Tant attendue, notamment par les professionnels de l'import-export et par le peu de consommateurs marocains soucieux du respect de leurs droits, la loi de protection du consommateur n'en a pas fini de faire parler d'elle. Publiée au bulletin officiel du 7 avril dernier, la loi 31-08 édictant des mesures de protection du consommateur n'en reste pas moins encore à ses balbutiements. «Malgré le caractère innovateur de la loi 31-08, elle reste imparfaite du fait des lacunes juridiques et des insuffisances qu'il faudra combler à l'avenir», résume ainsi Mehdi Diouri, avocat au barreau de Casablanca et spécialiste du droit des affaires. Invité à intervenir à un séminaire organisé par la Chambre allemande de commerce et d'industrie au Maroc, l'avocat n'a pas mâché ses mots quant au contenu de cette loi. «Sur les 206 articles que contient cette loi, 17% (articles 69-105) portent sur les crédits de consommation et 19% sur les crédits immobiliers (106-146). En groupant ces deux domaines et en y ajoutant les dispositions générales, le texte consacre 60% de son contenu aux crédits comme si le crédit était une fatalité de la société marocaine», précise ainsi l'avocat. Et pourtant, c'est dans ce seul domaine que la loi a fixé un délai de mise en conformité : les contrats de crédits à la consommation doivent en effet inclure les nouvelles dispositions fixées par la loi, au plus tard à la fin de ce mois-ci. De l'avis d'un responsable de Crédit du Maroc, les nouveaux contrats de crédits à la consommation et de location avec option d'achat sont pratiquement finalisés au sein du GPBM. Restent en suspens les offres préalables de crédit immobilier. D'un autre côté, les dispositions protégeant la sécurité et la santé du consommateur sont le parent pauvre de cette loi. À quand des associations de consommateurs reconnues d'utilité publique ? Autre faille relevée par l'avocat, la loi 31-08 a certes établi le cadre général nécessaire mais reste inapplicable en l'absence de ses décrets d'application. Nombreuses sont en effet les dispositions du nouveau texte qui attendent d'être précisées par voie réglementaire. Ne serait-ce que l'article 203 qui prévoit l'instauration d'un «conseil consultatif supérieur de la consommation, sous forme d'institution indépendante, chargé notamment de proposer et de donner son avis sur les mesures destinées à promouvoir la culture consumériste et à augmenter le niveau de protection du consommateur». Pour l'heure, sa composition, ses attributions et son mode de fonctionnement restent la grande inconnue de cette problématique. Pour Me Diouri, il faut espérer voir la publication de ces décrets d'application d'ici 18 à 24 mois. En attendant, les entreprises sont épargnées du casse-tête chinois qui les confronte à la mise en conformité de leurs activités avec les nouvelles dispositions légales. Néanmoins, la loi 31-08 a le mérite d'avoir reconnu l'existence du consommateur. En outre, pour la première fois, elle prévoit le recours collectif à la justice. Reste que la quarantaine d'associations marocaines de consommateurs existant aujourd'hui souffrent encore d'un manque d'influence notable. Mehdi Diouri Avocat spécialiste en droit des affaires Les Echos quotidien: De manière générale, quelle est votre appréciation du texte de loi ? Mehdi Diouri :Très clairement, la loi 31-08 consacre enfin l'existence du consommateur. On passe du passif à l'actif. Et en tant que consommateur, on me donne enfin la possibilité de me protéger par certains biais, avec bien sûr des limites. Le consommateur a non seulement des droits mais il a également des devoirs, dont celui d'être responsable et averti. Concrètement, le droit de rétractation est généralisé par la loi 31-08, les droits des emprunteurs sont renforcés et les délais de livraison sont juridiquement établis. Mais avant de pouvoir réellement être opposées devant la justice, ces garanties doivent faire l'objet de décrets d'application que l'on attend toujours. Même lorsque ces décrets seront publiés, la loi sera-t-elle proche de la perfection ? De toute manière, les lois sont prévues pour être amendées par les gouvernements successifs, en fonction de leur idéologie respective. Il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui, le consommateur marocain existe principalement sous l'impulsion des marchés internationaux qui voient le Maroc comme une plateforme d'import et d'export non négligeable. Quelle entité sera chargée de veiller à l'application de la loi ? En théorie, cette mission doit revenir au Conseil supérieur de la consommation. Mais pour l'instant, sa composition comme ses attributions et son mode de fonctionnement restent inconnus. Ils seront fixés par voie réglementaire. Au vu des pratiques actuelles menées par les entreprises marocaines, quelle serait la conséquence de la mise en conformité de leurs activités avec la nouvelle loi ? L'adaptation des entreprises marocaines aux nouvelles dispositions légales va engendrer une réduction drastique du chiffre d'affaires parce qu'elles ne pourront plus vendre n'importe comment, n'importe quoi. Tant que les décrets d'application n'ont pas été publiés, l'absence de précision quant au délai de transition imposé aux entreprises pour se conformer aux nouvelles dispositions joue en leur faveur.