S'il y a un secteur qui a connu un développement fulgurant, touchant en l'espace d'une décennie la quasi-totalité de la population, c'est bien celui des télécommunications. Critiqué avec virulence pour la cherté des prix et l'opacité des relations fournisseurs clients, le régulateur du secteur est monté plus d'une fois au créneau, insistant sur le parcours exemplaire de cette activité économique, désormais fondamentale, et en elle-même facteur de compétitivité nationale. Aujourd'hui, l'Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT) est en passe d'entrer dans une nouvelle ère de régulation. La nouvelle loi (modifiée) sur les postes et télécommunications, ainsi que les décrets qui lui sont associés, entrent dans leur phase finale avant la promulgation. Ils sont plus précisément en fin de phase de consultation publique, pour encore 9 jours, après que les premiers blocs de remarques et de propositions aient été reçus, et commentés par l'Agence. Ce sont principalement Maroc Telecom et Méditel qui ont naturellement intervenu le plus, procédant littéralement à la réécriture des textes proposés. Et sans surprise toujours, chacun a essayé de tirer les dispositions du texte en faveur de son business. Le régulateur lui, a certes intégré quelques «légères» propositions, mais est resté impassible face aux recommandations «stratégiques» des opérateurs. «L'esprit de ces textes est d'assurer la croissance à long terme de ce secteur, qui a beaucoup évolué en une décennie», insiste Azdine El Mountassir Billah, directeur général de l'ANRT. En revenant brièvement sur la physionomie du secteur, les divergences d'intérêts réglementaires entre les opérateurs sont évidentes et même, compréhensibles. Un opérateur historique qui a construit une bonne part de son avantage compétitif sur sa couverture du réseau, un second qui a été contraint à investir lourdement dans son infrastructure réseau, puis un dernier, qui a misé sur une nouvelle technologie dans un premier temps, avant de bousculer le marché avec des offres qui ont relancé l'agressivité commerciale, comme la facturation à la seconde. Inwi est d'ailleurs resté très discret dans ses propositions sur les textes. Dès lors, les nouvelles dispositions légales, partage d'infrastructure en tête, font naturellement grincer les dents des plus anciens. «Il est possible que certains principes introduits, ne convergent pas avec les objectifs des acteurs du marché, parce que ces règles ne vont pas nécessairement dans le sens de leurs affaires», poursuit le DG de l'Agence. Véritable pouvoir de sanction Ceci dit, ces nouveaux textes, une fois promulgués, donneront, entre autres des prérogatives élargies à l'agence de régulation, avec notamment un véritable pouvoir de sanction. Une éventualité vraisemblable, qui devrait pour le moins agacer Abdelali Benamour, président du Conseil de la concurrence, puisque scellant définitivement le sort de la régulation des télécoms. Pour rappel, ce dernier réclamait que tous les secteurs soient soumis à l'autorité du Conseil en matière de concurrence, sans exception, y compris les télécommunications. Sur le fond, il faut dire que les nouveaux textes introduisent des dispositions qui vont globalement dans le sens de la baisse des prix, de la transparence et de l'optimisation des investissements. Des évolutions qui se sont faites dans la continuité des décisions réglementaires précédentes, à l'exemple de celles relatives à la rupture des contrats d'abonnement. Une fois les textes promulgués, le régulateur disposera de pouvoirs de sanction élargis, puisque le projet de loi prévoit la mise place d'amendes pécuniaires proportionnelles à l'ampleur de l'infraction, telle qu'estimée par l'ANRT. Plus de pouvoirs donc en vue pour l'Agence d'El Mountassir Billah, dont il a la responsabilité de mettre en œuvre dans l'intérêt du secteur, et surtout en faveur du consommateur lambda. Non au partage d'infrastructures L'introduction par l'ANRT d'un chapitre visant l'amélioration du régime de partage des infrastructures, au niveau du décret relatif à l'exploitation des réseaux publics de télécommunications, n'a pas été accueillie favorablement par l'opérateur historique du royaume, Maroc Telecom, qui propose de le supprimer. En effet, l'opérateur estime que «la généralisation de l'obligation d'accès et de partage à l'ensemble des infrastructures