Le Maroc est-il en train de se doter de véritables instruments en matière d'intelligence économique et de veille stratégique ? La question mérite d'être posée, au regard de la concordance des initiatives publiques ou privées s'inscrivant dans ce cadre. La dernière en date a été, la publication il y a une semaine, de la «feuille de route pour une démarche nationale d'intelligence économique». Le document a été élaboré par l'Association marocaine d'intelligence économique (AMIE) et se décline en série de propositions, 16 au total, qui visent à permettre au Maroc de réussir la mise en place de ce mécanisme important en matière de renforcement de compétitivité. Aussi ambitieuses que soient les propositions formulées (voir page7), il s'agit là d'un véritable travail opératoire, qui sera d'un considérable apport pour le gouvernement. Le fait est que dans le cadre de l'élaboration de ces propositions de mesure, les auteurs se sont appuyés sur les meilleures pratiques au niveau mondial mais également ont tenu compte de la réalité économique marocaine. Les propositions ont été, en effet, élaborées sur la base d'un état des lieux de la situation actuelle, ainsi que sur les obstacles qui freinent la croissance du secteur industriel national à la lumière du contexte international. Pour ce faire, la réalisation du travail a nécessité la participation de plusieurs acteurs publics et privés. Il convient toutefois de relever qu'à travers ses propositions, la démarche de l'AMIE a été plus orientée vers une contribution pour les pouvoirs publics, en vue «d'insérer le Maroc dans une démarche d'intelligence économique». Cette approche a toute sa valeur, puisqu'elle met l'accent sur le processus qui s'annonce long et assez complexe, au regard des ambitions qui y sont déclinées. Cependant, au regard de l'objectif que s'est fixé le Maroc pour atteindre l'émergence économique d'ici la prochaine décennie, l'impact d'une telle initiative est de nature à accompagner la dynamique portée par d'autres aspects comme les différentes stratégies sectorielles mises en œuvre. C'est d'ailleurs à ce titre que l'AMIE a tenu à souligner que dans le chemin vers l'émergence, le Maroc a réalisé un réel progrès. Il lui reste, cependant, à franchir un pallier pour accéder aux portes de l'émergence. «Cette étape supplémentaire est constituée par un ensemble de chantiers stratégiques, dont beaucoup sont entamés, mais un certain nombre d'entre eux, notamment dans le domaine de l'organisation des énergies économiques, restent encore à imaginer et à déployer», ont noté les auteurs de la feuille de route. Cela a été d'ailleurs résumé par le président de l'AMIE, Abdelmalek Alaoui, qui a tenu à relever que le rapport a mis en lumière «des carences importantes en termes de partage d'information et de production de savoir de manière globale, au sein des pouvoirs publics». Selon Alaoui, ces insuffisances pourraient, toutefois, «être corrigées de manière satisfaisante pour conduire à une construction collective de sens», si une dynamique de convergence était enclenchée». Veille stratégique Il y a quelques semaines, le gouvernement à travers le ministère de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies, a fait part de son intention de réactiver le comité de veille stratégique. Ce mécanisme déjà en place sous l'ancien gouvernement est destiné à accompagner le développement et la croissance des entreprises marocaines dans la chaîne mondiale des valeurs, à un moment où la persistance de la crise économique impose aux opérateurs de se doter de nouvelles alternatives concurrentielles. L'annonce a été bien perçue au niveau de la communauté des hommes d'affaires marocains, principalement les chefs des grandes entreprises. Il faut dire qu'il s'agit là d'une doléance régulièrement exprimée par les opérateurs et qui s'est amplifiée au regard des difficultés rencontrées par plusieurs entreprises nationales et qui ont nécessité des mesures de sauvetage ou de protection commerciale. Ce sont particulièrement les PME qui ont souffert de cette situation, en partie engendrée par la crise économique que traversent les principaux marchés clients du Maroc. À cet égard, l'AMIE a justement mis en évidence la relation directe entre le développement des activités à l'international et la pratique de la veille stratégique dans les PME. Selon l'association, «cette relation découle du lien aussi évident qu'indissociable entre l'intelligence économique et la mondialisation». C'est pourquoi le développement de l'intelligence économique au Maroc est la clé de l'accès à une croissance à deux chiffres, celle-ci étant liée principalement à l'activité des entreprises exportatrices, ont justifié les auteurs du document. Il reste alors au gouvernement de s'appuyer sur les travaux déjà menés par plusieurs structures comme ceux réalisés en matière de veille stratégique par l'Institut royal des études stratégiques (IRES). Selon l'AMIE, en effet, le succès de la mise en œuvre d'une stratégie adaptée est conditionné par «la capacité du Maroc à dérouler de manière volontariste et intégrée cette batterie de mesures destinées à libérer les initiatives». Cette libéralisation devrait aussi