Le scrutin du 12 juin consacre la victoire des notables et la défaite de la démocratie. Ce constat n'est pas une surprise mais une continuité d'une réalité politique qui dure depuis un siècle. Le PAM a fait sienne la devise qui veut que “la politique est l'art du possible” et s'est appuyé sur les notables notamment en milieu rural pour gagner. À quand le changement promis ? Ils ont vendu leur âme aux autorités françaises du Protectorat, tourné leur veste au retour de Mohammed V de son exil, fait allégeance sous Hassan II à Ahmed Reda Guedira avant de se tourner vers Ahmed Osman, Mâati Bouabid puis Driss Basri. Aujourd'hui, pour les communales 2009, il ont eu l'embarras du choix. Le PAM les a courtisés et a eu leur franc soutien notamment dans le monde rural, le PJD a entrouvert ses portes pour les plus “propres d'entre eux” et les partis du mouvement national ne trouvent plus autant de scrupules à leur donner la “tazkia” pour se présenter sous leur bannière. Ils, ce sont les notables, ruraux ou urbains, sans lesquels aucun parti ne peut désormais gagner une élection locale ou même nationale. Exit les militants et les doux rêveurs de la politique. La réalité a pris le dessus. La vraie démocratie attendra. Le PAM ne s'est pas trompé et son éclatante victoire, quelques mois après sa création, prouve que la recette des notables marche toujours. Face à un Etat déficient et une administration aux moyens limités, les notables sont devenus aujourd'hui les interlocuteurs privilégiés sur le terrain des autorités et jouent le rôle de tampon social et politique. Grâce à leur fortune, ils ont la mainmise sur la population (moyennant une série de services personnels) et constituent pour le Makhzen un rempart contre les islamistes. Mosaïque hétéroclite composée de propriétaires fonciers, de bourgeois ruraux, de promoteurs immobiliers, d'hommes d'affaires parvenus rapidement à la richesse, ils changent d'appartenance politique comme on change de chaussette. D'ailleurs, peu importe le logo et la couleur du T-shirt, l'essentiel est ailleurs. Les élections sont une occasion pour miser sur le cheval gagnant du moment et il se trouve qu'en 2009, et pour beaucoup d'entre eux, ce cheval porte le nom de Fouad Ali El Himma. Rien n'est gratuit dans la vie, encore moins en politique et le patron du PAM le sait mieux que quiconque. Les notables lui ont donné une victoire rapide et éclatante. Mais, il faudrait bien que le parti paie en retour l'addition en petits coups de pouce par-ci, en avantages par-là. Pragmatique, El Himma a reconnu la force des notables sur le terrain et pour se dédouaner, a promis de les intégrer dans un nouveau moule politique pour les projeter dans la modernité. Vaste programme ! Car, les notables ne perdent pas le nord. En portant aujourd'hui les couleurs du PAM, les notables souhaitent tirer profit de la puissance d'El Himma et détenir le pouvoir local qui leur permettra d'être en contact direct avec Monsieur le Gouverneur et Monsieur le Préfet, de parader lors des fêtes officielles, d'espérer un Wissam et de pouvoir profiter de la proximité avec l'autorité locale pour avoir encore plus de privilèges, contourner les lois et bénéficier des dérogations qui leur permettent d'augmenter encore plus leurs fortunes et leur pouvoir. Avec les notables locaux, l'expérience des anciens mandats communaux a montré que seul l'intérêt affairiste compte : en urbanisme, au grand dam des agences urbaines, les R+2 deviennent R+6, les zones urbaines naissent comme des champignons, les autorisations se monnayent, les intercessions également…. Quant à la population, elle est ballottée entre promesses sans lendemain et quelques actes de générosité momentanée et hautement intéressée. Souvent d'ailleurs, certains de ces notables finissent par construire une mosquée à leur gloire (ou pour soulager leur conscience !). Ils incarnent ainsi tout ce que le Maroc moderne (qui n'a pas voté !), instruit et tourné vers l'avenir rejette viscéralement : le clientélisme, le conservatisme, le népotisme, le paternalisme, l'argent sale et le mauvais goût. La politique étant l'art du possible, on ne peut en vouloir au PAM d'avoir utilisé les mêmes armes que ses concurrents. En revanche, le PAM doit être conscient que par rapport à sondiscours initial et au cahier des charges politique qui lui a été fixé au début, il est bien loin des objectifs. Censé réconcilier la majorité silencieuse (notamment urbaine), avec la politique, il se coupe encore plus d'elle en reproduisant les recettes d'antan. Va-t-il pouvoir rectifier le tir d'ici 2012 ? La surprise PAM Une carte électorale résolument décalée à