déployées par les opérateurs et l'extension de l'obligation de roaming national limiteront considérablement l'investissement et l'innovation sur le marché des télécommunications au Maroc». Cet avis n'est pas partagé par les autres opérateurs, qui ont proposé des modifications par rapport au mode de tarification de l'accès à ces infrastructures. Quant à l'ANRT, qui rejette catégoriquement la proposition de Maroc Telecom, elle précise que l'objet de cette amélioration «est d'optimiser les investissements et réduire les coûts d'exploitation, ce qui se répercutera sur les tarifs des services de télécommunications». En plus de l'encadrement des dispositions relatives à l'exploitation des réseaux, le décret cherche également à clarifier les dispositions relatives à la tarification des offres faites par les opérateurs à leur clientèle. Selon le projet de décret, la tarification doit dorénavant être assujettie à l'approbation de l'ANRT et les offres doivent inclure certaines informations essentielles pouvant être modifiées ou révisées, sur demande de l'Agence. Cette stipulation n'est pas du goût des opérateurs, qui suggèrent l'allégement, voire la suppression du contrôle tarifaire de l'ANRT, «compte tenu de l'intensification de la concurrence et de l'existence de mécanismes permettant la régulation des marchés de gros», relève-t-on notamment sur les remarques de Maroc Telecom. Cet avis est partagé également par Meditel, qui estime que «le développement de la concurrence sur le marché mobile ne nécessite plus une validation a priori des tarifs de détail. Ainsi, les opérateurs doivent disposer de la liberté des prix et de la politique commerciale». Intransigeant, le régulateur du secteur des télécommunications a rejeté la proposition de suppression, en raison «des risques qu'elle fait peser sur l'évolution de la concurrence et le développement harmonieux des marchés des télécommunications». Problématique inter-connexion L'inter-connexion crée toujours la polémique au sein des opérateurs. C'est au tour d'un aspect bien particulier, celui du dégroupage de la boucle locale, de susciter autant de débat. Au niveau du décret relatif à l'inter-connexion et à l'accès aux réseaux de télécommunication, l'ANRT a décrit en détail les modalités d'utilisation de ce processus qui permet aux concurrents de Maroc Telecom d'accéder aux lignes téléphoniques (la «paire de cuivre» jusqu'à l'abonné et mettant fin au monopole de l'opérateur historique sur les communications locales. L'opérateur concurrent qui le désire peut sous-louer tout ou partie d'une ligne téléphonique et proposer ses propres services, parmi lesquels on trouve le service téléphonique local traditionnel, mais aussi les accès haut débit DSL. Ce mécanisme étant non encadré auparavant, les propositions de l'ANRT à ce sujet viennent combler un vide, en s'inspirant des pratiques internationales. Maroc Telecom a suggéré la suppression du chapitre encadrant la pratique, du fait que «le dégroupage est un levier de régulation qui ne peut être tenu pour acquis sans une analyse préalable du marché». Du côté de l'ANRT, cette suggestion n'a pas été retenue. En revanche, elle a adopté celles visant à apporter plus de précision au régime d'interconnexion. De plus, l'ANRT a adopté la proposition d'introduire dans le contrat d'inter-connexion des engagements relatifs à la mise à disposition et à la livraison des capacités d'inter-connexion et de pénalités en qualité de non respect desdits engagements. Meilleur cadre Le projet de loi qui s'inscrit dans le cadre de la note d'orientation établie en 2010, introduit plusieurs modifications. En parallèle, les opérateurs ont suggéré des modifications qui n'appuient pas forcément les positions de l'ANRT. Il s'agit notamment de la proposition de supprimer la contribution des opérateurs, à la recherche et à la réduction de celle à la Formation et normalisation ainsi que celle aux missions de services universels. À ce titre, Meditel estime que «le mécanisme actuel pour doper la recherche est inefficace. De même, la suppression de la contribution aux missions de services universels permettra d'optimiser les investissements et de réorienter les efforts vers l'amélioration de l'accessibilité des services». Ces suggestions sont réfutées par l'ANRT qui demeure intransigeante sur le rôle et l'intérêt de ces contributions qui constituent la