s'inscrire dans le cadre de la réalisation d'un «choc d'intelligence et de convergence», qui constitue le principal défi de ce projet national d'intelligence économique. En somme, l'AMIE estime que bien que les préconisations de cette feuille de route soient simples, opérationnelles et peu consommatrices de budget, «elles impliquent un effort substantiel pour l'Etat et le secteur privé en matière de conduite du changement et de capacité d'appréhender et d'évaluer l'environnement extérieur». La balle est désormais dans le camp du gouvernement, qui dispose d'un large aperçu de la situation et aussi d'un véritable travail de fonds, qui est de nature à lui permettre de décliner une véritable politique nationale en matière de développement commercial, en misant sur toutes les alternatives qui conditionnent l'accès au statut d'économie émergente. Dynamique Le rôle de l'Intelligence économique (IE) tel que décliné en filigrane des 16 propositions formulées par l'AMIE à travers sa feuille de route, devrait s'articuler autour d'une dynamique portée par quatre axes majeurs. Il s'agit, d'abord, de l'obligation de convergence de l'action publique en termes de surveillance de l'information et de la coordination en matière de traitement et d'analyse. Ce qui vise à accompagner les acteurs publics et privés en matière de prise de décisions. De même, la feuille de route plaide pour un partage entre les parties prenantes de la connaissance stratégique préalablement enrichie et la mise en place d'une politique d'influence coordonnée au «service des intérêts supérieurs de la nation, notamment en matière de stratégie de conquête des marchés». Ce qui se résume à quatre nécessités fondamentales : celle de la collecte, du traitement et de la protection, du partage et de l'action. Proposition 1 : favoriser l'intégration numérique des acteurs à travers l'utilisation d'une plateforme de veille nationale unique de type «big data» intégrée et sécurisée : ce dispositif numérique permettra à tous d'accéder à tout. Proposition 2 : conditionner graduellement l'attribution des budgets à la mise en ligne, au sein du système national de veille, des études, analyses et autres prestations intellectuelles à caractère économique et stratégique. Proposition 3 : structurer un plan national de veille stratégique pour les acteurs existants, afin d'organiser une couverture sectorielle transverse destinée à mettre à profit leur complémentarité à travers un effort de spécialisation. Proposition 4 : lancer une mission de réflexion indépendante visant à déterminer l'image réelle du Maroc dans le monde qui permettrait de sélectionner les capteurs pertinents à surveiller. Proposition 5 : mettre en cohérence les dispositifs de collecte d'information avec les dynamiques linguistiques mondiales, développer l'utilisation de l'anglais, de l'espagnol, de l'allemand et du portugais. Proposition 6 : créer une chaire d'analyse stratégique transversale d‘intelligence économique ouverte aux civils au sein du Collège royal de l'enseignement militaire supérieur (CREMS)». Proposition 7 : rééquilibrer les cellules de veille existantes au plan national entre veilleurs et analystes et favoriser la co-construction d'information enrichie. Proposition 8 : créer un poste de chargé d'intelligence économique au sein de chaque cabinet ministériel et favoriser la création d'un poste de délégué à l'intelligence économique au sein des grandes entreprises. Proposition 9 : organiser les chargés de veille publics et privés autour d'une logique de réseau avec planification de réunions périodiques permettant de coordonner leur action. Proposition 10 : effectuer un diagnostic des pratiques liées à l'intelligence économique au sein des PME marocaines afin d'orienter les futures actions de formation et d'accompagnement. Proposition 11 : créer une agence nationale de la cyber-sécurité, chargée de proposer des dispositifs visant la protection des systèmes d'information de l'Etat et permettant d'en contrôler l'application. Proposition 12 : créer une habilitation «défense» et «secret défense» pour les prestataires en intelligence économique nationaux qui seront dorénavant seuls habilités à traiter des sujets à caractère sensible et/ou stratégique pour l'Etat. Proposition 13 : créer une filière nationale de recherche sur l'intelligence économique, la guerre commerciale et la cyber-délinquance, ayant pour vocation de former des compétences conscientes de l'importance des enjeux de l'IE qui mettront a profit leur talent au service de l'Etat. Proposition 14 : lancer une mission indépendante permettant de cerner l'image du Maroc dans le monde, les attentes des médias et les mediums à investir pour assurer une meilleure efficacité médiatique. Proposition 15 : créer une «task force» indépendante de communication politique et publique du Maroc à l'international, chargée de l'ordonnancement des priorités et de leur exécution par le déploiement de compétences et de talents sur le terrain informationnel. Proposition 16 : réserver 10% de la publicité des annonceurs du Maroc au numérique et de subventionner les éditeurs de presse à hauteur de 500.000 DH, afin qu'ils effectuent leur transition numérique.