Plus d'une année après l'adoption de la nouvelle Constitution, l'on se demande si les jeunes marocains ont renoué avec la politique… En 2011, 92 % des jeunes marocains n'appartenaient à aucun parti politique, ni syndicat ou association. La donne a t-elle changé ? Les jeunes expriment-ils un désir de participer à la construction de leur pays par le moyen d'une participation politique ? « Si vous ne vous occupez pas de politique, la politique s'occupera de vous ! ». Le propos a été rendu célèbre grâce au livre publié il y a peu par Michel Rocard : « La politique, ça vous regarde » et destiné aux jeunes adolescents français. L'ancien premier ministre de François Mitterrand et premier secrétaire du PS, militant de la gauche invétéré depuis les années soixante, sait la portée qu'une telle problématique invoque. Celle-ci déborde le cadre national français et , sans « a priori » peut être transposée à notre propre contexte. Les jeunes marocains s'intéressent-ils à la politique ? Expriment-ils un désir de s'y adonner et de participer à la construction de leur pays par le moyen d'une participation politique ? Ce qui compte désormais pour un jeune marocain, c'est d'abord « la carrière », le gravissement des échelons, avant même le mariage. De la politique, il n'en a cure. Il préfère laisser ça aux autres… La politique n'est pas la priorité des jeunes La réponse ne va pas de soi. A vrai dire, elle reste imprécise, d'autant plus diluée qu'aucune étude systématique, structurale, détaillée n'est venue nous expliquer la grande désaffection des jeunes marocains à l'égard de la politique. Et cette désaffection traduit une dépolitisation de plus en plus rampante qui est le résultat d'un désamour évident à l'égard du thème de la politique et des hommes qui en font leur métier. Et c'est-là où le bât blesse. A coup sûr ! Les hommes politiques, ceux qui font profession de nous représenter, d'élaborer des lois au parlement, de diriger le pays, ne sont-ils « a contrario » les premiers responsables de cette désaffection et, partant, du désarroi des jeunes ? Quelques confrères et le Haut commissariat au Plan se sont évertués il n'y a pas si longtemps, en juin dernier précisément, à publier des enquêtes sur les jeunes, mettant en exergue cette donnée fondamentale – récurrente en fait – que plus de 90 % d'entre eux demeurent indifférents à la politique. Il en ressort que les questions de statut social, de cherté de la vie, de chômage et d'amenuisement des moyens de vivre restent la préoccupation majeure des jeunes. Le panel choisi par le HCP concerne le segment des 18 à 44 ans et conclut à ce constat accablant que plus de « 67% des jeunes marocains considèrent que le niveau de vie actuelle traduit de graves inégalités sociales ! D'où l'appel dA' hmed Lahlimi Alami, Haut commissaire au Plan qui af-firme que « de tels chiffres montrent que le Maroc devrait s'intéresser plus à ses jeunes à travers des projets clairs pour des horizons clairs ». Le propos fleure à peine une critique bien en règle de tout ce qui a été ou qui est fait – disons non faiten faveur des jeunes, d'autant plus que soulignant la nécessité « de projet clairs pour des horizons clairs », le Haut commissaire au plan ne semble guère mâcher ses mots. Au jeune cadre casablancais d'une banque , le CIH pour ne pas le citer, 33 ans, un idéal de réussite hissé comme un mât, on pose la sempiternelle question sur la politique, il répond avec un geste balayeur : « C'est tous les mêmes ! » Ce qui compte désormais pour lui, c'est d'abord « la carrière », le gravissement des échelons, avant même le mariage. De la politique, il n'en a cure. Il préfère laisser ça aux autres… Ce cas de figure n'est pas isolé en soi, il traduit avec éloquence une réalité tangible, dont on ne cesse de se convaincre et « mezzo voce » de regretter la propension. Il n'est pas nécessaire d'aller plus loin dans le travail de sondage pour recueillir la même réponse, constater le même désarroi. Le déclic tant attendu A qui la faute ? Au système politique, aux institutions, aux partis politiques, aux