les Echos : Quel bilan faites-vous de la première note d'orientation (2004-2008) du secteur des télécoms ? Azzeddine El Mountassir Billah : La période 2004-2008 a été caractérisée par un fort développement des télécoms. Le taux de croissance du chiffre d'affaires du secteur était de l'ordre de 11 à 12%. Ce qui représente pratiquement le double de la croissance du PIB national. Le taux de pénétration a également connu une évolution importante, grâce notamment à l'ouverture du marché (octroi de deux licences du fixe, trois licences 3G et une licence 2G). Personnellement, je trouve que le bilan de la première note d'orientation (2004-2008) est plutôt positif. Pratiquement toutes les mesures prévues ont été mises en œuvre (ndlr : celles relatives à la libéralisation du secteur)... Vous parlez bien de l'ensemble des mesures prévues ? Il est vrai que certaines mesures ont été mises en place mais elles n'ont pas eu les résultats escomptés. Notamment la portabilité des numéros, le dégroupage et le partage des infrastructures. Mais, même si ces trois éléments n'ont pas atteint leurs objectifs, plusieurs aspects relatifs à leurs cadres juridiques ont été mis en œuvre. Grosso modo, on aurait pu faire mieux concernant ces trois chantiers ? Effectivement. La portabilité des numéros (changer d'opérateur tout en gardant le même numéro) n'a pas vraiment connu d'engouement sur le marché. Certains parlent de l'échec de sa mise en place. Qu'en pensez-vous ? On ne peut pas parler d'échec. La portabilité n'a juste pas connu le développement espéré. Pour nous, régulateur, la portabilité aurait pu aller au-delà de ce qui a été réalisé jusqu'à maintenant. C'est pour cette raison que la portabilité est l'un des axes qui ont été repris par la note d'orientation à l'horizon 2013. Ces conditions vont d'ailleurs être améliorées et les délais réduits. Quels sont les délais actuels pour changer d'opérateur sans changer de numéro ? On en est encore à 15 jours, alors qu'en Europe la moyenne est de deux jours. Il n'est pas exclu que l'amélioration des délais soit en trend, c'est-à-dire progressive. Par ailleurs, l'ANRT compte aussi faire une proposition pour le changement du cadre juridique et légal, pour que, en cas de retard, il y ait des mesures coercitives. L'objectif est de stimuler le recours à la portabilité, et ce dans des délais acceptables et raisonnables. La note d'orientation 2009-2013 n'a été publiée qu'en février 2010. Pourquoi ce retard ? En réalité il n'y a pas eu de retard. Il y a eu le jalonnement d'un certain nombre d'événements qui ont fait que la note a été reportée. Je cite à titre d'exemple le plan Maroc Numeric 2013 et le changement dans le tour de table de Wana Corporate et de l'actionnariat de Méditel. Il n'était donc pas opportun de sortir la note d'orientation pendant le déroulement de ces événements majeurs. Cela aurait pu influencer ces derniers. Vous avez signalé à maintes reprises que les tarifs des communications téléphoniques au Maroc sont trop chers. Une récente étude l'a confirmé. Peut-on dire que la nouvelle note d'orientation poussera vers la baisse des prix ? La note d'orientation ne va pas décréter la baisse des prix. Les tarifs du secteur sont libres, à condition qu'ils respectent un certain nombre de règles (vente à perte...). Sauf que les opérateurs expliquent souvent la cherté des tarifs de communications téléphoniques au Maroc par le niveau des tarifs d'interconnexion, fixé par le régulateur... Le régulateur n'est pas là pour imposer des tarifs d'interconnexion. Ces derniers sont calculés selon des règles précises et concises. Généralement, l'ANRT pourrait avoir recours à l'expertise externe pour déterminer ces tarifs, comme il recourt au benchmark. Il faut savoir aussi que les tarifs d'interconnexion ne sont pas le seul élément qui détermine les prix de vente. En 2009, le tarif d'interconnexion du mobile pour les deux opérateurs globaux (ndlr : Maroc Telecom et Méditel) était de 1,15 DH. Les tarifs de détail sont bien plus importants. La note porte sur trois ou quatre grands chapitres. Le premier concerne l'activation d'un certain nombre de leviers de régulation. Parmi lesquels les tarifs d'interconnexion, c'est-à-dire les tarifs des échanges de communications qui se passent entre les opérateurs (tarifs de terminaisons d'appels). Nous allons procéder à une baisse assez importante de ces tarifs, de gros, d'interconnexion. Car a contrario des tarifs de détails, les premiers sont régulés, et déterminés par le régulateur, en discussion avec les opérateurs. La réduction d'une manière très importante de ces tarifs d'interconnexion est l'un des principaux leviers qui seront activés durant la période 2010-2013. Cette réduction donnera plus de marge de manœuvre aux opérateurs afin de baisser leurs prix. Mais au final, je reste convaincu que c'est la concurrence qui mènera vers une réelle baisse des prix. Cette baisse sera de l'ordre de combien ? Je ne peux pas encore communiquer les chiffres. Nous allons tenir dans les semaines à venir une réunion du comité de gestion de l'Agence. Ce comité va