ALM : Vous vous apprêtez à quitter votre poste de bâtonnier du barreau de Casablanca après un mandat de 3 ans. Quel bilan faites-vous de votre action à la tête de ce barreau ? Me Omar Oudra : La dernière année de mon mandat représente un prolongement de mes deux premières années à la tête du barreau de Casablanca consacrées, notamment, à la restructuration de l'instance sur le plan légal à travers l'élection d'un trésorier et le secrétaire général et leurs adjoints. Nous nous sommes par la suite attaqués aux dossiers hérités de l'ancien conseil. Nous avons rencontré des problèmes au niveau de la dette envers les sociétés d'assurance et nous avons réussi à les rembourser. Nous avons également mis en place une assurance mutualiste en plus de l'assurance commerciale. Bien évidemment, les trois années de mon mandat ont été marquées par la gestion du quotidien, notamment les réclamations et autres conflits entre les avocats et leurs clients. J'ai personnellement fait un choix stratégique de travailler durement durant ma première année pour pouvoir aborder la deuxième année du mandat avec plus de sérénité, alors que la troisième année reste beaucoup plus marquée par les élections du nouveau bureau. Cela dit, nous avons tout de même continué à travailler jusqu'à la mi-décembre. D'une manière générale, je suis satisfait de mon bilan. Bien évidemment, nous n'avons pas pu tout faire mais lorsqu'on réalise 70% de son programme initial, je pense que l'on peut être fier. Quelles sont vos principales réalisations ? Nous avons surtout pu rembourser notre dette. De même, les réclamations, qui sont au nombre de 1.300, ont toutes été traitées. Les procédures de discipline ont également été enclenchées. Par ailleurs, nous avons fait l'acquisition d'un complexe touristique de 8,5 hectares à l'Ourika dans la région de Marrakech afin d'offrir un espace de détente pour les avocats. De grands efforts ont été consentis sur le plan de la gestion des affaires quotidiennes de sorte à éviter l'accumulation des retards. Nous traitons annuellement entre 1.500 et 2.000 dossiers de taxation entre les avocats et leur clientèle sans oublier également le traitement des conflits entre avocats sur lesquels le bâtonnier doit statuer. Qu'en est-il des objectifs qui n'ont pas été réalisés ? Ils sont très peu nombreux. L'un des principaux objectifs était de réconcilier la profession d'avocat avec la société qui a un regard sur les personnes travaillant dans le secteur de la justice d'une manière générale. Nous avons donc tenté de mener des activités pour améliorer cette image. La dernière initiative en date fut l'envoi des aides à bord de trois camions au profit des victimes des inondations dans la région de Guelmim. Aussi, nous menons des activités en collaboration avec les organisations de bienfaisance. Globalement donc, nous avons pu atteindre tous nos objectifs. On aurait pu aller plus loin dans la restructuration de notre instance qui représente plus de 4.000 avocats dans la ville de Casablanca. J'espère que le nouveau bureau ira dans le sens de la modernisation de notre administration sachant que nous avons hérité de ressources humaines qui, probablement, faisaient bien l'affaire à une certaine époque mais ce n'est plus forcément le cas aujourd'hui à l'ère du digital.
Sur le plan législatif, votre mandat a coïncidé avec le lancement de la réforme de la justice. Quel regard portez-vous sur ce chantier ? Lors de notre première rencontre au mois de janvier 2012 avec le ministre de la justice et des libertés, notre dialogue a porté premièrement sur le dossier de l'assistance judiciaire sur lequel le regretté Mohamed Naciri avait déjà travaillé à travers un décret datant de la fin de 2011. …/… …./…Le ministre actuel de la justice ou l'administration judiciaire, je n'ai pas une idée précise sur la partie responsable, ont voulu introduire des amendements qui avaient un grand impact sur le texte initial. Ces amendements ne répondaient pas à nos ambitions. J'ai été membre de la commission de l'assistance judiciaire mais malheureusement, le dialogue avait échoué. Un échec qui a eu un grand effet sur nos relations avec le ministère de tutelle. La deuxième étape a été consacrée au dialogue sur la réforme du système judiciaire. Au départ, l'Association des barreaux du Maroc avait décidé de boycotter le dialogue. Par la suite, je suis personnellement revenu sur cette décision avant que les autres instances ne suivent le même chemin. Mais encore une fois, les recommandations de ce dialogue ne répondaient pas aux ambitions des avocats. En 2014, les premières moutures des projets de loi en rapport avec le secteur de la justice ont été dévoilées, notamment les procédures civile et pénale. Quelles sont vos remarques sur ces deux derniers points? Nous avons beaucoup de réserves concernant le projet de procédure pénale puisque les droits de la