Alors que les pays en voie de développement découvrent les joies de la climatisation artificielle, des pays comme le Canada s'ouvrent à des solutions alternatives de refroidissement par géothermie. Au Maroc, si l'on en juge par l'enguouement que suscitent les climatiseurs, la question de l'environnement reste secondaire. E ntre 42° et 46° pour la Chaouia, le Gharb, la région d'Azzemour, le Haouz, entre 38° et 42° sur le versant Sud et intérieur du territoire notamment dans le Souss, entre 27° et 32° sur le litorral méditerranéen et entre 34° et 38° pour le reste du pays, les températures de ces derniers jours ont été étouffantes. Rien d'anormal, pourtant pour les experts de Maroc-Météo. «Je tiens à spécifier que nous sommes au mois d'août et qu'il est donc normal qu'il fasse chaud. Cela fait deux semaines que le Maroc subit une vague de chaleur qui devrait normalement prendre fin demain. Cette canicule est due au Chergui. C'est un phénomène particulier au Maroc. Il s'agit d'une remontée d'air sec et chaud qui arrive du Sud et qui perd son humidité lors qu'il traverse l'Atlas. Depuis ce weekend, la chaleur du Chergui a été accentuée par une remontée de nuages tropicaux qui ont bloqué l'air chaud, entraînant un effet de serre, qui a rendu le temps plus étouffant. La pluie était liée aux orages d'été qui se produisent lorsque l'air chaud, en remontant dans l'atmosphére, refroidit et se condense», détaille Mohammed Bellaouchi, directeur de la communication à la direction de la météorologie nationale. Voilà pour l'explication scientifique. «Encore une fois cela n'a rien d'anormal, nous n'avons pas battu les records de chaleur qui sont par exemple de 48° pour Sidi Slimane en 2003 ou encore de 43° à Casablanca en 1919», commente encore Bellaouchi. Un marché en pleine croissance Difficile de ne pas faire le lien avec l'explosion que connaît depuis quelques années le marché de la climatisation au Maroc. Les chiffres de GFK, bureau allemand spécialisé dans les études sur les biens d'équipement, parlent d'eux-mêmes. L'année dernière, le marché était estimé à 200.000 unités vendues, soit une augmentation de 17% par rapport à 2008. En chiffre d'affaires, cela représentait un montant d'1 milliard de dirhams. Pour 2010, entre janvier et mai, 72.000 unités ont déjà été vendues, ce qui représente une augmentation de 103% par rapport à la même période en 2009. De même, l'évolution en valeur est importante puisque le chiffre d'affaires déjà réalisé pour les 5 premiers mois de 2010 a été de 430 millions de dirhams, soit 109% d'augmentation comparée à la même période l'an passé. Côté coût, le prix moyen à fin mai 2010, s'établit à 5.926 dirhams. Chiffres que confirme le directeur marketing de Whirpool, Mustapha Boudadi. «On assiste en effet à une croissance du marché à deux chiffres. Je pense que pour 2010, la croissance du marché global sera de 12%, même si l'on n'a pas encore tous les chiffres. Cette croissance est continue et soutenue depuis plusieurs années, autour de 10%». Pour le responsable de la marque américaine, cela est dû au taux d'équipement global des ménages en hausse. «Concernant spécifiquement les climatiseurs, le Maroc est encore largement sous-équipé comparativement à d'autres pays de taille similaire», explique Boudadi. Même son de cloche chez Unionaire, l'entreprise qui commercialise les produits Carrier. «Nous avons connu une explosion des ventes entre 2008 et 2009. Nous avons réalisé des chiffres que nous n'avions jamais faits auparavant. Par ordre de grandeur, je pense qu'on est dans du 23% de croissance», commente Chakib Belkhou, directeur commercial de Unionaire. «Je pense que c'est devenu une mode. Si on revient 10 ans en arrière, 90% de notre chiffre d'affaires était pris par des marchés étatiques ou des entreprises. Ces dernières années nous avons constaté un engouement sans précédent des particuliers.C'est lié à la baisse des coûts du produits. Il y a 5 ans encore, un climatiseur d'une puissance de 9.000 dtu coutait dans les 12.000/13.000 dirhams. Maintenant nous le commercialisons à 3.500 dirhams, installation comprise», détaille Belkhou. La venue de nouveaux concurrents, notamment Chinois, y est pour quelque chose. «L'année dernière, il y a eu un phénomène bizarre. Le marché ne s'est pas partagé entre les 3 grands vendeurs comme habituellement. Les clients ont acheté beaucoup de produits chinois, de moins bonne qualité», conclu le responsable de la marque égyptienne. R22 versus R407 et R410 Et l'impact environnemental dans tout ça? «Nous proposons deux gammes de climatiseurs, l'un standard, plus accessible en terme de prix, autour de 3.500 dirhams sans l'installation et un produit plus haut de gamme. Ce dernier tourne autour d'un prix moyen de 4.200 dirhams mais consomme moins d'énergie. Avec ce produit, on a calculé jusqu'à 40% d'économie d'énergie, soit plus de 470 dirhams par an en moins sur la facture d'électricité», argumente le directeur marketing de Whirlpool. Soit un investissement amorti au bout d'un an. Sans compter que cette gamme utilise du