statuer sur les niveaux de baisse sur la période et le trend de baisse annuel. En tout cas, je peux vous assurer que la baisse sera très importante, pour chacun des opérateurs et pour chacun des réseaux. Puisque nous baisserons les tarifs d'interconnexion du fixe, de la mobilité restreinte et du mobile. Vous dites que la baisse des tarifs d'interconnexion donnera plus de marge aux opérateurs, pour baisser les prix. Ce qui devrait bénéficier au consommateur final. Et si jamais il y a entente entre les trois opérateurs pour garder les tarifs à un seuil déterminé ? Cette éventualité est une accusation grave ! D'abord, il n'y a jamais eu d'entente entre les opérateurs. Et puis de toute façon, la loi interdit ce genre de choses. Nous restons confiants quant à la répercussion, mais il n'y a pas d'obligation légale. La concurrence fera en sorte qu'une partie de la baisse des prix d'interconnexion bénéficie au consommateur final. Pourquoi avoir reconduit l'asymétrie jusqu'en 2013 pour Wana Corporate ? Pas seulement pour Wana. L'asymétrie est même envisagée entre les trois opérateurs. Le comité de gestion va statuer sur ce point. Globalement, on applique des asymétries tarifaires aux nouveaux entrants sur le marché, comme cela a été le cas pour Wana, pour la téléphonie mobile, il y a un an. La raison est simple : un opérateur qui vient de démarrer a des coûts plus importants qu'un opérateur dominant. En tenant compte de ce différentiel de coûts, cela génère un différentiel au niveau des tarifs d'interconnexion. L'asymétrie est utilisée partout dans le monde pour permettre de tenir compte des différentiels de coûts entre les opérateurs. L'asymétrie qui a existé, en 2009, pour le mobile de Wana Corporate, a été de 23%. Méditel et Wana estiment que les tarifs du dégroupage (la possibilité pour les opérateurs alternatifs d'utiliser la boucle locale de Maroc Telecom) imposés par l'opérateur historique sont chers pour l'investir. Que programmez-vous pour améliorer le dégroupage ? Le dégroupage sera amélioré, en termes de tarifs et de conditions d'accès. Là aussi, on programmera un certain nombre de mesures coercitives, si les choses ne se passent pas dans les délais souhaités. Et cette année, une seconde baisse est programmée. Vous parlez bien de pénalités de retard ? Deux scénarios sont proposés : pousser les opérateurs à mettre des pénalités entre eux ou ce sera l'agence qui va proposer un certain nombre de mesures. Vous dites que le partage d'infrastructures est l'un des chantiers inaboutis de la première note d'orientation. Que prévoit la deuxième note sur ce plan ? Le partage des infrastructures est aussi un levier très important. Nous allons activer massivement ce levier. Je vous donne un exemple : tout au long de l'autoroute Casablanca-Rabat, chaque opérateur a installé ses propres pylônes pour les antennes télécoms. L'idée est de les pousser à partager ces infrastructures.L'objectif est de réduire les coûts d'investissement, qui ont aussi un impact sur le prix de détail. Ainsi, si un opérateur installe une infrastructure lourde (pylônes, alimentations électriques...), il serait obligatoire pour lui de permettre aux opérateurs concurrents de mettre leurs équipements sur cette même infrastructure. Les tarifs de partage des infrastructures seront-ils aussi régulés par l'ANRT ? Il y aura des modifications qui concerneront les textes de lois pour réguler les tarifs de partage des infrastructures. Nous sommes en train de travailler sur les propositions de modifications, après c'est le circuit officiel ordinaire pour leur adoption. L'ANRT intervient ainsi d'une manière indirecte pour baisser les prix. Nous mettons les outils qui permettent aux opérateurs de baisser les prix, à travers la concurrence. Pourquoi l'Agence compte-t-elle lancer une nouvelle licence pour la téléphonie fixe ? Le deuxième pavé de la note d'orientation concerne la libéralisation du secteur, qui concernera trois points. Le Maroc a donné deux licences de téléphonie fixe, dont l'une avec mobilité restreinte. En 2010, il va y avoir une analyse du respect des conditions d'utilisation de ces deux licences. Si on se rend compte que les opérateurs n'ont pas respecté leurs cahiers des charges et n'ont pas engagé les investissements nécessaires, on se donnera la possibilité de lancer une consultation pour une nouvelle licence de téléphonie fixe ou une licence pour un opérateur d'infrastructures. Vous parlez de téléphonie fixe alors qu'on est déjà mal partis sur ce segment. Peu d'investissements y ont été réalisés et les clients boudent le fixe, au profit du mobile. C'est finalement un marché qui n'est pas porteur pour les investisseurs... Octroyer aujourd'hui une licence de téléphonie fixe n'est pas évident. C'est pour cette raison qu'on veut ouvrir la voie aux opérateurs d'infrastructures. Ces derniers vont louer leurs plateformes, sur la base d'un prix régulé, aux opérateurs de services (l'exemple de l'ONE qui loue ses infrastructures à Wana et l'ONCF qui fait de même avec Méditel). L'idée est d'encourager l'avènement d'opérateurs de ce genre.