Financement des campagnes électorales Souvent, on n'accorde pas une grande attention à l'argent, cet aspect crucial des élections et de la politique. On se limite, à raison peut-être, à l'argent sale. La raison en est que l'achat des voix dénature le scrutin. Or, les noces du pouvoir et de l'argent ont existé de tous temps. Elles n'entament pas pour autant la politique. L'argent est le nerf de la guerre et de la politique également. Dans un pays démocratique, la loi électorale doit obligatoirement réglementer le financement des partis et des candidats. La démocratie a un prix. En revanche, la question est au cœur des débats : comment les partis marocains gèrent-ils la question, au-delà et conformément à la loi ? Quelles sont les retombées des coûts prohibitifs, ou rendus tels, des élections ? Approuvé à l'unanimité, parlementaire et politique, le code électoral consacre le principe du financement public des partis et des campagnes électorales. A l'instar de tous les pays démocratiques, le Maroc sait que la démocratie a un prix. Ainsi, le décret du 28 septembre 1992 dispose que la répartition du montant de cette contribution se fait sur la base du nombre des candidats présentés par chaque parti au niveau national (30 %), le nombre de voix (25 %) et le nombre de sièges (25 %) obtenus. Une première tranche de 20 % du montant de la contribution est répartie de manière égale entre les partis politiques concernés avant l'expiration du délai pour le dépôt des candidatures. Feu Hassan II avait alloué 120 millions de dhs à titre de contribution de l'Etat au financement des élections législatives directes. En matière de contrôle des budgets accordés, la loi en vigueur a institué une commission chargée du contrôle, présidée par un vice-président de la Cour des comptes où siègent aussi les représentants des ministères de l'Intérieur et des Finances. Il y a la loi, mais il y a surtout les faits. On note d'abord que le nombre élevé des partis en lice grignote sur la part de chaque formation de la première tranche. La somme, après répartition, reste en-deçà du seuil minimum des dépenses. Plus, la loi électorale telle qu'elle a été modifiée et complétée, ne tient plus compte des candidatures seulement. Résultats : tous les partis, les plus faibles encore plus, peinent à trouver l'argent de leur bonheur. Un parti financièrement aisé, comme l'Istiqlal, a reçu, à titre de financement de l'actuelle campagne, une première tranche de 5 millions de dhs. L'Istiqlal a par ailleurs présenté 12.900 candidats. Autrement dit, chaque candidat doit se contenter d'environ 3.900 dhs pour une campagne qui dure 15 jours (270 dh/j). On devine aisément l'état des faits des petits partis. On ne prête qu'aux riches. Grosso modo, les partis marocains n'ont pas assez d'argent et il semble qu'ils n'aiment pas en parler, à tel point que cela donne l'impression qu'ils cultivent le goût du secret à ce propos. Hormis quelques exceptions, les partis sont incapables de produire des chiffres, car ils n'ont jamais eu de comptabilités avancées et sophistiquées. Autre époque, autre remarque. Souvent taxées de partis administratifs, les formations de la droite profitaient, selon leurs détracteurs, d'aide financière illicite de la part de l'administration. Depuis le 27 septembre dernier, ces mêmes partis n'ont rien à envier aux autres, ni légitimité, ni manque de moyens ! Ce qui est, aussi paradoxal que cela paraisse, un grand pas en avant. A droite toujours, les bailleurs de fonds sont de moins en moins enthousiastes, les entreprises sont de plus en plus réticentes à donner de l'argent aux partis censés défendre leurs intérêts. Le vent a tourné et le charme a changé de camp. Les plus séduisants sont autres que ceux de la “droite”. Les partis n'ont pas assez de ressources pour une planification à long terme. Le plus souvent, ils réagissent à l'actualité immédiate dont les élections sont l'illustration la plus grande. C'est alors qu'on cherche les plus riches pour défendre les couleurs des partis. Idéologie… sonnante et trébuchante Le degré d'ouverture, à cet égard, diffère d'un parti à l'autre. Les plus chanceux, tels l'USFP, le PI et le RNI, sont ceux qui joignent le partisan et le riche. Les vaincus et les vainqueurs, dans ce duel de candidature, seront à la fin sous le même toit. Seul le sacro-saint principe de l'ancienneté y laisse des plumes. Le vieux militant, dont les proches sont bourrées de tracts et d'analyses, le gardien du temple idéologique, lui, laisse la place en fin de compte au plus coté à la bourse de la concurrence électorale. Cela ne se fait pas sans réticences ni réactions, comme c'était le cas dans le Congrès ittihadi à Marrakech. Les ministres, les parlementaires et les anciens notables communaux sont souvent les plus favorisés. Outre le statut, moral et politique, l'élite est d'abord une entité financière, souvent autonome. La candidature, le cas échéant, est presque acquise. Cependant, celle d'un militant «parcimonieux» ne l'est pas toujours, tout responsable et membre de la direction soit-il ! Inquiétant Dans cette course effrénée vers le trésor de guerre électoral, les candidats naviguent sans contrainte d'un parti à l'autre. Ils sont le symbole de l'effacement des clivages idéologiques. Le cas du PSD est ici, exemplaire. L'influence de l'argent chasse celle de l'idéologie : des notables USFP, PI, MDS, se sont présentés de Casablanca à Rabat, sous sa bannière. Cette tendance est presque inévitable. Et ceux qui signent les chèques, font l'idéologie du parti ! Lors des dernières législatives, l'Etat a versé, sur une base uniforme, la somme de 3 millions de dhs pour chaque parti. Le plafond fixé à 25 mille dirhams pour chaque candidat, doit être respecté. Certains partis, comme le CNI, n'ont obtenu qu'un siège. D'autres un peu plus, mais le nombre ne peut justifier les sommes allouées par l'Etat. Résultat : les partis doivent restituer la différence à la Trésorerie générale. Inquiétant, mais édifiant. C'est que les élections ne peuvent se faire avec l'argent de l'Etat seulement.