Les cyber attaques répétées contre Google et une trentaine de sociétés américaines duraient depuis longtemps. Mais la poussée de fièvre a été brutale. Le 13 janvier, le géant dInternet a opéré un revirement spectaculaire en menaçant de cesser toute opération en Chine pour ne plus être censuré par Pékin. Pendant des années, le plus grand moteur de recherche du monde avait pourtant accepté de sauto-censurer pour ne pas être écarté du plus grand marché des télécoms au monde (370 millions d'internautes, 650 millions de téléphones portables ). Ce retournement est dû à une cyberattaque lancée en décembre par des pirates informatiques en Chine pour tenter daccéder aux comptes gmail de dissidents chinois. Lan dernier déjà, un vaste réseau despionnage électronique avait été découvert : il sinfiltrait notamment dans les comptes de lentourage du dalaï lama, le chef tibétain en exil. Ladministration américaine a d'abord réagi prudemment. Mais le 21 janvier, changement de ton: la secrétaire dEtat Hillary Clinton dénonce «les personnes et les pays qui lancent des cyberattaques». Pire : dans une allusion au rideau de fer et à une nouvelle guerre froide qui succèderait à celle du siècle dernier, Hillary ajoute quun «nouveau rideau dinformation est en train de descendre sur une grande partie du monde». Contrôler le cyber espace Il ne sagit ni des habituelles protestations officielles américaines contre la censure dInternet par la Chine ni dune simple guerre commerciale. Quand Washington élève à ce point le ton face à son principal partenaire économique, cest que les choses sont graves. Lannée 2010 risque en effet de voir le début dun nouveau type de guerre froide et de course aux armements. Mais cette fois, cest la Chine qui occupe la place de lUnion Soviétique, tandis que les réseaux du cyber espace remplacent les armes nucléaires qui furent au cur du bras de fer entre Occidentaux et Soviétiques au XX° siècle. Certes, le risque nucléaire na pas totalement disparu, comme le prouve lappel à une déclunéarisation générale prônée par Obama. Mais il est pratiquement impossible dutiliser aujourdhui des armes nucléaires dans un conflit. «Ces armes, note Alfredo Valladao, professeur à Sciences-Po à Paris, ne servent en réalité quà sanctuariser un territoire, ce qui peut laisser une plus grande liberté daction et dintervention aux forces conventionnelles. Ce qui est déterminant désormais, cest le contrôle des réseaux dinformations électroniques. Il suffit pour sen convaincre de voir le rôle fondamental joué par les instruments électroniques de commande, de contrôle des communications, de renseignement et de reconnaissance dans les opérations militaires qui se déroulent en Irak, en Afghanistan ou dans les grandes mobilisations humanitaires effectuées par des armées. Le pouvoir suprême aujourdhui revient à celui qui contrôle le cyber espace, sur la terre comme dans le ciel». Danger mortel pour les dictatures Cela ne joue pas seulement dans le domaine militaire. La société daujourdhui est totalement dépendante des ordinateurs et des réseaux électroniques. Et ces réseaux, grâce auxquels des millions de personnes peuvent accéder à toutes les informations et à tous les débats, constituent un danger mortel pour des pouvoirs autoritaires et des dictatures. La volonté des Chinois, comme du gouvernement iranien, de censurer tous les moyens de communication pour empêcher leurs opposants de communiquer avec lextérieur est à cet égard significative. Le parti communiste chinois a parfaitement compris ce défi. Il a placé la cyber guerre au cur de la stratégie de la nouvelle doctrine militaire chinoise. Pékin entend ainsi se doter de la capacité dattaquer les satellites de communication et de surveillance américains et de développer des instruments informatiques pour pénétrer les ordinateurs et les centres informatiques occidentaux et pour contrôler la toile en Chine afin dempêcher toute opposition de sorganiser. Dans le même temps, un vaste intranet chinois avec des accès filtrés au monde sorganise. Google, YouTube et Facebook sont bloqués ou sévèrement filtrés en Chine pendant que se développent des équivalents chinois plus «sensibles» aux pressions du pouvoir. Une sorte de «grande muraille électronique» érigée avec filtrages par mots-clé, blocages d'URL et une cyber-police de dizaines de milliers de membres chargée d'«harmoniser» les sites trop peu orthodoxes. Dores et déjà, Baidu, le moteur de recherche chinois crée il y a dix ans et qui distance Google sur le marché chinois, a prédit que Google allait disparaître du paysage local... Cest aussi le risque si le géant du net, dont on sait seulement que les revenus en Chine ne dépassent pas 2,5% de son chiffre daffaires global, mettait sa menace à exécution. Une situation qui laisserait les internautes chinois face à leurs censeurs.