Tout semble indiquer que la Politique de la ville est définitivement là pour changer l'image des villes marocaines. Consultations, 5.000 participants aux 16 ateliers organisés, 30 rapports produits... les services de Nabil Benabdellah, ministre de l'Habitat, de l'urbanisme et de la politique de la ville, n'ont pas chômé ces quatre derniers mois. Abdelilah Benkirane, conseillé sur la question par Moulay Ismael El Alaoui, ancien leader du PPS, lors de son accession au pouvoir exécutif, en fait «une priorité de (son) gouvernement» et Benabdellah, le projet de son quinquennat. Et pourtant, à l'image de son action depuis son arrivée au ministère de l'Equipement, Abdelaziz Rabbah semble le plus disserte sur le sujet de la Politique de la ville. Lors des Assises tenues mercredi dernier à Rabat, Rabbah n'a eu de cesse d'interpeler son collègue à l'Habitat et au ministère de l'Intérieur. Au cœur de toutes ses déclarations et propositions, le rôle et les responsabilités incombent aux collectivités locales. Une préoccupation que partage par ailleurs un certain nombre de cadres du ministère de l'Habitat, présents à l'événement, pour qui la Politique de la ville est un «cadeau empoisonné» pour le ministère. Politique de la ville ou projets de ville ? «La Politique de la ville, telle qu'elle a été entreprise en France, et celle qui sera lancée au Maroc, ce n'est pas la même chose», expliquait, dès les premiers mots de son allocution, Adil Jazouli, chargé de mission auprès du SG du Comité interministériel des villes de France (CIV). Disons, et le rappel a son importance, que le CIV a été créé en 1984 pour coordonner les actions des divers intervenants sur la Politique de la ville. C'est à lui qu'a été conférée la responsabilité de définir les orientations de la Politique de la ville, d'établir les programmes à mener (niveau schéma directeur) et de répartir les moyens sur les différents acteurs de la Politique de la ville. Il faut également rappeler que la Politique de la ville en France est celle d'une lutte contre l'exclusion, et a donc exclusivement ciblé les zones dites défavorisées ou sensibles, autrement dit, les banlieues. Dans son projet de référentiel, Benabdellah a retenu l'idée de créer une commission rattachée auprès du chef de gouvernement qui aura la tâche, comme le CIV, d'orienter les projets de la Politique de la ville. Or, en France, et rien que pour les banlieues, les autorités ont créé, en sus du CIV, instance décisionnelle par essence, le CNV, le Conseil national des villes, qui jouera le rôle de premier conseiller du gouvernement. Au Maroc, et pour un projet de politique pour la ville, puisque tout est à requalifier dans les villes marocaines, la commission qui sera créée, jouera le rôle du CIV et du CNV, soit concertation, conseil et décision. En outre, il faut dire par ailleurs, que de 1977 à 1984, date de création du CIV, les autorités françaises ont créé le programme «Habitat et vie sociale», le «Fonds d'aménagement urbain» (FAU), le «Plan banlieue», le «Groupement interministériel permanent pour l'aménagement des banlieues» (GIAB), la «Commission pour le développement social des quartiers», les «Zones d'éducation prioritaire» (ZEP), «les Conseils communaux de prévention de la délinquance» (CCPD), «les Etats généraux de la ville», «les missions locales pour l'emploi», etc... tant la liste est longue. De quoi donner des idées à Benabdellah, mais également à tous les acteurs politiques de la scène publique nationale, pour dépasser la logique critiquée par Benkirane, d'une ville marocaine comme «centre d'exercice du pouvoir et du contrôle territorial», telle qu'elle est décrite par Ali Sedjari, professeur universitaire, dans son livre «Les politiques de la ville, intégration urbaine et cohésion sociale». Rabbah, le «rêve politique» et la politique de la ville Nous avons ainsi, d'un côté une politique ciblant une kyrielle de programmes, et de l'autre une politique large, et... pas de programmes précis. Aurait-il fallu prolonger davantage la réflexion sur une stratégique politique publique, et lancer en parallèle des programmes d'action territorialisés concrets et ciblés ? Pour Benabdellah, l'urgence est à l'action, mais pour les parties prenantes, aucune visibilité n'aide à la compréhension, finalement, des attentes d'une telle politique. Au niveau de l'Exécutif, Rabbah prend la mesure de cette difficulté. Invité à un des panels sur les modalités de mise en œuvre de la Politique de la ville, le ministre de l'Equipement n'a pas mâché ses mots. «Nous avons malheureusement hérité des villes telles qu'elles sont aujourd'hui, nous devons par conséquent y faire face», avoue Rabbah. Et d'énumérer ensuite toute une liste de recommandations. Il se prononce ainsi pour une totale «restructuration des villes marocaines», là où le projet actuel parle de revitalisation, requalification, réhabilitation, renouvellement, voire rénovation ou redynamisation. La refondation de la ville commence, pour lui, par une «définition des responsabilités», parce que, prévient-il, «si nous réussissons au niveau central et que nous échouons au niveau local, c'est comme si nous n'avions rien fait». Déjà, il s'agit selon Rabbah, de «réformer d'urgence les collectivités locales». «Les élus locaux ne prennent que 10 à 20% des décisions locales, ce n'est pas normal», s'insurge le ministre. «Pour l'exemple des dysfonctionnements au niveau local, pour un mandat de 6 ans, il faut au moins 3 années de combat avec la tutelle», exercée par l'Etat sur les collectivités locales. Plus concrètement, la question qui se pose est de savoir comment une collectivité locale peut réellement intégrer des projets de politique de la ville, dès lors qu'«un vice-président d'une collectivité est chargé d'urbanisme, et signe par exemple les autorisations de bâtir au lieu de planifier et d'orienter ?», poursuit Rabbah. En se basant sur son expérience de député à Kénitra, Rabbah ne veut pas que la ville soit détachée de son environnement. «Il faut absolument accompagner la politique de la ville par une politique de la périphérie de la ville», explique-t-il. Il propose alors de renforcer d'un côté les agences urbaines, et de créer de l'autre, des agences pour le monde rural. Au niveau urbain, il est nécessaire, avance-t-il, «que chaque ville ait sa propre politique foncière, vu qu'à l'heure actuelle, nos villes ne contrôlent pas leur foncier». Sur ce sujet en particulier, il pousse la réflexion plus loin, en prenant l'exemple de l'ONCF qui disposerait «de terrains vacants à l'intérieur des villes». «Auparavant, nous attendions de la ville et ou de la région de créer des infrastructures dans le cadre des projets de développement. Aujourd'hui, il faut inverser la logique pour faire en sorte que les infrastructures, gares, aéroports, et surtout ports, participent au développement urbain», propose-t-il. Il voit donc d'un bon œil la création d'un pôle au sein de la ville, qui permettrait ainsi à l'ONCF par exemple, et aux autres offices publics par la même occasion, de réfléchir conjointement avec les villes sur la meilleure manière d'exploiter leur foncier. Pour la réussite des projets de ville, il se dit finalement prêt à ce que «l'expertise accumulée par le ministère soit mise à disposition des collectivités locales, dans un cadre de strict accompagnement technique». En outre, il s'agit là d'un autre sujet de préoccupation du ministre, «la séparation du politique et du technique».