein pouvoir de gouvernance à terme ?? Les observateurs pensent plutôt que la BMCE reviendra à terme sous le giron de l'Etat ou d'une grande banque locale privée (AWB en l'occurrence). Objectifs de l'étude L'un des objectifs escomptés de cette étude confiée à Mac Kinsey est de définir comment la Banque centrale compte protéger le système financier et monétaire du Maroc à la veille de la libéralisation du secteur. Car il faut savoir qu'au moins 15 demandes d'agréments bancaires étaient déposées à l'époque sur le bureau de Jouahri, dont celles des deux banques espagnoles, «La Caixa» et «Banco Sabadell». Ces deux banques seront les premières à lever le rideau de la libéralisation qui s'annonce pour le mois d'avril prochain en obtenant l'agrément pour ouvrir une succursale au Maroc. Toutefois, les deux banques sont autorisées à exercer leurs activités uniquement avec les résidents marocains en Espagne ou espagnols au Maroc, et les entreprises espagnoles ayant des relations économiques avec le Maroc, comme cela est stipulé dans le bulletin officiel. L'autre objectif recherché était de savoir comment contribuer à orienter le secteur bancaire vers le financement de l'administration et le secteur des investissements publics. L'on se souviendra longtemps de l'annulation de 3 milliards de DH de dettes des agriculteurs par le Crédit agricole du Maroc (CAM). Il y aussi le plan Vert. Si ce plan a son budget, c'est grâce au financement de cette banque verte. Devant le Roi Mohammed VI, il y a eu la signature d'un contrat-programme portant sur l'accompagnement financier de la nouvelle stratégie de développement agricole au titre de la période 2009-2013. Le contrat-programme a été signé par Aziz Akhennouch, ministre de l'Agriculture, Salaheddine Mezouar, ministre des Finances, et Tarik Sijilmassi, président du directoire du Crédit agricole du Maroc (CAM). La convention porte sur la mobilisation du Crédit agricole d'une enveloppe budgétaire de 20 milliards de DH au profit du secteur agricole et agroalimentaire. Pour ce qui est de la répartition de ce budget, 14 milliards de DH serviront au financement des besoins en investissements des agriculteurs conformément à la pratique bancaire classique. La SFDA (Société de financement pour le développement agricole), filiale du Crédit agricole, réservera aux petits agriculteurs une ligne de crédit de l'ordre de 5 milliards de DH. La Fondation Ardi de microcrédit contribuera au financement du plan Maroc vert à hauteur de 1 milliard de DH. Les banques doivent aussi contribuer au financement des routes, autoroutes, grands chantiers immobiliers, habitat social, transport urbain comme aux grands chantiers d'une économie émergente. Et même concernant les plans Emergence I et II, le plan Tourisme, le plan Energie, ce sont toujours les banques qui financent. En outre, la réforme de la loi bancaire a poussé la Banque centrale et le ministère des Finances à encourager les grandes banques à absorber les petites. Le processus de concentration et de regroupement bancaire est arrivé cependant à maturité. L'historique des rapprochements bancaires a débuté en effet depuis l'année 1991 par l'absorption de la SBC par la BCM. Puis, 5 ans plus tard, il y a eu l'absorption d'UNIBAN (filiale d'une banque espagnole) par Wafabank. En 2001, on a enregistré l'acquisition de la BBVA (filiale marocaine de Banco Bilbao Viscay Argentaria) par Wafabank. En 2002, elle, a été marquée par le rachat de la SMDC par la BCP. Et en 2003, il y a eu l'absorption de l'ABN AMRO par la BMCI et la reprise de la BNDE par la CDG. L'idée de cette grande opération de concentration répartie dans le temps est de créer des banques nationales solides en termes de taille (fonds propres, nombre d'agences -réseau- et de clients). Pôle public D'autant plus qu'un investissement par le rachat d'une banque coûterait moins cher qu'un investissement par la construction d'agences propres (une agence nécessite un investissement de 3 à 10 MDH). Ne pas oublier surtout les économies d'échelle correspondantes. Il existe en outre un autre objectif non moins important. Il s'agit de la mise à niveau du secteur bancaire pour le transformer en un secteur solide capable de se prémunir contre toute attaque étrangère qu'apportera la libéralisation. Une banque japonaise, chinoise ou allemande dispose de fonds propres beaucoup plus importants que l'ensemble des banques nationales. Le premier trait d'une stratégie tenue secrète par les architectes du secteur bancaire commence à se faire sentir sur le terrain. Le métier bancaire au Maroc est, sans conteste, l'un des plus rémunérateurs, générant des rendements à deux chiffres pour les actionnaires été comme hiver. Selon des sources du ministère des