A l'instar du Printemps arabe où les peuples se sont soulevés contre des régimes autoritaires et corrompus, l'Ukraine a connu également son Printemps. De même qu'en Egypte où l'armée a étouffé la Révolution et repris le pouvoir, et en Syrie où les forces étrangères ont joué un rôle primordial, l'Ukraine se trouve confrontée à des obstacles similaires. Pour bien comprendre la crise ukrainienne, il faut rappeler brièvement l'histoire récente de ce pays. L'Ukraine fût rattachée en 1922 à l'URSS qui en fit son «grenier à blé», y installa une puissante industrie sidérurgique ainsi qu'une partie de ses centrales nucléaires. En 1954, Nikita Kroutchev pensant que jamais l'Ukraine ne sera détachée de l'URSS, fit don de la presqu'île de Crimée à l'Ukraine en y maintenant une base militaire russe à Sébastopol. Après la chute du Mur de Berlin en 1989, l'Ukraine proclama son indépendance le 24 août 1991 et devient membre fondateur de la CEI (Communauté des Etats Indépendants) après l'éclatement de l'URSS le 8 décembre 1991. Depuis cette dernière date l'Ukraine se trouve assise «entre deux chaises», et sa population est divisée entre pro-Européens et pro-Russes. Les premiers cherchent avant tout la liberté et à se débarrasser de l'emprise de la Russie, en espérant également qu'à l'instar des autres pays Est-européens qui ont adhéré à l'Union européenne, l'Ukraine connaîtra un développement économique et social accéléré. Les pro-Russes qui se recrutent surtout dans l'Est et en Crimée mettent en exergue les relations culturelles et économiques intenses entre l'Ukraine et la Russie. La confrontation entre ces deux catégories de la population ukrainienne a connu une grande ampleur en novembre 2013 suite au refus du Président ukrainien Viktor Ianoukovytch de signer l'Accord d'association avec l'Union européenne et son rapprochement avec la Russie. Après des manifestations sanglantes sur la place de l'indépendance Maiden à Kiev entre les 18 et 21 février 2014, le Président Ianoukovytch a pris la fuite pour se réfugier en Russie. Le 22 février 2014, Ianoukovytch fût destitué par le Parlement ukrainien et un gouvernement provisoire pro-occidental a été nommé à Kiev en attendant les élections présidentielles fixées le 25 mai 2014. La réaction de la Russie n'a pas tardé et des «forces d'autodéfenses russes» ont pénétré en Crimée à partir de la base militaire de Sébastopol et même à partir du territoire russe. Ces forces ont encerclé les bases militaires ukrainiennes tandis que le drapeau russe fût hissé sur les principaux bâtiments administratifs, la population de Crimée étant à majorité russophone. La tension s'est accentuée le 6 mars 2014 avec le vote par le Parlement régional de Crimée de rompre les relations avec Kiev et rattacher la Crimée à la Russie. Ce Parlement a aussi convoqué un référendum en Crimée le 16 mars 2014 pour entériner cette décision. Entre-temps, des observateurs de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) ont été refoulés par les forces d'autodéfenses russes les empêchant d'entrer en Crimée. Notre pays, le Maroc, doit suivre cette crise ukrainienne avec intérêt, car nous sommes importateurs de grandes quantités de pétrole et de céréales dont les prix risquent d'être impactés par cette crise. Le Sommet de l'Union européenne, qui était également réuni à Bruxelles le 6 mars 2014, a condamné la violation de la souveraineté et de l'intégralité territoriale de l'Ukraine par la Fédération de Russie. Il a adopté une riposte graduelle contre la Russie : interruption des négociations sur l'assouplissement des visas, suspension de la participation européenne au G8 prévu en juin à Sotchi, et menaces d'interdiction de voyages et de gels d'avoirs. Le Sommet européen a reçu officiellement le nouveau Premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk et lui a promis la signature du volet politique de l'Accord d'association avec l'Union européenne avant les élections présidentielles du 25 mai 2014. De leur côté, les Etats-Unis ont décrété le gel des avoirs des responsables ukrainiens ainsi que la restriction de visas, et dénoncé le référendum prévu le 16 mars 2014 en Crimée le considérant comme «un viol de la Constitution ukrainienne et du droit international». Sur le plan militaire, ils ont déployé en Mer noire un destroyer lance-missiles ainsi que 6 avions de combat F15 pour la protection des pays baltes. Les enjeux de la crise ukrainienne sont énormes. Les Etats-Unis et l'Europe n'ont pas brandi à juste titre la menace militaire. Une confrontation militaire entre l'Occident et la Russie serait catastrophique avec l'utilisation éventuelle des armes nucléaires. Cette crise risque également de mettre à l'épreuve l'économie mondiale qui vient à peine de sortir du marasme suite aux désordres financiers de 2008. La Russie est un grand producteur de pétrole et de gaz, deux produits essentiels dont les prix risquent de flamber en cas de crise grave. Malheureusement, l'ONU est incapable d'imposer une solution, car la Russie, membre du Conseil de Sécurité, s'opposera à toute résolution contraire à ses intérêts. Aussi une solution politique peut être trouvée au sein du G20 où les pays émergents pourraient jouer un rôle constructif d'intermédiation entre l'Occident et la Russie. Ce sera l'occasion de mettre en valeur ce groupement qui a été très efficace lors du déclenchement de la crise financière mondiale de 2008. Une piste de travail consisterait à accorder une large autonomie à la Crimée sous souveraineté ukrainienne. Notre pays, le Maroc, doit suivre cette crise ukrainienne avec intérêt, car nous sommes importateurs de grandes quantités de pétrole et de céréales dont les prix risquent d'être impactés par cette crise. Jawad Kerdoudi Président de l'IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)