Les données peuvent paraître paradoxales. À fin juin dernier, le montant des transferts des Marocains résidents à l'étranger (MRE) se sont élevés à quelque 27,07 MMDH, selon les derniers chiffres de l'Office des changes, en progression de 0,4% comparés à leur niveau de 2011 et à la même période, où le montant des transferts était de 26,96 MMDH. De plus, comparés à leur niveau de mai dernier, la hausse s'élève à plus de 20%. Une bonne nouvelle pour l'économie nationale donc, sauf que la situation contraste avec celle qui prévaut au niveau des principaux pays de provenance de ces fonds et où résident majoritairement nos MRE. Selon les chiffres du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME), le taux de chômage des travailleurs marocains a atteint des niveaux critiques, principalement en Espagne et en Italie, deux pays durement touchés par la crise économique et où résident, respectivement, la deuxième et la troisième communauté des MRE. En Espagne notamment, où plus de 800.000 MRE légalement établis sont recensés, le taux de chômage au sein de la communauté des Marocains a franchi la barre de 50% depuis 2011. Il s'agit, d'ailleurs, du plus haut niveau enregistré parmi les communautés étrangères présentes sur la péninsule ibérique et qui correspond à près du double de la moyenne nationale. Même son de cloche en Italie, qui accueille près de 600.000 MRE, le nombre de travailleurs marocains au chômage a été multiplié par 3,8 au cours des quatre dernières années, selon les statistiques d'une étude de l'Institut national italien de la prévoyance sociale. La hausse du montant des transferts des MRE constatée ces derniers mois est donc à relativiser. «Ces chiffres cachent en réalité l'ampleur de la situation qui prévaut chez les MRE installés principalement en Europe», estiment, à ce titre, un expert en migration qui participait à un séminaire organisé récemment par le CCME sur les MRE et la crise en Europe. Selon cet expert, la comparaison avec l'année 2011 justifie à elle seule, une partie de cette hausse. Hausse en trompe-l'œil En effet, entre 2007 et 2011, le montant de ces transferts a chuté de 33%, selon le ministère des Marocains résidant à l'étranger. Noureddine Harrami, professeur au département de sociologie de l'université Moulay Ismaël de Meknès relativise ce chiffre. Pour lui, la hausse des transferts s'expliquerait en grande partie par «la bonne tenue des transferts en provenance de la France». C'est d'ailleurs un des constats dressés par un récent rapport de la Banque mondiale et de la BAD, qui s'attendent à une hausse importante des transferts des migrants au niveau international, dès 2012. Pourtant, la situation reste assez complexe au vu de la situation en Espagne et en Italie et de son impact sur les transferts en direction du Maroc, qui ont fortement chuté en raison des difficultés que vivent les migrants marocains dans ces pays. Selon la Banque centrale espagnole, cette baisse assez conséquente est consécutive à la crise économique que traversent les pays européens, affectant particulièrement les travailleurs marocains. Principale explication selon le CCME, ils sont nombreux à occuper des emplois peu qualifiés, souvent à caractère manuel et temporaire. «L'emploi, les restrictions économiques et budgétaires, la révision des politiques migratoires sont des éléments qui accentuent la vulnérabilité des migrants, jusqu'à parfois leur faire perdre leurs acquis et les faire basculer dans l'irrégularité, et les exposer à des pratiques discriminatoires et xénophobes», fait remarquer l'étude. Cela fait dire à notre expert qu'il faudrait plutôt comparer le niveau actuel du montant des transferts des MRE à leurs niveaux d'avant la crise. Cela n'explique pourtant qu'en partie le regain de la tendance à la hausse constatée ces derniers mois. «Il faut chercher dans la nature de ces transferts les principales causes de cette hausse», souligne-il, réticent à l'idée qu'en pleine crise, le montant des transferts des migrants pourtant durement touchés puisse augmenter. Retour au bercail «Derrière ces chiffres se cachent les montants parfois importants que ramènent des centaines de MRE ayant décidé de revenir définitivement au pays», explique notre expert. Ils sont, en effet, des centaines à choisir de regagner définitivement le bercail. Entre ceux qui s'installent temporairement et ceux qui restent définitivement, le retour peut s'avérer difficile. En absence de structures et de mécanismes de prise en charge, les MRE sont confrontés à d'énormes problèmes. Une grande perte pour l'économie nationale qui accentue également la question de la pauvreté et du chômage au Maroc. «Il n'y a pas véritablement de structure d'accueil pour tous les travailleurs qui rentrent», expliquent un MRE rencontré à Casa, qui ajoute aussitôt que «l'Etat tente certes quelques efforts, mais la plupart du temps, ce ne sont que des rencontres ou de l'information». «La majorité, d'ailleurs, rentre à titre provisoire et parfois seul le père de famille ou un des membres rentre, pour espérer trouver du travail et envoyer des fonds à ceux qui sont restés», explique-t-il. En l'absence de véritables chiffres sur le nombre de personnes concernées par la situation, il est difficile de mesurer l'ampleur du phénomène. Sauf que dans les principales régions d'envois de migrants, les signaux d'alarme commencent à se manifester. «En