Le mal logement est un phénomène qui prend de l'ampleur en France. Les chiffres publiés ce mercredi dans le rapport de la Fondation Abbé Pierre sont alarmants. Au total, ce sont 5 millions de personnes qui sont fragilisées par la crise du logement, et 3,6 millions qui sont mal logés. Derrière ces chiffres, le terme de « mal logement » recouvre des réalités diverses, allant de l'absence de domicile, à de mauvaises conditions d'habitat, ou encore des difficultés pour se maintenir dans son logement. On compte ainsi 2 778 000 personnes vivant dans des logements inconfortables ou surpeuplés, 133 000 sans domicile ou encore 85 000 dans des habitations de fortune (cabane, camping, chez des tiers, etc.). Si le problème n'est pas nouveau, l'association s'inquiète en revanche de voir le mal logement se développer et s'enraciner dans la société française. Publié ce mercredi à quelques mois de l'élection présidentielle de 2012, le rapport pointe du doigt une politique du logement inadaptée. Contacté par le Soir échos, Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, revient sur le contenu et l'effet escompté de ce rapport. Il y a 17 ans, la Fondation Abbé Pierre publiait son premier rapport sur le mal logement en France. En 17 ans, comment a évolué la situation ? Malheureusement, elle n'a pas évolué favorablement. Le seul aspect positif, c'est l'amélioration du confort moyen des ménages français. Il y a encore une vingtaine d'années, 10 à 12% de la population vivait dans des conditions de confort très faibles, aujourd'hui, il n'en reste plus que 3%. Tout le reste s'est dégradé. Le prix du logement a flambé, il a plus que doublé sur les 10 dernières années. Le terrain est plus cher et les loyers ont augmenté de près de 50%. Comme les ressources des ménages ont stagné ou augmenté légèrement, la part du budget des ménages allouée au logement est de plus en plus importante, dépassant les 25%. Et pour les jeunes qui cohabitent, les retraités, et les couples séparés, plus de 45% du budget est utilisé pour se loger. Qui sont les populations aujourd'hui touchées par le mal logement ? Il s'agit d'un noyau dur de personnes très défavorisées, c'est-à-dire des personnes qui vivent à la rue, et qui sont une situation de pauvreté chronique. Ce qui est nouveau, c'est que le mal logement a touché de nouvelles catégories de ménages, au fur et à mesure que la crise du logement s'est installée. Ainsi, les jeunes ont la « double peine » : ils ne trouvent pas d'emploi et ils ne trouvent plus de logement. Et puis, il y a l'évolution sociologique qui joue. Aujourd'hui, c'est 1 couple sur 3 qui se sépare, et 1 sur 2 en région parisienne, et il n'est donc pas rare d'avoir besoin de deux logements. Les personnes âgées sont touchées aussi. L'évolution des prix et le marché extrêmement restreint par rapport au nombre de ménages sont en cause. Quelques jours après la publication du rapport, observez-vous un impact et un recentrage de la campagne présidentielle sur cette problématique ? Ce qui est sûr, c'est que c'est ce qu'on a souhaité pour cette année. Parallèlement au rapport, nous avons proposé un contrat social sur le logement, pour entamer une nouvelle politique contre la pénurie de logements et répondre aux préoccupations des Français. Il faut arrêter la flambée des prix. Quatre candidats de grands partis (Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon, François Hollande et François Bayrou ndlr) l'ont signé. On est dans l'attente de savoir si le Président de la République le signera aussi. Le rapport évoque la situation en France. Mais la problématique du mal logement est-elle particulière à la France ? Ou s'agit-il d'un problème qui se généralise en Europe ? Quelques pays s'en sortent bien, comme l'Allemagne, la Suède ou la Hollande. Ce sont des pays qui ont un nombre de logements quasi en équilibre par rapport au nombre de ménages, ainsi qu'une régulation des prix car ils en ont fait une priorité au cours des 10-20 dernières années. Et puis la tension est moins forte en Allemagne, où la démographie est en baisse alors qu'en France, elle continue à être positive. De plus, la particularité de la France réside dans la façon dont on a construit, dans les années 50-60, des zones urbaines denses avec des tours et des barres. Ces constructions veillissent mal, et il y a peu de mixité sociale. Les Marocains de l'avant dernière vague d'immigration sont nombreux à se retrouver dans ces quartiers d'habitat social où sont concentrés des populations plus modestes que la moyenne, souvent d'origine étrangère. Malheureusement, il y a une assimilation entre logement social et immigration, ce qui crée des tensions. Le manque de mixité sociale pose problème dans la politique du logement et plus largement dans la politique sociale du pays.