Cinéaste spécialisé dans le documentaire, Yuval Lotem a refusé de servir dans l'armée israélienne. Pour lui la guerre que mène son pays n'est pas forcément juste. Yuval Lotem habite le quartier Ajami de Haïfa. Il s'intéresse au cinéma et réalise des documentaires. Appelé en 1982 à servir dans l'armée israélienne contre le Liban, il prendra conscience des enjeux du conflit et refusera de porter l'uniforme et le drapeau. Il est, depuis, refuznik, ayant également refusé de servir dans les Territoires occupés. Rendez-vous était pris à Haïfa, où il a accepté de répondre à nos questions. Vous avez refusé de servir dans l'armée israélienne lors de la guerre du Liban en 1982, puis dans les Territoires occupés et à Gaza. Pouvez-vous nous préciser pour quelles raisons ? Quand j'étais enfant, j'avais toujours cru qu'Israël était dans le vrai et que ce sont ses voisins qui lui cherchaient noise. C'est ce qu'on m'apprenait méthodiquement à l'école. Je croyais que nous étions les gentils et ne recherchions que la paix, et que les Arabes étaient les méchants et qu'ils ne cherchaient qu'à nous tuer. Je pensais donc que les guerres menées par Israël étaient toutes justes. Mais quand Israël a attaqué le Liban –je me trouvais alors en Afrique– j'ai trouvé cela étrange : il n'y avait aucune raison pour cela. Pour la première fois j'étais capable de raisonner par moi-même, j'ai considéré que cette guerre là n'était pas juste : nous n'étions pas en danger et personne ne nous avait provoqués. Vous savez, je ne suis pas pacifiste, et encore moins un pacifiste béat. Je pense qu'Israël doit avoir une armée, mais pour se défendre pas pour attaquer ses voisins. La guerre est une chose terrible qui cause des dégâts irrémédiables et provoque des morts par milliers. Il faut des raisons puissamment valables et vraiment incontournables pour faire la guerre. La seule raison valable c'est si vous êtes attaqué, qu'on vous prend votre terre ou tue vos enfants, alors vous avez le droit de prendre les armes pour vous défendre et protéger votre famille. Mais ce n'était alors pas le cas ! Quand j'ai dit à mon père que je ne ferai pas cette guerre, il m'a dit «Viens, discute avec les gens et fais-toi ton idée». J'ai répondu que je n'avais rien à clarifier et que cette guerre était totalement injuste. Dès que je suis revenu d'Afrique en août j'ai été appelé à servir dans l'armée, mais j'ai refusé. C'est donc depuis que j'ai refusé de servir aussi bien au Liban, qu'à Gaza, en Cisjordanie ou ailleurs, partout où ce n'était pas Israël, c'est-à-dire dans ses frontières de 1967. Vous avez dit que la seule bonne raison de faire la guerre c'est lorsqu'on vous prenait votre terre, détruisait votre maison ou essayait de tuer votre famille. Que pensez-vous alors du droit des Palestiniens à se défendre et à défendre leur terre ? C'est un droit basique et fondamental. Mais cela dépend comment vous l'appliquez : par la violence et par les armes, ou par la politique et les manifestations. Je défends ainsi mon point de vue, mais j'affirme comme inaliénable le droit des Palestiniens à se défendre. Ils veulent être libres comme n'importe qui dans le monde, ils veulent défendre leur patrie, ils sont sous occupation, vivent sous une répression quotidienne et doivent se défendre. n Vous avez fait allusion sans le mentionner à la deuxième Intifada ? Oui, je pense que ce n'est pas la bonne méthode. Beaucoup de Palestiniens pensent que les Israéliens ne comprennent que le langage de la force, et je comprends ce point de vue, il y a du juste dedans, il est sensé. Cependant je pense que la seule bonne manière de résister en l'occurrence est la méthode appliquée par le Mahatma Gandhi. No arms ! Si c'étaient deux armées face à face je comprendrais, mais quand vous êtes un peuple sous occupation, je pense qu'il vaut mieux résister par des manifestations, des manifestations et encore des manifestations. Par une résistance civique. Comment faire cependant quand on sait que lorsqu'ils résistent par des manifestations non violentes, ils sont réprimés et il y a des blessés, des morts, comme à Bil'in et Ni'lin ? Comment peuvent-ils faire sans armes ? Est-ce suffisant, juste des manifestations ?… Avec les armes, bien des gens meurent, beaucoup plus de gens ! Je pense que les armes ne mènent nulle part. Les armes appellent juste les armes, et encore plus d'armes. Regardez sous Gandhi, beaucoup de gens sont morts, peut-être quelques milliers, c'est beaucoup, certes, mais avec des armes ce seraient sans doute des centaines de milliers. Je pense que les Palestiniens devraient poursuivre sur cette voie, c'est bien plus efficace que le terrorisme. Quand pensez-vous que la paix pourra s'imposer ? Croyez-vous que le président Obama puisse faire quelque chose en faveur d'une paix rapide ?