droite, une gauche en perte de repères et un PJD qui se banalise. Les urnes ont décidé, ce 12 juin, de la nouvelle recomposition de l'échiquier politique. Surprise ? Ce n'en est pas vraiment une. Le PAM s'est bien préparé à cette échéance. Et dans la pure tradition des grands partis. La logique veut que le parti couvre une large proportion des circonscriptions, récolte le plus grand nombre de voix et donc de sièges. Le PAM a, en ce sens, adopté une approche des plus pragmatiques. Il a ratissé large en présentant pas moins de 17 000 candidats d'horizons variés. Plus d'un candidat PAM sur cinq est agriculteur. Les commerçants représentent la même proportion. Le reste, soit 9000 candidats, sont des cadres. Le PAM ne s'est pas limité à l'aspect arithmétique de la question. Il s'est offert une machine électorale infaillible : les notables. “Le PAM a su recruter les profils locaux, des notables qui disposent de réseaux sociaux locaux et ont un ancrage certain dans leur milieu”, explique le politologue Youssef Belal. “C'est une politique assez éloignée du discours de renouvellement d'élites qu'il nous a servi depuis sa création, mais le résultat est là et il confirme son efficacité”, explique-t-il. Faux soutient-on au PAM. “Plus de 81% des élus en sont à leur première expérience politique” argue le SG, Mohamed Cheikh Biadillah. N'empêche, le PAM a pu faire virer la carte politique à droite, mais il est toujours loin du pari de renouvellement de l'élite politique qu'il s'est fixé. Il a eu recours à des “professionnels” des élections qui ont assumé pendant des années des responsabilités au niveau local. Il ne s'en cache pas. Ses meetings électoraux, plus d'une centaine à travers le royaume, ont été financés par les élites locales. On reprend les mêmes et on continue Les communales du 12 juin s'inscrivent ainsi et largement dans la continuité. “Il n'y a pas eu de nouvelle offre politique au niveau des profils, en plus des transfuges, le parti a largement puisé dans les réserves des cinq partis qu'il a phagocytés”, explique ce jeune politologue. Mais l'ascension du parti, il la doit beaucoup plus à “la proximité du Palais de son fondateur, Fouad Ali El Himma”. Les électeurs ont été séduits. “Il est clair pour les électeurs du PAM que les nouveaux élus auront plus facilement accès aux ressources financières pour monter et réaliser leurs projets. Ils disposeront également d'une plus grande autonomie en matière de prise de décision et des facilités au niveau des administrations”, confirme ce politologue. “Les gens ont compris que le parti n'agit pas seul. Pour eux, il y a certainement une main invisible derrière cette percée”, conclut cet observateur. Ce qui soulève certaines interrogations. “Si la mission du parti était d'affaiblir la droite, cela est fait. Si c'était d'affaiblir la gauche ou les islamistes, cela est fait également”, avance notre interlocuteur. Seulement qui encadrera dorénavant les islamistes de la rue, les gauchistes qui ne se retrouvent plus dans les partis traditionnels ? La question reste ouverte. Le bal des perdants La gauche et les petits partis sont de loin les grands perdants. Ils sont néanmoins les pièces maîtresses de la formation des alliances et des majorités qui vont gérer nos villes. La réalité est là : la gauche a perdu du terrain. Beaucoup de terrain. Le poids de la carte politique penche désormais vers la droite et le centre-droite. Le PI maintient le cap, avec seulement quelques points d'écart avec le PAM. Les partis naguère désignés comme de l'administration sont largement au-devant de la nouvelle carte. En contre-partie, la première formation de gauche, l'USFP, régresse de nouveau. Il passe de la deuxième place en 2003 à la quatrième en 2009. Il a gagné à peine 11,6% des sièges, à plus de dix points du premier parti, le PAM. Il a nettement dégringolé dans la majorité des grandes villes. Tanger en est un exemple flagrant. L'USFP n'a gagné aucun siège dans les quatre circonscriptions de la ville qu'il a pourtant gérées pendant six années. Le PPS et le FFD y ont également laissé des plumes. La gauche s'use et son discours a perdu de son attrait auprès de la population. “La gauche est en chute libre, depuis longtemps”, commente cet observateur. Les causes ? Youssef Belal tente une explication : “La gauche souffre d'un problème de positionnement. Ce qui est aggravé par sa participation à une majorité gouvernementale hétéroclite”. Une confusion qui l'empêche de mobiliser l'électorat. La gauche marocaine, dans toutes ses déclinaisons partisanes, s'est inscrite dans une phase d'essoufflement. Les voies de l'opposition Une lente descente qui a