Finances, le Royaume est, depuis quelques années, en train de préparer son secteur bancaire à d'éventuelles offensives de la part de grandes banques européennes, qui considèrent que le Maroc, l'Egypte et l'Afrique du Sud, sont les seuls pays présentant de réels atouts de développement, de par les avancées enregistrées au sein de leurs économies financières. Certes, la crise imprévisible qui sévit actuellement, particulièrement au sein de l'Europe, est de nature à retarder les choses de quelques trimestres. Mais le fait est là : les banques marocaines doivent se préparer à migrer d'une situation de monopole à un contexte de libéralisation où seuls le « meilleur service bancaire » et « la qualité du produit » résisteront. L'Etat marocain envisage de protéger un secteur qui a longtemps supporté son économie, notamment à travers la contribution au financement de la dette publique intérieure, le cofinancement des investissements publics et l'accompagnement de l'Etat dans les projets structurants. Ce n'est un secret pour personne, l'Etat n'a plus les moyens de financer ses plans stratégiques les plus ambitieux : nos bailleurs de fonds classiques et pays amis aident le Maroc sur des projets isolés, mais les banques sont sollicitées sur plusieurs fronts : au niveau du plan Vert, du plan Emergence, du plan Touristique, du plan Energie... Ce qui est à craindre par contre, c'est que ce comportement visiblement « téléguidé » de la part des banques ne le soit au détriment de la classe des PME en manque de financement, et dont la promotion demeure la meilleure arme d'encouragement de l'entreprenariat et de lutte contre le chômage. Un plan protectionniste Un plan protectionniste de premier rang visant la création d'un «pôle public» indestructible. Le schéma prévisible, dont les premiers traits se concrétisent depuis quelque temps, peut être détaillé sous forme de puzzle. Ce puzzle prend forme au fil du temps, avec comme noyau dur le Trésor, la CDG et le groupe des Banques Populaires, qui finiront par se rapprocher dans tous les métiers. Du concret? On le constate déjà sur le leasing à travers le rapprochement entre les deux filiales de la CDG et de la BP, Chaabi Leasing et Maroc Leasing. Les rumeurs, de même nature que celles qui ont précédé l'annonce du premier rapprochement, parlent aussi de rapprochements imminents entre les banques d'affaires des deux institutions (CDG Capital et Upline) et de leurs filiales crédits à la consommation (Sofac et Assalaf Chaabi). Autre figure du puzzle, la CDG continue à parrainer le CIH conjointement avec son partenaire étranger le groupe Caisse d'Epargne et ce, à travers la holding commune «Massira». Mais les choses sérieuses vont commencer. Faute de stratégie claire et de réseau d'agences dense, le plan protectionniste prévoit que le CIH soit repris conjointement par le Groupe BP et la CDG. Autre pièce du puzzle: le partenariat non exclusif avec la BP (la CDG ayant léguer sa participation financière dans l'OCP à la dernière minute à la BP, le marché parlant d'un refus d'adhésion de la CDG au business plan et à la valorisation de l'OCP) n'est pas fortuit, la stratégie prévoit que les institutions bancaires et financières publiques investissent dans les offices OCP, ONE, ONEP, ONCF …. Cela constitue un pas en avant pour leurs réformes, d'autant qu'il répond amplement à leurs besoins de financement et leur permet de faire face aux plans d'investissement colossaux prévus. Autre figure de la scène, Barid al Maghrib, dont le sort se précise au fil du temps : avec ses 1766 agences et ses 8500 employés, elle constituera une carte gagnante au sein du pôle public. La banque postale de demain sera-t-elle en mesure de mener la bataille de la banque économique (de détail) déjà lancée par Attijariwafabank ? Saura-t-elle contribuer à la bancarisation du pays (les professionnels du secteur parlent d'un taux de bancarisation de 35% à fin 2008 qui reste timide par rapport aux pays développés) ? En tout cas, Bakkoury, qui siège au conseil d'administration de Poste Maroc, nourrit les ambitions du groupe CDG d'avoir sa banque de détail dans le projet de Banque postale, qui verra le jour dans les mois à venir. Récapitulons: les architectes du plan pôle public sont Jouahri, le gouverneur de Bank Al-Maghrib, Mezouar, le ministre des Finances, Bakkoury, le directeur général de la CDG et Chorfi, le directeur du Trésor. Les acteurs du plan, quant à eux, sont le Trésor, la CDG et BP. Le reste, offices et autres banques, seront concernés par la création du pôle public. L'idée repose sur le principe d'un partenariat public-public visant à solidifier le bloc des institutions publiques et à créer le maximum de synergie et d'investissements croisés.