* Bouya Omar bénéficie dun renouveau général de croyances populaires. * Les filiations de sang et les filiations spirituelles entre saints se recoupent souvent. * Sidi Rahal étant le grand-père de Bouya Omar, il ny a rien détonnant à leur proximité spirituelle. * Bouya Omar aurait bénéficié dun «transfert» de la baraka attachée jusque-là à un autre saint, dont le culte avait dérivé vers lidolâtrie de largent vers les années 60. * Entretien avec Olivier Ralet, auteur du livre : «Bouya Omar, le saint et les rapaces». Finances News Hebdo : En ce début de XXIème siècle, quelle place occupe ce Saint dans la vie du Marocain, daprès-vous ? Olivier Ralet : Il y a une vingtaine dannées, les traditions autour du monde invisible, des saints, des djinns et des guérisseurs mont été présentés comme des «archaïsmes» en voie de disparition. Pourtant, je suis de plus en plus convaincu du contraire : on assiste à un véritable renouveau de ce monde, une fierté retrouvée de ces traditions et des savoir-faire efficaces qui les accompagnent, tant au Maroc que dans la communauté dorigine immigrée marocaine en Europe. Peut-on y voir la fin de la période doccultation du soufisme qui a suivi lindépendance ? Ou une résistance populaire à la montée de formes dIslam rigoristes et puritaines, modernistes et éradicatrices de traditions, sortes dhybrides entre le wahhabisme et lidéologie des Frères musulmans ? Peut-être les deux Bouya Omar bénéficie de ce renouveau général ; il est dautant plus regrettable que les malades qui y séjournent y soient si mal traités, sils sont sans moyens financiers du moins si la situation ne sest pas améliorée depuis ma visite. Bien heureusement, de nombreux autres lieux où est cultivé ce «patrimoine invisible» du «commerce avec les esprits» dans un but de guérison respectent mieux les obligations dhospitalité et de dignité. F.N.H. : Comment sexplique cette montée en puissance du saint depuis la fin des années 60 alors quil date du 16ème siècle ? O. R. : Les saints, même morts, et les djinns, même invisibles, ont une histoire Regardez Lalla Aïcha Qandicha Les histoires qui racontent que ce sont Sidi Ahmed Dghughi et Sidi Ali ben Hamdouch qui lont fait venir du Soudan (en fait le Mali) datent de la fin du 17ème siècle, et celles qui la relient à la résistance aux Portugais à El Jadida sont encore plus anciennes. Pourtant, le livre de Henri Basset : «Le culte des grottes au Maroc», qui date de 1920 et nomme les principaux génies honorés au Maroc, ne la mentionne pas. Son accession au trône de «reine des djinns» est postérieure. Et le «Festival international de Lalla Aïcha Qandicha» que constitue le moussem de Sidi Ali rassemble chaque année plus de monde Tout se passe comme si le monde visible et le monde invisible avaient chacun leur histoire propre, reliées lune à lautre par des fils eux-mêmes invisibles Ainsi, au cours des années 1960, Bouya Omar aurait bénéficié dun «transfert» de la baraka attachée jusque-là à un autre saint, dont le culte avait dérivé vers lidolâtrie de largent ; si le culte dont il fait lobjet dérive de la même manière, peut-être la baraka le quittera-t-elle à son tour F.N.H. : Quel lien «thérapeutique» existe-t-il entre Bouya Omar et Sidi Rahal, non pas de leur vie, puisque actuellement chaque après-midi les descendants de Sidi Rahal viennent animer la Hadra au sanctuaire de Bouya Omar ? O. R. : Les filiations de sang et les filiations spirituelles se recoupent souvent, et Sidi Rahal étant le grand-père de Bouya Omar, il ny a rien détonnant à leur proximité spirituelle. Le «miracle de la bouilloire» est commun aux deux branches de la famille, et les adeptes de Bouya Omar se réfèrent aux rahaliyyne, confrérie fondée par Sidi Rahal. Que les chorfa de Sidi Rahal participent à la hadra au sanctuaire de Bouya Omar tend à contredire laccusation selon laquelle de «faux chorfa» de Bouya Omar auraient fait main basse sur le sanctuaire en vue denrichissement (sauf à penser que les chorfa de Sidi Rahal sont complices de cette usurpation). Mes connaissances des généalogies des saints marocains sont très réduites ; ce qui ma poussé à estimer crédible laccusation selon laquelle les personnes qui soccupaient du sanctuaire quand jy suis passé étaient de «faux chorfa» est létat dabandon des pensionnaires, et labsence daccès à leau potable, alors quune coûteuse maison était en voie dachèvement à proximité du sanctuaire. Quil sagisse de faux ou de vrais chorfa de Bouya Omar, létat de misère dans laquelle ils laissaient les pensionnaires ma choqué et ma semblé indigne. F.N.H. : Dans votre ouvrage, vous faites référence aux rapaces, notamment les faux chorfas. Mais comment expliquer dans ce cas laffluence que connaît toujours le sanctuaire ? O. R. : Dune part, les problèmes provoqués par les djinns, loin de se réduire avec la vie moderne, se multiplient, et les ressources thérapeutiques sont loin dêtre suffisantes : à la recherche de lapaisement de leurs tourments, les gens sont prêts à tout, y compris à subir un accueil indigne sils y voient un espoir de guérison. Dautre part, la vénération sincère par de nombreux pensionnaires et pèlerins maintient peut-être, pour un temps, la baraka de Bouya Omar, malgré la dérive cupide de ceux qui soccupent de son sanctuaire F.N.H. : Face à linnommable que subissent les malades à Bouya Omar, existe-t-il une quelconque voie de recours, sachant quil existe un fort lobby derrière le marabout ? O. R. : Le système de soin lié au culte des saints nest évidemment pas tenu aux mêmes règles et contrôles que le système hospitalier On peut se réjouir quau Maroc ce système «maraboutique», qui répond à un véritable besoin dans la population et traite dautres types de troubles que la médecine moderne, nait pas fait lobjet dune éradication comme en Algérie. Néanmoins, on pourrait imaginer que des exigences de dignité et dhygiène minimum lui soient imposées : un accès gratuit à leau potable, une «soupe populaire» quotidienne, des installations sanitaires décentes, des soins de santé modernes et gratuits pour les maladies qui en relèvent Si aucun organisme officiel ne peut faire respecter ces exigences, peut-être la pression dorganes de presse comme le vôtre pourrait y arriver...