participation des opérateurs aux programmes de développement socio-économique du pays. Par ailleurs, le régulateur a retenu la proposition stipulant que l'itinérance nationale ne doit donner lieu à aucun surcoût pour le bénéficiaire. L'instance a également retenu l'introduction de la tarification à la seconde comme option pour les abonnés. Quatre mois pour l'instruction de litiges L'interconnexion, l'accès, l'itinérance nationale et le partage des infrastructures constituent souvent l'essentiel des litiges entre les opérateurs. Le nouveau décret y afférent introduit des précisions et des clarifications quant aux règles de procédure applicables en matière de règlement de ces litiges. Elles visent notamment à encadrer les conditions de déclaration de la recevabilité de la saisine et à consacrer le principe du contradictoire lors de l'instruction du litige. À ce titre, plusieurs amendements au projet de décret actuellement en discussion ont été écartés par l'instance de régulation. Ainsi, l'ANRT opte pour le maintien de la période de quatre mois fixée pour l'instruction des litiges, au lieu des deux mois proposés par les opérateurs. L'instance n'a pas non plus retenu de délai au sujet de l'instruction des saisines pour pratiques anticoncurrentielles et concentrations économiques. L'Agence a été par contre favorable aux propositions qui veulent renforcer le droit à l'information des opérateurs, que ce soit lors de l'échec des négociations ou du rejet des demandes déposées auprès du régulateur. «Les textes sont inspirés des meilleures pratiques internationales»: Azedine El Mountassir Billah, DG de l'ANRT Les Echos quotidien : Comment avez-vous accueilli les remarques de Maroc Telecom et de Méditel sur les nouveaux textes régissant le secteur ? Azdine El Mountassir Billah : Je ne peux me prononcer sur des opérateurs précis en particulier. La procédure de consultation est ouverte au public, toute personne physique et morale, y compris les opérateurs de télécommunications. Bien entendu, chaque partie peut soutenir une vision qui lui est propre, et qui peut, soit converger soit diverger avec la vision de l'Agence nationale de réglementation des télécommunications. Il est également possible que certains principes introduits ne convergent pas avec les objectifs des acteurs du marché, parce que ces règles ne vont pas nécessairement dans le sens de leurs affaires. Par exemple, concernant le partage des infrastructures, les petits opérateurs sont intéressés, alors que les gros acteurs ne se sentent pas concernés. Pour l'ANRT, le principe est clair: ne pas permettre de partage d'infrastructures au départ a permis d'encourager l'augmentation rapide des investissements, alors qu'actuellement, le partage va dans le sens du développement du secteur à travers l'optimisation des montants investis. Les propositions rejetées vont-elles à l'encontre de l'esprit des textes ? Quels en sont les fondements ? Il y a des remarques dont on a tenu compte, d'autres pas. Le texte qui est déposé maintenant constitue le projet de loi tel que nous pensons le défendre. La finalité est d'assurer la croissance à long terme du secteur, autour de trois piliers. Le premier concerne le consommateur et sa protection. Les dispositions qui régissent les relations entre clients et opérateurs sont donc explicitées dans ce nouveau texte modifié. Le second porte sur les infrastructures, en mettant en place des obligations réglementaires, visant à optimiser les investissements, notamment à travers le partage des réseaux. Le troisième et dernier pilier s'intéresse au pouvoir de sanction de l'Agence, en prévoyant de nouvelles prérogatives. De quoi donner au régulateur le pouvoir d'infliger des amendes dans des délais rapides et dans des proportions cohérentes avec la gravité de l'infraction. Il s'agit, de façon générale, de donner plus de souplesse dans l'action du régulateur. Les textes peuvent encore être soumis à amendements. Ne craignez-vous pas qu'ils perdent de leur esprit ? Ces textes sont largement inspirés des meilleures pratiques au niveau international, dans les pays où le secteur des télécommunications est particulièrement développé. Nous avons pris le meilleur dans chacune des législations. Lorsque nous sommes passés devant la commission des finances, nous avions le sentiment que les parlementaires partageaient notre point de vue.