Les robes noires protestent contre le montant des honoraires et la procédure de paiement. Ils demandent au chef du gouvernement de constituer une commission mixte pour régler le différend. L'Association des barreaux fustige également le projet d'amendement concernant l'élection des bà¢tonniers. La réforme de la Justice continue de traîner. Lancée un an seulement après le vote de la Constitution de 2011, le chantier pâtit du blocage de plusieurs opposants, notamment parmi les professions juridiques. Les avocats constituent l'une des poches de résistance les plus actives contre le département de Mustapha Ramid. L'assistance judiciaire, casus belli qui a servi aux robes noires de se retirer du dialogue national sur la réforme du système judiciaire en mai 2013, refait d'ailleurs surface. L'Association des barreaux du Maroc (ABM), organisation regroupant les bâtonniers, a décidé de court-circuiter le ministère de la justice et des libertés en saisissant directement le chef du gouvernement pour un éventuel arbitrage sur la question. Ils demandent à ce titre à Abdelilah Benkirane de convoquer la commission mixte (composée des membres du gouvernement et de l'association des barreaux) pour trancher. Hassan Ouahbi, président de l'ABM, indique à ce titre que «le ministre de la justice n'a fait preuve d'aucun sens de l'écoute et les décisions prises ont souvent été unilatérales». Une position réfutée par le ministère qui a longtemps réitéré sa «volonté de dialogue» mais qu'il sera «intransigeant avec les comportements corporatistes portant atteinte aux droits des justiciables». Pourquoi donc autant d'acharnement de part et d'autre ? Il faut remonter à mai 2013 afin de connaître l'origine de la querelle. Publié au Bulletin officiel, le décret relatif à l'assistance judiciaire -pris pour application de l'article 41 de la loi 28-08 régissant la profession d'avocat- a provoqué un tollé parmi les avocats. Via ses 7 articles, il fixait la procédure de versement des honoraires d'un avocat commis d'office auquel toute personne n'ayant pas les moyens de faire face aux frais liés à un procès peut prétendre. Les honoraires ont été fixés à 1 200 DH pour les affaires tranchées par le tribunal de première instance, à 1 500 DH pour celles traitées par la Cour d'appel et à 2000 DH si le dossier a été jugé par la Cour de cassation. Le paiement de ces honoraires, selon le texte, est effectué par le Trésor public. Montant des honoraires contesté et procédure décriée, les avocats décident alors de boycotter la procédure et provoquent de facto un blocage de l'appareil judiciaire. Un lobbying s'organise également autour de la charte Face à cet imbroglio, le ministère de la justice décide alors de faire marche arrière et abroge le décret, tout en considérant le boycott de l'assistance judiciaire comme «illégal». La tension retombe alors, même si les deux parties continuent de se regarder en chiens de faïence. Ainsi, les avocats ne participent pas au dialogue sur la réforme judiciaire. Une accalmie passagère. En effet, la présentation de la charte sur la réforme du système judiciaire en septembre 2013 a fini par consommer le divorce entre les deux parties. La présence du ministère public (procureur général près la Cour d'appel) dans les conseils de discipline des avocats, justifiée par des impératifs «de transparence, de contrôle et de responsabilisation dans les professions judiciaires», suscite la colère des robes noires. Celles-ci n'hésitent d'ailleurs pas à parler d'«œil de Moscou». L'ABM fustige également le projet d'amendement concernant l'élection des bâtonniers. Le ministère de la justice prévoit ainsi de «revoir la méthode et la durée d'élection du bâtonnier et des membres du conseil du barreau, en vue de réaliser la parité et la représentativité des catégories d'âge et de l'ancienneté dans la profession, et en limitant la durée d'élection du bâtonnier à un seul mandat non renouvelable». La charte prévoit en outre la volonté de faire de l'assemblée générale du barreau «un organe de contrôle et de demande de reddition des comptes à l'égard du conseil du barreau». Mais les bâtonniers y voient une «mesure régalienne visant avant tout à sanctionner les avocats pour s'être retirés du dialogue sur la réforme de la justice». Ils vont même jusqu'à considérer l'écrit comme "preuve" du mandat ad litem (mandat donné spécialement par un juge à une personne en vue de tel procès, afin qu'elle représente une partie absente, aliénée ou interdite) comme une infantilisation, et la «contractualisation des honoraires» comme une «volonté manifeste de précariser la profession, en lui ôtant tout monopole !». Autant dire que l'entente n'est pas pour demain. En effet, les avocats ont réussi à faire basculer notaires et magistrats dans le clan des «refuzniks». Le ministère de la justice devra-t-il, encore une fois, revoir sa copie ?