gaz R410 plus respectueux de l'environnement. Pourtant, l'argument «écolo» ne séduit pas. «Je n'ai pas les chiffres exacts mais nous vendons bien plus de produits de la gamme classique. La sensibilité à l'environnement n'est pas encore très vendeur. L'économie d'énergie un peu plus, mais c'est clairement encore le prix qui est l'argument de vente majeur», explique encore Boudadi. Le même comportement se retrouve dans les achats des entreprises. «Certaines sociétés au Maroc réclament déjà des produits fonctionant au R407 ou R410, mais elles sont rares. La majorité ne pose pas la question», explique le directeur commercial de Unionaire. «On travaille effectivement encore avec du R22, qui est prohibé au niveau mondial. Mais les pays en développement bénéficient d'un moratoire qui court jusqu'en 2015, il me semble, avant qu'il ne soit interdit également pour nous aussi. Nous sommes donc en train de mettre aux normes nos produits. Mais cela ne se fait pas au niveau marocain puisque nous importons nos produits pour les revendre sur le marché local», détaille encore Belkhou. Même discours chez Mega Hissotto, qui fabrique les climatiseurs au Maroc pour le marché local, mais surtout pour l'export. «Nous fabriquons des climatiseurs pour les opérateurs télécoms, notamment Méditel et Inwi. Nos produits sont destinés aux salles où se trouvent les machines des opérateurs, qui chauffent énormément. Toutes les machines que nous avons déjà installées utilisent effectivement du R22. Nous sommes en train de chercher une solution pour les modifier. Il faut notamment changer le compresseur qui n'est pas le même selon les gaz utilisés», confie au Soir échos un responsable de Mega Hissotto, qui a préféré garder l'anonymat. En attendant une climatisation verte De nombreux chercheurs tentent de trouver une technologie pour climatisation plus écologique. Aux Etats-Unis, où les climatiseurs représentent 5% de la consommation totale d'énergie, le Laboratoire national des énergies renouvelables (NREL) vient de mettre au point un nouveau système de climatisation. L'invention des ingénieurs du NREL repose sur le principe de refroidissement par évaporation. La consommation électrique de cette nouvelle génération de climatiseurs serait de 90% inférieure à celle des modèles actuels. Ces «climatiseurs écolos» fonctionneraient avec une technologie qui dessèche l'air froid expulsé, sans le réchauffer. Et ce, grâce à une solution salée, à la place des chlorofluorocarbones, famille de gaz à laquelle appartient le R22. Seul hic, le NREL estime devoir continuer le développement de cette technologie pendant encore 5 ans avant d'envisager de la commercialiser. En attendant que ce modèle de climatiseurs à moindre coût pour les ménages et pour la planète ne soit disponible, c'est notre façon d'envisager la chaleur qui est à modifier. La hausse des températures n'est en effet pas la résultante d'une exception. C'est donc quelque chose appelée à devenir une constante, avec laquelle il va falloir vivre. «Depuis 30-50 ans le climat a changé. Nous avons de nouveaux climats. Dans un avenir proche, nous allons avoir besoin de plus en plus d'énergie pour nous réchauffer ou nous refroidir. Il faut donc penser à comment lutter contre la chaleur en utilisant le moins d'énergie possible, d'ici à ce que l'on utilise exclusivement des énergies renouvelables non polluantes», s'emporte Mohammed-Saïd Karrouk, professeur de climatologie à l'Université Hassan II et membre du GIEC. «Or, la climatisation coûte énormément en termes d'énergie pour les particuliers mais également pour l'Etat. D'ici à ce que des climatiseurs fonctionnent grâce à l'énergie solaire, il va falloir apprendre à s'adapter à la chaleur, autant sur le plan individuel que culturellement», continue le professeur. Alors quelles pistes de réflexions pour le futur ? «Il s'agit de repenser l'architecture des habitations par exemple, pour créer des bio-habitats, adaptés à la chaleur et au froid. Il y a beaucoup d'enseignements à tirer des maisons traditionnelles marocaines notamment, que ce soit en terme de matériaux ou de forme architecturales», avance Karrouk. «On pourrait également penser à adapter nos modes de vie en acceptant la chaluer et en en minimisant les aspects néfastes. En adaptant notamment les périodes de travail pour qu'elles ne coincident pas avec les périodes les plus chaudes de la journée. Je n'invente rien dans tout ce que je viens d'expliquer, ce sont des exemples qui sont mis en place dans d'autres pays», explicite ce professeur, avant de conclure : «Les changements climatiques ne sont pas un probléme, c'est nous qui ne savons pas quoi faire avec ce nouveau climat. J'espère que le débat autour de la charte de l'environnement donnera lieu à un réel débat sur la question». «La sensibilité à l'environnement n'est pas très vendeur. L'économie d'énergie un peu plus, mais c'est clairement encore le prix qui est l'argument de vente majeur» «Il n'y a rien d'anormal aux températures de ces derniers jours. Nous n'avons pas battus nos records de chaleur»