Cher ami. J'ai cru comprendre de la réponse, assez brève je dois dire, que tu as donnée à mon courriel, que tu aurais beaucoup de questions à me poser. Cependant, tu as ajouté : «Si on poursuit cet échange épistolaire». Je ne sais pas si cette précision signifie que tu es peu sûr, pour ne pas dire enthousiaste, quant au fait de continuer cet échange. Mais peut-être fais-je là seulement preuve d'une légère susceptibilité injustifiée. Cela m'a rappelé certaines de nos discussions d'antan, lorsque nos opinions divergeaient sur tel sujet ou telle personne...Nos susceptibilités, parfois exacerbées, se trahissaient dès lors sur le moindre détail, sur un simple mot, un adjectif. Cela ne durait pas longtemps. Enfin, du moins je le crois aussi loin que je m'en souvienne aujourd'hui. Mais je ne vais pas encore revenir sur le passé. J'ai cru lire entre les lignes que tes souvenirs de ce temps-là seraient quelque peu rares, voire vacillants ; et tu as émis des doutes quant aux miens. Parlons donc du présent, tel qu'il se présente. Parce que tu en parles largement dans ta lettre, je sais que maintenant que te voilà confiné comme tous tes compatriotes de là-bas, tu as le temps de lire et de t'informer sur le cours de la vie dans ton pays d'origine. Non sous le prisme d'on ne sait quelle nostalgie mélancolique, larmoyante ou compatissante, –encore que cela ne soit pas à exclure–mais parce que tu penses à tes proches et quelques amis résidents ici. Bref, tu penses au pays. Ton pays d'origine, celui de ta naissance et d'une partie de ta jeunesse. Je relève également que tu es bien au fait des choses de la vie ici en ces temps difficiles. La technologie moderne nous permet cela, et on n'a jamais été aussi informé dans le détail sur un événement catastrophique de cette ampleur. Au point où, si tu veux mon avis, je ne sais pas si c'est toujours une bonne chose. Je sais qu'on ne va pas être d'accord sur ce point. Tu es pour une transparence totale et inconditionnelle. J'ai été, et le suis dans certaines circonstances, pour la mesure et la circonspection. Non, je ne fais pas ici l'éloge du secret ou de la rétention de l'information. Ce serait, dans le cas qui nous préoccupe, ô combien, ajouter de la suspicion à la confusion. De plus, en tant que journaliste, ce serait militer contre ma profession et son credo. Mais enfin sur le plan individuel, et individuel seulement, ceux qui cultivaient déjà de l'anxiété en temps normal devraient s'abstenir de se laisser «surinformer» en ces temps incertains. Surtout qu'on trouve de tout et surtout n'importe quoi de nos jours et les bonnes nouvelles sont aussi rares que l'extase. En disant ça, je ne veux pas jouer au psy prodiguant des conseils oiseux. Je n'ai aucune compétence en la matière. Et puis, on en a vu surgir, telle une génération spontanée, suffisamment de psychothérapeutes, réels ou autoproclamés, dans les médias à la faveur de cette catastrophe. Mais pourquoi pas, me diras-tu, te sachant moins sceptique que moi ? Si ça ne fait pas toujours du bien, ça ne pourrait pas faire de mal. En tout cas beaucoup moins que le virus. A propos de ce dernier, tu as bien sûr remarqué que son appellation évolue, au même rythme que les dégâts qu'il cause. De Corona virus, tout simplement quand il n'était pas pris assez au sérieux. D'aucuns s'en gaussaient même, se léchant les babines en évoquant la marque de bière mexicaine «Corona». Puis il est passé à l'appellation numérique : Covid 19. Mais maintenant qu'on a atteint le stade 3, voilà qu'il répond à l'hermétique SARS-CoV2. C'est quasiment un mot de passe ou un code de sécurité «incraquables». Ainsi, tel qu'en lui-même, secret et énigmatique, il demeure enveloppé tout entier dans une épaisse couche de mystères. Quant à nous, nous restons suspendus au fil d'un temps, qui, lui-même, a suspendu son vol. Figés devant une horloge détraquée dont les deux aiguilles bloquées indiquent un même chiffre, une heure fixe, nous restons attachés au «piquet de l'instant», comme dit le philosophe. Attachés au piquet du présent telle la chèvre de M. Seguin (vieux souvenir d'écolier) supposée ainsi préservée de l'attaque du loup. A l'école, moi j'avais un faible pour l'autre fable en arabe : «Oummo al hamami qalat lahoum latakhroujou, fadahikou mine qawliha oualam youbalou bilkhatar...» (Mère colombe a dissuadé ses petits de quitter leur nid. Mais ils ont ri de ses paroles et défié le danger). Je perçois d'ici ton sourire forcé, voire ton inquiétude quant à mon capital d'espérance. Non, n'y vois là nul pessimisme dans cette évocation, car tu sais mon penchant pour les paraboles et autres métaphores. Mais avoue quand même qu'il y a de quoi. On sait que vos scientifiques et autres chercheurs, plus nombreux et on suppose mieux outillés que ceux du Sud, font tout ce qu'ils peuvent pour trouver l'antidote à ce mal qui plane sur l'humanité. Mais pour l'heure, certains d'entre eux nous annoncent qu'ils finiront bien par en trouver un, dans moins d'un an, peut être un peu plus. Peut-être même par sérendipité, en le débusquant là où ils ne le cherchaient pas... Après tout, n'est-ce pas ainsi que Pasteur a trouvé le vaccin contre la rage ? En attendant, c'est comme si on nous disait que le remède existerait bien dans une boîte fermée, sauf que le mode d'emploi pour ouvrir cette boîte magique est à l'intérieur. Humour du pendu ou humour noir, vas-tu te demander ? Mais que faire, sinon en rire ? «L'humour au temps du Corona», pour paraphraser Garcia-Marquez, devrait être prescrit comme un exercice faisant partie du manuel de survie pour un bon usage du confinement.