… Je pense bien sûr qu'Obama peut beaucoup, comme Clinton pouvait de son temps. Je sais que mon point de vue n'est pas partagé par la gauche israélienne mais, concernant Clinton, sa solution bien que n'étant peut-être pas la meilleure pour les Palestiniens initiait tout de même un processus intéressant, progressif, étape par étape, et c'est ainsi que l'on peut avancer vers une solution de deux Etats. Car l'opinion israélienne n'acceptera malheureusement jamais une solution avec rétrocession des terres définitive qui soit imposée en une fois. Je crois dans les accords d'Oslo, car c'est uniquement de cette manière progressive que l'on peut avancer. Je ne crois pas qu'on puisse changer le mode de pensée des israéliens de manière trop rapide Vous avez parlé de Clinton. Qui selon vous, de Barak ou Arafat, a refusé les accords de Camp David proposés sous sa présidence ?… Je sais, bien sûr, que c'est Barak qui les a rejetés, mais ça n'a pas d'importance. C'est plus compliqué. Israël se considère comme une démocratie, et sous certains aspects c'en est une : les gens peuvent voter et décider. Arafat et Barak n'étaient pas loin d'un accord, ils y seraient sans doute parvenus s'il n'y avait pas eu le caractère mégalomane de Barak qui voulait associer son nom à un accord historique. Mais c'était trop rapide pour l'opinion israélienne. Vous savez, chaque partie dans ce conflit ne fait aucune confiance à l'autre, c'est pour cela qu'il faut aller progressivement, pas à pas. Mes amis palestiniens pensent que c'est beaucoup trop lent, je les comprends, certes, mais je ne crois pas que la force ou le terrorisme viendra à bout de l'opinion, et ce n'est pas ainsi que l'on verra un jour l'armée dire OK, vous aviez raison, nous sommes désolés, reprenez votre terre. Il y a un gros passif : les Israéliens ont tué des Palestiniens, et vice versa. Concernant l'éducation, qu'apprend-on à l'école aux enfants israéliens concernant les Palestiniens et l'histoire d'Israël ? Elle est unilatérale. Comme s'il n'y avait jamais eu de Naqba. J'ai fait 12 ans d'école, je n'ai jamais entendu étant enfant parler de la Naqba. Il existe même une loi interdisant de parler de la Naqba. Les livres ne font aucune allusion à la façon dont les Palestiniens ont vécu la guerre de libération. Les gens ne savent rien des Arabes, ce sont des étrangers. Ma fille a de nombreux amis arabes, mais ça reste un cas rare. Quand elle dit à ses camarades – pourtant pas des fascistes ou des racistes– qu'elle a des amis arabes, ceux-ci répondent comment est-ce possible ?… Comme si les Arabes étaient des gens qu'il n'est pas concevable de fréquenter. Comment est la cohabitation entre Arabes et Juifs à Jaffa ? Elle est excellente à Jaffa Ouest, où il y a une majorité d'Arabes. Les deux communautés vivent en très bonne harmonie. Mais depuis quelques années, des colons sont venus de Cisjordanie et ont bâti là des synagogues et des yashivas, qui sont des équivalents de médersas, des lieux où les Juifs viennent apprendre la Torah. Ces colons sont des extrémistes qui viennent faire de la provocation afin de créer des violences et inciter à la haine. Si les Palestiniens réagissent aux provocations alors l'armée est obligée d'intervenir pour protéger les colons, et c'est le but recherché par ces derniers afin de les faire expulser d'Israël (j'utilise le mot ''Arabes'' parce que beaucoup à Jaffa ne s'affirment pas comme Palestiniens. Bien sûr, si on leur demande s'ils sont palestiniens ils finissent par répondre oui, en effet, mais pour la plupart d'entre eux les Palestiniens sont ceux qui vivent en Palestine, c'est-à-dire en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza. Il y avait donc et il y a toujours beaucoup d'harmonie entre Juifs et Arabes à Jaffa, mais aussi beaucoup de tension depuis l'arrivée des colons. Ces colons viennent-ils de la diaspora juive ? Non, ils viennent pour la plupart de Palestine, des Territoires occupés, en l'occurrence de Beit El, juste en face de la ligne verte de 1967. Ils disent, vous ne voulez pas de nous dans les Territoires et vous nous demandez de venir nous installer en Israël, mais en fait vous ne voulez pas de nous non plus ici. C'est de la démagogie. Ce que nous ne voulons pas c'est qu'ils viennent détruire l'harmonie qui subsiste ici entre Juifs et Arabes depuis des années. J'ai peur qu'ils ne réussissent dans leur projet, car il suffirait malheureusement d'une étincelle… D'où viennent les colons installés en Cisjordanie ? La grande majorité vient d'Israël, mais les autres sont des «nouveaux migrants». Ils viennent des Etats-Unis, de Russie, d'Europe… Que pensez-vous de la politique de judaïsation des quartiers arabes, que ce soit à Jaffa, à Akka ou à Jérusalem Est ?… Je dis que c'est terrible. Arabes et Juifs peuvent vivre en paix et en harmonie ensemble. C'est leur pays et leurs maisons. Bien sûr beaucoup d'Israéliens se disent qu'il n'y a qu'un Etat pour les Juifs, alors que les Arabes ont une vingtaine de pays ou plus où les Palestiniens pourraient aller. Je leur dis : s'il y avait un autre Etat juif, en Alaska par exemple, iriez-vous vivre là-bas ? Non, vous êtes ici parce que vous êtes israélien, pas parce que vous êtes juif. Les Palestiniens ne vont pas aller vivre au Maroc ou en Irak, c'est ici qu'ils sont nés, que sont nés leurs parents, leurs grands-parents. C'est ici que sont leurs racines.