hommes qui les dirigent ? Il est un principe, érigé quasiment en loi depuis toujours, pour qui veut comprendre le ressort essentiel de l'adhésion à la politique ou le désintérêt à son égard : la motivation ! Il suffirait d'un « choc » quand on est jeune, une « horreur » ou simplement une injustice mal vécue pour nous incliner au choix politique et à l'acte de militantisme…Ce déclic correspond à une prise de conscience aiguë qui s'effectue à un certain âge et dans des conditions d'autant plus précises qu'elles nous conditionnent, comme la défense d'une cause nationale, la lutte pour l'emploi, les droits de l'Homme, les handicapés, les femmes, etc…Il convient, cependant, de souligner que l'intérêt des jeunes pour la politique nationale du Maroc se réduit comme peau de chagrin. Non qu'ils ne soient pas impliqués, mais leur préoccupation ont trouvé d'autres formes d'action, d'autres mots d'ordre, une autre stratégie…Le Mouvement du 20 février nous en a donné l'illustration, par son spontanéisme, ses revendications protestataires ciblées et cette volonté affichéed'échapper aux partis politiques. Pour eux, si le principe politique devait avoir un avenir, c'est à condition de s'affranchir de la camisole des partis traditionnels et d'assumer pleinement leur engagement. Pour autant, tout engagement politique, à une échelle individuelle ou politique, ne trouve pas nécessairement le cadre idoine. La filière normale et traditionnelle dans un pays de transition démocratique comme le Maroc reste celle des partis politiques. Cependant, de l'avis de ceux-ci, on constate de moins en moins d'adhésions de marocains aux formations politiques. Les chiffres de la désaffection à l'égard des partis n'existent pas, et s'ils existent, restent d'autant moins fiables qu'ils sacrifient à une surenchère grossière. On aura beau parler sans cesse de « l'école des partis » pour recruter et former les militants, préparer aussi les futurs cadres dirigeants et, au-delà, des responsables à l'échelle régionale et nationale, rien ne semble y faire. Les partis politiques sont constamment interpellés pour encadrer et former les jeunes à la politique. Par les jeunes eux-mêmes, désespérés de ne pas trouver un cadre et un espace pour s'accomplir, par le roi Mohammed VI en personne qui en appelle plus d'une fois à leur engagement, à leur évolution en interne et en externe, enfin à leur nécessaire renouvellement… Les dissonances des partis Peut-être faudrait-il prendre en charge cette réalité complexe du champ politique marocain, l'existence de plus de 32 partis politiques qui se bousculent sur le portillon et se font le coude à coude ! Elle est d'autant plus complexe qu'elle est moins séduisante paradoxalement pour les jeunes qui y perdent leurs repères et leurs rêves. Trente deux partis politiques, c'est à la fois trente deux dissonances et une même déconcertante ambition du pouvoir ! C'est aussi le constat d'une grave césure, une terrible division de la politique au Maroc…Pour décourageante qu'elle soit, cette vision a son corollaire : l'engagement des jeunes, notamment des femmes, au sein de projets sociaux, dans les associations, les ONG qui constituent de plus en plus un réceptacle de vocations informelles mais politisées à l'extrême. Comment réhabiliter la politique et lui redonner ses lettres de noblesse au niveau des jeunes ? Vaste chantier, en effet, qui ne semble guère avoir de réponses dans l'immédiat ! Comment rétablir la confiance nécessaire entre l'élu du quartier ou de la commune et ses électeurs qui , désabusés souvent, la rejettent. La cité, la ville, la commune peuvent exister sans la politique et sans la relève démocratique. Or, celle-ci ne semble pas désobéir à la tyrannie des vétérans et des « vieux », notamment au sein des partis qui traversent une grave crise de renouvellement et d'image. Les jeunes, on ne l'a que trop attendu, souhaitent une moralisation publique et de valeurs nouvelles. Il s'agit pour eux d'arracher la politique à ceux qui en ont à présent la monopole et en font un métier, voire un abus…