Autant d'égards qui prouvent que El Fad est tenu en haute estime en tant qu'humoriste prolixe, exigeant et talentueux, ainsi que l'attestent ses séries et ses one-man-show. Se désopiler, se dilater la rate, se fendre la pêche est le propre des Marocains. Sous nos climats, tout commence et finit par un éclat de rire. Même les tremblements du temps (voir la dernière blague sur Choumicha et Kadhafi) sont tournés en dérision et donnent lieu à ces fameuses «noukate» dont personne ne revendique la paternité, mais qui se propagent à une vitesse vertigineuse. Par conséquent, il semble naturel que certains mettent à profit ce penchant, le transformant en gagne-pain, sinon en marchepied de la renommée. Pas toujours avec bonheur, on s'en doute. En tout cas, sur cette plage-là, la vague ne s'est jamais retirée. Les tandems Kachbal-Zeroual, Dassoukine-Zaâri, Ajil-Foulane, Bziz-Baz, ou l'impayable Abderraouf ont passé le témoin à Saïd Naciri, Hanane Fadili et un lot de bouffons, duquel se détache, de l'avis unanime, Hassan El Fad. El Fad se destinait à la musique, pratique le théâtre… Très célèbre et très familier. Depuis quatorze ans (Ninja date de 1997), le visage sensible et changeant de Hassan El Fad ne quitte plus le petit écran comme les salles de spectacle. A 48 ans, l'enfant espiègle de Ain Sebaâ a fait un sacré chemin. Tranquille, un peu incrédule, et surtout amusé par les caprices du destin. S'illustrer dans le cabotinage, alors qu'il rêvait de devenir un saxophoniste de première bourre ? Car c'était sur la musique que El Fad avait enraciné son désir, en premier. Selon Tariq El Boukhari, son vieil ami et compagnon de route, elle lui fut instillée, comme une drogue douce, par son frère Nour-Eddine. Il en avait la vocation qu'il chercha à forger par un long séjour au conservatoire, où il s'initia à la grande musique, avant d'affiner sa culture jazzistique. Curieux des formes d'expression populaire, il s'imprégna de l'«aqallal, ahidous, ahwach, aïta, taqtouqa jabaliya…». «A une période de ma vie, la musique constituait ma raison de vivre et mes seuls revenus. Mais quand j'ai accédé au monde du spectacle, elle a perdu par la force des choses, ce statut. Toutefois, je ne l'ai pas totalement sacrifiée, j'en joue à mes moments perdus et je l'exploite dans mes créations», précise Hassan El Fad. En ce café chic où il semble avoir ses habitudes, l'auteur de Qanat Ci Bi Bi ne passe pas inaperçu. Des inconnus le scrutent du regard, cherchent à attirer son attention. Lui fait semblant de ne rien remarquer. Non par fatuité, mais parce qu'il sait pertinemment que la célébrité est aussi corrosive qu'un bain d'acide. Alors, il ne se prête pas à ce jeu de m'as-tu vu. D'autant qu'il est agacé par cette manie qu'ont les gens de lui demander de leur raconter une blague. A un agent de police qui a formulé le vœu, il rétorqua : «Siffle-moi un petit coup!». Au fil de notre rencontre, se dégage un Hassan El Fad encore plus intéressant, complexe, tourmenté, contradictoire, sympathique même plus que ne pourraient le supposer ceux, nombreux, à qui (involontairement probablement) il donne de l'urticaire. El Fad ne moque pas, il croque, il n'assène pas, il sème des interrogations Etriller à loisir quelques têtes de Turcs soigneusement sélectionnés, dégommer consciencieusement des objets de son ressentiment, dézinguer à la kalachnikov causes haïes ou mythes encombrants sont autant d'actes féroces que les humoristes, les plus en vue, se plaisent à commettre pour affermir leur réputation. Hassan El Fad ne mange pas de ce pain-là. Pourtant, il ne se fait pas faute de pointer les travers et les turpitudes de ses concitoyens, la suffisance des importants, la vanité des vaniteux, et plus généralement la bêtise générique de l'être humain, toujours assujetti à ses préjugés et ses certitudes. Mais sans haine ni rancœur. Il ne moque pas, il croque, il n'assène pas, il sème des interrogations.  C'est pourquoi, nous commente Hassan N'raïs, auteur de L'image de l'Arabe dans l'humour français : «Son public est vaste, il est composé de toutes les classes d'âges, de toutes les catégories sociales et de toutes les appartenances politiques». Hassan El Fad qualifie son humour de «pragmatique», en ce sens qu'il consiste en un cocktail à base de multiples ingrédients : «Pour provoquer le rire, je mêle jeu sur le verbe, situations désopilantes et burlesques. Comme ça, chacun y trouve son compte selon ses goûts». Au fait, par quel sortilège Hassan El Fad a-t-il été attrapé au miel des séductions de l'humour, au point de laisser tomber la musique, sa passion, la décoration et les arts plastiques pour lesquels il a été formé, et le théâtre qu'il a pratiqué pendant une brève période ? Pour Tariq El Boukhari, il n'y a pas de secret, tant que Hassan, enfant, possédait le don de faire rire ses copains. Boute-en-train, farceur spirituel, il l'était déjà. L'intéressé ne dément pas cette caractéristique : «Ecolier, je faisais le guignol dans la classe. Ce que mes maîtres et maîtresses n'appréciaient pas toujours. Mes parents et mes frères et sœurs non