Dans son premier téléfilm Khadra Hamra, Jihane El Bahar a réussi à tourner une aberration sociale en une comédie légère. Les conflits entre Rajaouis et Wydadis ont judicieusement inspiré cette scénariste-réalisatrice, figure talentueuse de la petite lucarne. Rencontre. Jihane El Bahar est notamment la scénariste qui est à l'origine des répliques d'une foultitude de séries télévisées marocaines. Après avoir participé à l'écriture des épisodes de séries telles que Lalla Fatima, Touria et l'Equipe, elle arbore aujourd'hui la double casquette de scénariste-metteur en scène. Auteur de trois courts-métrages, Jihane El Bahar a signé son premier téléfilm Hamra Khadra, diffusé le 13 août sur Al Oula. Co-scénariste et réalisatrice de cette intrigue rocambolesque, elle retrace, pour Le Soir-échos, son parcours de scénariste convertie en réalisatrice, ou vice versa. Elle nous parle de cette tragi- comédie shakespearienne, histoire d'amour sur fond d'empoignades entre Rajaouis et Wydadis. Dans Khadra Hamra, l'idylle entre Roméo et Juliette, alias Raja et Aziz, est tributaire des deux clans adverses, voire des deux familles. Rencontre. Quelles sont les réactions après la diffusion de ce téléfilm dont la trame est un peu particulière dans un Maroc divisé ? Le film a été bien accueilli et les réactions ont été positives. C'est avant le tournage que les réactions sont montées en puissance. Suite aux articles de presse parus avant le tournage, certains Rajaouis fanatiques ont réagi violemment au casting, me reprochant de caster une fille pour le rôle de la Rajaouie. J'ai même eu droit à des menaces de mort, certains n'acceptant pas que le mâle soit du côté des Wydadis. On m'a même demandé pourquoi l'histoire ne tournerait pas autour de deux frères et deux amis au lieu d'un couple d'amoureux. C'était choquant. S'il y a des gens qui pensent toujours comme ça, où allons-nous dans ce pays ? On en déduit que vous êtes fan de foot… (Rire). Non, absolument pas. Je n'aime pas le foot, je suis juste intéressée par ce phénomène social. Quand le scénariste-journaliste Jamal Khanoussi m'a demandé de co-écrire ce projet pour la chaîne Al Oula, j'ai accepté. Je me suis documentée et j'ai essayé d'en faire une comédie légère tout en essayant de faire passer quelques messages sur le fanatisme ambiant, tout en essayant d'être la plus objective possible dans l'histoire et le scénario. Vous avez collaboré à l'écriture de plusieurs sitcoms et séries télévisées. Que pensez-vous de ce métier au Maroc ? Dans la télévision comme dans le cinéma, les gens ont envie qu'on leur raconte une histoire, chose qu'on ne retrouve pas souvent au Maroc. Le problème c'est qu'il n'y a pas de formation de scénariste ici. Même s'il y a de nombreuses écoles de cinéma, il n'y a pas de véritable branche pour l'écriture des scénarios, qui est un métier à part entière. Personnellement, j'ai dû suivre des ateliers et des formations pour m'y initier, et même avec ça je ne suis pas encore arrivée au bout de mes connaissances. Comment jonglez-vous entre l'écriture des scénarios et la mise en scène ? Au début, j'écrivais pour des sitcoms, ce qui ne m'inspirait pas assez. Les thèmes sont limités et redondants et tournent toujours autour de la belle-mère, la magie et la sorcellerie. J'ai donc opté pour les séries et téléfilms pour plus de liberté, pour ne pas être limitée dans les décors et les situations. Les téléfilms sont mieux que les films de cinéma, ils sont plus simples dans leur approche. En 2009, j'ai participé à la première télénovela au Maroc où j'étais co-directrice d'écriture. A part les délais serrés, j'éprouve toujours un réel bonheur d'écrire. Entre-temps, j'ai réalisé mes trois courts métrages. Pourquoi n'avez-vous réalisé aucun court métrage depuis Shift+upper, L'âme perdue et Chapitre dernier ? Les courts métrages, ce n'est plus à refaire. Ce genre de films n'est pas valorisé au Maroc et n'est pas un art à part entière. Il faut beaucoup de fonds et les télévisions ne sont pas forcément enclines à les acheter. Mon premier court métrage «Shift» a reçu le fonds d'aide du CCM, mais pour les deux autres j'ai dû galérer. L«'âme perdue» et «Chapitre dernier» étaient difficiles à financer. Qu'est-ce qui vous révolte ? Et quels sont vos coups de gueule ? Je réfléchis plus sur les choses quand je ne me rebelle. Je réfléchis sur la nature humaine, et dans mes scénarios, il y a plus de recherche sur la psychologie humaine que sur autre chose. L'homme me fascine et m'impressionne. Je me penche aussi sur la fatalité et la valeur de la vie. D'ailleurs, le nouveau projet que j'écris, mon premier long métrage tourne autour de ce thème. Le personnage principal est angoissé par la mort et rencontre son alter ego, le fil conducteur c'est la fusion entre ces deux êtres.