défense ne sont pas garantis. On nous explique souvent que certaines nouveautés existent en France mais les gens ont tendance à oublier que ce pays a ses propres contextes et des mentalités complétement différentes. S'agissant de la procédure civile, nous pensons qu'elle affecte directement et clairement les compétences des avocats à un moment où nous appelions à un élargissement de ces compétences, pas au profit des avocats mais pour la garantie d'un accès facile à la justice. Les responsables parlent de dossiers simples qui ne demandent pas le recours à un avocat. Or, les dossiers simples n'existent pas. Depuis 1913, date de l'apparition de la profession d'avocat dans notre pays, les avocats faisaient souvent de l'assistance judiciaire. Aujourd'hui, nous sommes prêts de continuer à assurer cette assistance mais nous n'acceptons pas que le domaine de nos compétences soit réduit. Lorsque le chef de gouvernement parle de l'inutilité de la profession dans les dossiers de 5.000 dirhams, nous répondons que le métier d'avocat représente beaucoup plus qu'une activité professionnelle mais un domaine de droit. Faut-il rappeler que les avocats étaient les premiers à dénoncer les centres de détention secrets au début des années 80 du siècle dernier. Sans le combat mené par les avocats pour les droits, le chef de gouvernement n'aurait probablement pas pu atteindre le poste dans lequel il se trouve aujourd'hui. Il ne faut pas oublier non plus le rôle de la profession dans le domaine de l'emploi. Les avocats sont le deuxième employeur dans le pays après l'Etat puisqu'ils emploient directement ou indirectement des centaines de milliers de personnes. Ce rôle est menacé aujourd'hui si les domaines d'activité de la profession sont limités.
Y a-t-il une amélioration des relations entre la profession et le ministre de tutelle? Malheureusement, il n'y a pas eu un grand changement. Nous espérons que les choses vont aller vers le mieux et qu'un dialogue responsable sera ouvert, ne serait-ce que pour écouter les uns et les autres. Nous avons essayé plusieurs méthodes, y compris les plus fortes, sans résultat. Nous espérons que les deux parties vont s'ouvrir l'une sur l'autre pour écouter et échanger surtout que la procédure législative est en marche. Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi les expériences occidentales sont privilégiées alors qu'à côté de nous, en Tunisie par exemple, la profession d'avocat a été constitutionalisée par l'article 105 de la Constitution. De même, le législateur tunisien a élargi en 2011 les domaines de compétences des avocats dans le but d'aller vers une démarche préventive au profit des clients au lieu de contacter l'avocat juste en cas de problèmes. Au Maroc, ce sont surtout les multinationales qui consultent les avocats avant la conclusion de leurs contrats. Il ne faut pas oublier que les avocats participent à l'élaboration des verdicts sur la base de leurs plaidoiries, que ce soit en première instance ou en appel. C'est pour cette raison que le ministre de la justice, qui est le premier responsable des projets de loi, doit écouter les professionnels dans l'objectif d'assurer un accès simple et fluide pour les citoyens à la justice. Si les responsables pensent que les justiciables n'ont pas les moyens pour avoir un avocat, il faut à ce moment-là remettre également en cause les taxes judiciaires qui peuvent atteindre parfois plusieurs millions de dirhams dans une seule affaire. Aujourd'hui, certaines entreprises sont incapables de payer plus d'un milliard de centimes de taxes judiciaires qui n'existent pas d'ailleurs en France où les justiciables ont le droit d'accéder à la justice. Il existe donc une contradiction. Pour revenir au fonctionnement des barreaux, pensez-vous qu'un mandat de 3 ans est suffisant ? Il est possible de trouver une solution à ce point surtout qu'un bâtonnier n'a pas le droit de se représenter une deuxième fois après son premier mandat. Des solutions existent dans le droit comparé avec des mandats de 5 ans et un renouvellement partiel du bureau. Certains syndicats européens prévoient le poste d'un dauphin avant de passer au poste de bâtonnier. Ce dernier peut également continuer à travailler après son mandat. Est ce que le travail d'un bâtonnier s'arrête avec la fin de son mandat ? Les règlements en vigueur disposent que le bâtonnier sortant soit membre automatiquement dans le nouveau conseil. J'ai travaillé depuis 1994 dans les différentes structures du barreau. Nous avons aujourd'hui un nouveau bâtonnier à Casablanca qui était membre dans mon bureau. Il est certain que je continuerai à apporter mon aide chaque fois que c'est nécessaire. En effet, lorsqu'un bâtonnier ne peut pas assurer ses fonctions pour une raison quelconque, c'est son prédécesseur qui le remplace. Nous allons donc travailler pour assurer le succès de la prochaine étape.