Après la terre, la mer, l'air et le cyber, l'espace est désormais considéré par les états-majors des armées des grandes puissances mondiales comme le 5e domaine des opérations militaires. Comment se positionne le Maroc dans ce champ de compétition du futur ? Dans une déclaration officielle à la presse début février 2023, le Président Joe Biden a félicité les pilotes d'une patrouille d'avion de chasse F22 après le succès de leur mission. L'objet de cet éloge présidentiel : ces deux aéronefs considérés comme les avions de chasse ultimes ont réussi l'exploit d'abattre un ballon chinois – destiné à l'étude de la météo selon Pékin et à de l'espionnage selon Washington – de la taille de 3 bus dans un ciel entièrement dégagé ! C'est ainsi que ce thriller a finalement pris fin après plusieurs jours de suivi du déplacement de ce ballon au-dessus du territoire américain par la communauté internationale, sans que l'on sache avec précision le but recherché par le gouvernement chinois derrière cette manœuvre pour le moins douteuse. Alors que l'Administration américaine est catégorique sur ce qui constitue pour elle une violation flagrante de son espace aérien à des fins d'espionnage, les experts militaires s'interrogent encore sur l'utilité d'avoir recours à ce type de ballon-espion, à l'ère où les grandes puissances multiplient les lancements de satellites de surveillance de plus en plus sophistiqués. Car, comme l'ont signalé les médias officiels chinois, l'armée américaine a été la première à explorer l'utilisation de ballons-espions à haute altitude après la Seconde Guerre mondiale. Mais cette technologie ancienne a depuis été largement supplantée par les satellites qui ont l'immense avantage de pouvoir être orientés avec précision sur les cibles visées sans dépendre des aléas de la météo et surtout qui permettent, outre des prises d'images avec une grande résolution, d'intercepter des télécommunications et de géolocaliser des cibles. Quel serait donc l'objectif visé par la Chine en envoyant délibérément un ballon-espion en direction de l'Amérique du Nord, sachant que le risque de se faire prendre la main dans le sac était très grand ? Course au renseignement entre Washington et Pékin Les USA et la Chine se livrent déjà depuis une dizaine d'années à une guerre de renseignement acharnée dans la zone de l'Asie Pacifique. Les Américains, en survolant avec leurs avions de surveillance les frontières chinoises et les Chinois, en faisant voler des aéronefs et des drones à proximité de l'île de Guam, qui abrite une des plus importantes bases militaires américaines dans l'Océan Pacifique. Mais ce qui est inédit dans cette affaire, c'est que les Américains sont épiés pour la première fois sur leur territoire à travers un «engin volant» qui a pénétré irrégulièrement dans leur espace aérien. Selon plusieurs analystes américains, ce ballon-espion ne représente pas une réelle menace pour les Etats-Unis. Ils avancent d'ailleurs pour preuve que l'US Air Force a attendu plusieurs jours avant de l'abattre. D'après leur analyse, la Chine serait juste en train de tester les capacités de détection des Américains et leur stratégie de réaction. Mais selon Nicolas Mazzucchi, directeur de recherche au Centre d'études de la marine en France, «l'utilisation de systèmes inhabités (drones ou dirigeables) devrait s'accroître dans les années à venir dans le but de recueillir plus de renseignements militaires». Lors d'une intervention sur Radio France internationale, il souligne l'avantage que procure l'utilisation de ces systèmes inhabités à des fins «de perturbation stratégique, de surveillance et de détection». Mais ce qui est particulièrement convoité par les grandes puissances, c'est la maîtrise de la «haute altitude». Cette zone sans régulation internationale est en train de devenir le nouvel espace stratégique de confrontation, car elle offre des possibilités d'observation et de surveillance très avantageuses. Ainsi, les pays qui ne possèdent pas de satellite de surveillance peuvent grâce à l'utilisation de ballons de surveillance à très haute altitude avoir accès à du renseignement électronique de qualité à faible coût. La Guerre des étoiles a commencé Avec cet incident du ballon chinois, assiste-t-on à un épisode réel de la saga «Star Wars» sans effets spéciaux ou sommes-nous littéralement entrés dans la guerre du futur ? Car ce type d'intrusion en très haute altitude risque bien de se reproduire entre les deux puissances, vu les tensions croissantes entre les USA et la Chine, notamment