plus de la raréfaction des fonds envoyés par les migrants, il faudrait maintenant songer à envoyer de quoi soutenir la famille restée dans les pays d'accueil». Problème, au Maroc la situation n'est pas reluisante non plus, surtout pour trouver un emploi. «Pour le moment, certains n'hésitent pas à vendre les biens qu'ils ont achetés afin de faire face à la situation, mais pour combien de temps encore ?», se demande notre expert, qui se désole du manque d'un véritable impact des politiques publiques dans ce sens. «Il y a certes des efforts de la part des autorités, mais ils sont plus axés vers le sauvetage de la situation, alors que le pire est sûrement à venir, si la crise perdure en Europe». Par le passé, les autorités ont certes mis en œuvre quelques programmes destinés à drainer les montants transférés vers des investissements productifs. C'est le cas par exemple du plan anticrise qui a été lancé à la fin de l'année 2009 et qui visait «à anticiper les répercussions de la crise mondiale sur l'économie marocaine, tout en proposant une série de mesures répondant aux besoins des MRE, tant au Maroc qu'à l'étranger». Dernièrement, certains pays européens ont pris les devants, de façon à anticiper sur les répercussions de la crise et à permettre aux compétences marocaines de participer au développement du pays. À ce titre, un fonds de plus de 1,2 million d'euros a été mis en place en juin dernier dans le cadre du programme «Mobilisation des compétences marocaines en Belgique». La particularité de ce programme mis en place avec le soutien de l'Organisation internationale des migrations (OIM), du ministère en charge des MRE et de la Fondation Hassan II pour les MRE est qu'il cible particulièrement les binationaux. «Alors que la tendance chez les travailleurs immigrés de la première génération était de consacrer leur épargne à l'achat d'un bien immobilier, une maison pour les vieux jours, il en va différemment pour leurs enfants et leurs petits-enfants. Chez ces derniers, des binationaux pour la plupart, c'est plutôt le désir d'investir dans des projets d'entreprise que l'on retrouve», explique un responsable du programme. Le programme a donc pour objectif, «d'encourager les expatriés marocains à investir leurs économies et leurs compétences dans la création d'entreprises dans les régions de Tanger-Tétouan, de l'Oriental et dans la province d'Al Hoceima. Il s'adresse principalement aux promoteurs belges d'origine marocaine et aux MRE qui souhaitent investir dans ces régions», explique la même source, avant d'ajouter que le choix de ces régions est relatif au fait que la majorité des membres de la communauté marocaine en Belgique (évaluée à 285.000 personnes) proviennent de ces zones. L'expérience mérite d'être dupliquée avec d'autres pays, en attendant que la crise passe. Ce qui est sûr, c'est que les autorités sont désormais alertées. Plusieurs autres pays risquent de sombrer également dans la récession comme la France et accentuer l'ampleur de la situation. «La crise peut servir aussi d'opportunité pour le développement du Maroc», ne cessent de répéter les autorités. Pourtant, pour le gouvernement, le retour au bercail des MRE en provenance des pays en crise inaugure de perspectives désastreuses pour l'économie nationale. Avec le tourisme et les phosphates, les transferts des MRE constituent les mamelles de l'économie nationale. Selon les statistiques de la Direction des études et des prévisions financières, la bonne performance de la consommation des ménages, constatée ces derniers mois, est due à la hausse des recettes des Marocains résidant à l'étranger (MRE). Cela va de soi, comme le fait brillamment remarquer Nourredine Harrami, «Un bon MRE, c'est celui qui est dehors et qui envoie des fonds au pays » ! Le pire est-il à venir ? Les situations des MRE en Espagne et en Italie constituent, actuellement, les cas les plus alarmants. Reste que le pire est peut- être à venir au vu de l'ampleur que ne cesse de prendre la crise dans ces pays, avec les dernières mesures d'austérité décidées. De plus, la situation dans le reste de l'Europe ne présage pas de perspectives prometteuses pour les prochaines années, en tout cas à court terme. Si la communauté des MRE est aujourd'hui globalisée, avec une présence sur les cinq continents, elle reste massivement concentrée dans cinq principaux pays de l'Union européenne. La provenance des transferts des MRE est pour une grande partie originaire de la France, suivis par ceux d'Espagne, d'Italie et de Belgique. En 2011, par exemple, sur les 58,6MMDH enregistrés, les Marocains de France ont contribué à hauteur de 23,28MMDH (40,4%),contre 6,3 MMDH pour ceux d'Espagne et 6,3 MMDH d'Italie, ce qui correspond à une part de 10,7% pour chacun de ces pays. Les Marocains de Belgique ont contribué à hauteur de 6,1%, soit en valeur 6,1MMDH. Pour le reste, les fonds proviennent respectivement des Emirats arabes unis, des USA, de l'Allemagne et de l'Arabie saoudite, autre pays qui acceuille une communauté relativement importante de Marocains, ainsi que des Pays-Bas. Il faut donc espérer que la situation s'améliore dans ces pays pour envisager une vraie reprise des transferts vers le Maroc, ce qui pour le moment n'est qu'hypothétique, la reprise dans les pays fournisseurs restant assez incertaine. D'où la nécessité de tabler sur une meilleure utilisation des fonds ainsi transférés.