démarré depuis le gouvernement de Abderrahmane Youssoufi. Que faire alors ? Faut-il revenir à l'opposition pour se refaire une nouvelle virginité politique ? Le débat reste ouvert. Pour l'heure, l'USFP, le PPS, le FFD et l'alliance de la gauche démocratique font office d'appoint pour faire ou défaire les majorités qui prendront en charge la gestion de nos communes. Maigre consolation. Quid des islamistes du PJD ? “Le mouvement islamiste se stabilise”, commente Youssef Belal. Nous sommes loin du débat houleux qui a précédé les communales de 2003 et les législatives de 2007 qui prédisait un raz-de marée islamiste. Le PJD ne s'est pas présenté dans le monde rural parce qu'il n'y dispose quasiment pas d'assise électorale. Dans les villes son score est resté limité. Le parti de la lampe n'a pu décrocher plus de 5,5% des sièges, ce qui le situe en cinquième position. Les islamistes ont néanmoins cartonné dans des circonscriptions régies par le scrutin de liste. Ils lorgnent déjà quelques grandes villes comme Kénitra, Tanger ou même la capitale, Rabat. Mais il n'y a pas que ces deux tendances qui ont été boudées par l'électorat. Les chiffres le confirment, les Marocains s'accommodent moins de ce foisonnement de partis et de symboles parmi lesquels ils doivent faire leur choix à chaque scrutin. L'écrasante majorité des électeurs, soit 90%, ont voté pour seulement huit partis. Un appel à la polarisation du champ politique ? “Depuis samedi 13 juin, on ne parle plus que de 8 partis et non de 36. Nous nous approchons de la polarisation du champ politique”, confirme Hassan Benaddi, président du conseil national du PAM. Merci le quota Leur percée, les femmes la doivent au quota. L'Intérieur a su user du bâton de la loi et de la carotte de l'argent public pour convaincre les partis à les présenter en grand nombre. Une femme maire d'une grande ville ? Oui c'est possible. Et c'est le PAM qui tient à inscrire cet exploit à son tableau de réalisations déjà bien garni. Il fait mieux, 14% de ses élus sont des femmes. Une grande avancée, diront certains. Un réajustement d'une situation injuste, diront d'autres. Le constat est là, les délibérations des conseils de nos communes auront une teneur différente. La cause : les femmes font pour la première fois, en masse, leur entrée dans ces institutions. Encore une fois ce n'est pas grâce à la maturité politique de nos politiciens et de nos électeurs, mais à un quota. L'Etat a fixé à 12% le nombre de sièges des grandes communes dédiés au sexe féminin. “3406 femmes ont été élues lors des élections communales du 12 juin sur un total de 20.458 candidates, contre 127 en 2003, soit une augmentation de plus de 250 %”, a annoncé non sans une note de fierté Chakib Benmoussa, lors d'un point de presse tenu le lendemain des élections. Au-delà des chiffres, la nouvelle charte communale prévoit la formation d'une commission dans chaque commune, chargée de statuer sur les questions du genre. Avant même de franchir le pas des communes, le législateur leur a déjà réservé un espace de “travail” où elles seront cantonnées. N'empêche, l'arrivée de ces 3400 nouvelles élues dans nos assemblées locales apporte en soi un changement indéniable. “Cela va permettre d'orienter l'action territoriale en prenant en compte les besoins des femmes”, notre cet observateur. L'élue, la militante “Aujourd'hui les femmes sont les plus touchées par différents maux sociaux : la pauvreté, l'illettrisme, la vulnérabilité et l'exclusion sociale”, explique Youssef Belal. L'Etat n'a pas lésiné sur les moyens. D'abord un texte instituant une liste à part dans les grandes communes, ensuite des aides substantielles aux partis qui présenteront un plus grand nombre de femmes parmi leurs candidats. La démarche, quoi qu'artificielle a réussi. Aujourd'hui la présence relativement forte des femmes dans les communes de nos grandes villes est un fait. La représentativité des femmes dans les communes, sera un facteur positif, explique-t-il. “Cela permettra de faire avancer le débat sur les question du genre et de l'égalité des sexes”, conclut-il. La femme constitue également le meilleur des relais avec la société civile. Les résultats des élections le montrent, la majorité des femmes élues sont des militantes associatives. Cela ouvrira-t-il la voie vers une démocratie participative où le militant associatif et l'élu s'assoient autour d'une même table et discutent des solutions à apporter aux petits problèmes de la population ? L'espoir est permis, mais faut-il encore donner à ces femmes élues le plein droit à la parole et surtout les moyens d'action. Par Mohammed Yazidy et Tahar Abou El Farah