autour de la souveraineté de Taiwan et la lutte pour la suprématie militaire entre les deux superpuissances. Et c'est bien l'ensemble du domaine spatial qui bénéficie de l'intérêt des grandes puissances mondiales qui se préparent à la compétition dans ce nouvel espace stratégique. L'importance du renseignement dans un monde de plus en plus complexe et insaisissable n'est plus à démontrer. Dans cette conjoncture où la course à l'énergie, aux richesses naturelles et aux terres rares fait rage, il est indispensable d'avoir des capacités de surveillance et d'anticipation que seuls les moyens de surveillance aérienne peuvent procurer. Mais l'encombrement accéléré du ciel par les constellations de satellites, d'avions de surveillance volant à très haute altitude, de drones et de dirigeables va finir par provoquer des frictions et des affrontements directs entre puissances rivales. C'est pour cette raison que le domaine spatial est désormais considéré par les états-majors des armées des grandes puissances mondiales comme le 5e domaine des opérations militaires, après la terre, la mer, l'air et le cyber. Néanmoins, seule une poignée de pays possèdent les capacités nécessaires pour maîtriser complètement cet espace stratégique. Il s'agit des Etats-Unis, de la Chine, de la Russie, du Japon et de la France. Des pays qui ont la technologie pour développer et fabriquer des satellites, capables de les propulser dans le ciel et surtout ayant les capacités militaires pour les protéger. Maroc : Une puissance spatiale en devenir ? Comment se positionne le Maroc dans ce champ de compétition du futur, sachant que la maîtrise de cette dimension extra- atmosphérique requiert des moyens considérables, mais offre en contrepartie des avantages stratégiques sans égal. Très tôt, le Maroc a investi dans le domaine spatial à travers la création du Centre royal de télédétection spatiale (CRTS) qui avait été inauguré par le Roi MohammedVI en 2001. Puis 2 satellites (Mohammed VI-A et Mohammed VI-B) acquis auprès des entreprises Airbus et Thalès ont été lancés en 2017 et 2018, provoquant la surprise et surtout l'inquiétude de l'Espagne et de l'Algérie qui n'avaient pas de satellites aussi sophistiqués à l'époque. Plus récemment, un média israélien a annoncé que le Maroc prévoyait d'acquérir de nouveaux satellites d'observation, probablement auprès de partenaires français ou israéliens, afin de développer ses capacités de surveillance et de recherche dans le domaine de l'espace et d'être en mesure de relever les défis sécuritaires dans un contexte de crise exacerbée avec l'Algérie. Tout ceci ne fera pas de sitôt du Maroc une puissance dans le domaine spatial, car il dépendra encore pour longtemps des constructeurs de satellites et des lanceurs étrangers. Mais l'utilisation de ses propres satellites permettra au Maroc d'avoir des capacités autonomes en matière de surveillance et d'anticipation afin de défendre ses intérêts stratégiques en maîtrisant progressivement les outils d'observation spatiale afin de relever ses défis de développement.
Utilité des ballons d'espionnage Quel intérêt la Chine a-t-elle à recourir à des ballons-espions, alors qu'elle possède déjà le nec plus ultra des satellites de surveillance? Alors que les satellites les plus proches de la Terre sont placés en orbite à plusieurs centaines de kilomètres de la surface, un ballon dirigeable se déplace dans l'atmosphère à une altitude à peine supérieure à celle des avions. Cela offre la possibilité de recueillir des images et prises vidéo avec une meilleure résolution, mais surtout d'intercepter des communications téléphoniques sans attirer l'attention des cibles. Ces ballons permettent en outre, grâce à leur vitesse de déplacement très lente, de s'attarder davantage sur une zone sensible à surveiller, alors que les satellites en orbite traversent le ciel à grande vitesse. Mais surtout l'avantage principal des ballons demeure leur coût beaucoup plus accessible, ce qui permet d'en acquérir en plus grande quantité. Il existe cependant de gros inconvénients à leur utilisation. Ces ballons sont dépendants des vents et de la météo même si certains modèles disposent d'un système de guidage et d'un petit moteur capable de changer légèrement de direction. Leur autre gros point faible est leur vulnérabilité aux tirs de missiles qu'ils ne peuvent éviter, alors que les satellites ne sont pas atteignables par des missiles balistiques classiques. Néanmoins, les USA, la Chine et la Russie ont réussi à développer des armes pour les atteindre.