plus. Et c'est bien pour ''canaliser'' ma ferveur humoristique que j'ai été la première fois expédié au conservatoire». Il n'en sortit pas totalement guéri, puisque ses «dérapages», comme il dit, l'ont rattrapé à l'âge adulte. On ne s'affranchit jamais de ses enfantines inclinations. L'une des singularités d'El Fad, sa faculté prodigieuse de transformisme S'il y a une véritable marque de fabrique de Hassan El Fad, elle tient dans sa faculté prodigieuse de transformisme. Il peut passer en un laps de temps de présentateur compassé en invité pompeux, de vamp flamboyante en vieille carne retombée en enfance, de star de football en touriste béat d'admiration, de rupin en fauché chronique… Cette envie de se démultiplier, de se mettre dans la peau de divers personnages, d'incarner, au sens plein du verbe, plusieurs rôles n'est pas gratuite, elle procède, selon notre humoriste à une nécessité intérieure : «Je ne vous cacherais pas que je trouve un immense plaisir à me travestir. Mais cet exercice n'est pas seulement jouissif, il est aussi curatif. Parce qu'il me permet de me reposer de moi-même, d'entrer dans la peau d'autrui pour enrichir la mienne, de s'approprier ses sentiments, ses sensations et sa sensibilité». Mais si El Fad prête des vertus thérapeutiques au travertissement, il ne se sent pas à l'aise dans toutes les peaux. Certains l'inspirent d'autres le laissent de marbre. Plus un personnage est taillé dans le bois dont on fait les flûtes, dévoile ses failles et se montre humain, simplement humain, mieux il suscite l'improvisation et garantit l'interaction de l'artiste avec le public. En revanche, les guindés, les coincés et les blocs monolithiques, tels Khadija TV5, dans Qanat Ci Bi Bi (2001) ou Escargot, dans Docteur Escargot (2008), l'une parce qu'elle est introvertie et l'autre parce qu'il est enfermé dans son monde scientifique, ne permettent pas à Hassan El Fad de les jouer avec empathie. Alors, ils les composent théâtralement, c'est-à-dire avec une certaine distanciation. Jusqu'à présent, la trajectoire de Hassan El Fad est semée de roses. il s'est très vite fait un nom et il est parvenu, grâce à sa ténacité et son goût de l'excellence, à le rehausser au fil de ses créations. Ce qui lui a valu l'insigne honneur, et ce n'était pas une faveur, d'être sollicité par un opérateur télécoms, en 2005, pour sa campagne publicitaire, aux côtés, excusez du peu !, de Hicham El Guerrouj et Marouane Chammakh. Les assoiffés de comparaisons improbables l'assimilent à Coluche. Il en rit, puis reprenant son sérieux, il rejette cette association d'un revers de la main : «On dit que comparaison n'est pas raison, et là ça se vérifie. Coluche est un artiste qui a révolutionné l'humour français, et moi je ne peux me targuer de l'avoir fait pour l'humour marocain. Je ne suis qu'un modeste amuseur qui tente d'apporter sa pierre à l'édifice échafaudé par ses aînés. S'il y a des artistes qui ont bouleversé le paysage humoristique, ce sont Bziz et Baz, quand ils formaient un duo, en lui conférant une touche moderniste». D'être constamment sous les projecteurs n'empêche pas Hassan El Fad de cultiver son humilité. Hassan El Fad, qui a gardé intacte sa capacité d'émerveillement, est admiratif de Gad El Maleh. Comme l'enchanteur, il pourrait mener de front une carrière de comique et d'acteur. Mais dans cette qualité, son compteur est bloqué à deux unités : Ali, Rabiâa et les autres (2000), de Ahmed Boulane, et Rahma (2002), réalisé par Omar Chraïbi.Ce dont se désole Hassan N'raïs : «Je considère cela comme un gâchis. Hassan El Fad est une véritable bête de scène qui excelle dans l'humour et qui peut se révéler aussi un acteur accompli. Cela s'entrevoit dans son jeu sur scène. Il a joué dans deux films, mais ses réalisateurs n'ont pas su l'employer à bon escient, en tirer tout ce qu'il est capable de donner. Je suis certain que, comme Coluche, dans Tchao, pantin, il serait à l'aise dans le drame. Et je ne comprends pas que, depuis 2002, les cinéastes le snobent. Avec un bon directeur d'acteurs, je suis sûr qu'il crèvera l'écran». Que N'raïs se rassure, ce ne sont tant les offres qui manquent à El Fad que la volonté à s'astreindre à de longs déplacements et des tournages interminables. «Si j'avais accepté les propositions des cinéastes, mes enfants auraient grandi sans que je m'en rende compte. Et ce risque, je ne tenais pas à l'encourir». Etre géniteur sans être réellement père, voilà un rôle qui ne sied pas à Hassan El Fad. A cause d'une méchante laryngite, le gouailleur préféré des Marocains s'accorde un répit. Mais déjà se profile à l'horizon le Festival de l'humour de Marrakech, et il savoure, par anticipation, un plaisir rare, celui de former un duo avec son idole, Abderraouf. «Je serais incapable de décrire ma joie. Tous les humoristes d'antan m'ont appris des choses, particulièrement Abderraouf, dont le personnage du candide me fascinait, au point que je l'introduis dans mes œuvres. Je suis un produit purement marocain, et j'en suis fier». Aussi reconnaissant que Hassan El Fad, ça ne court pas les scènes.