Le retour d'expérience avec le gouvernement El Otmani montre qu'il est aisé d'aligner des objectifs chiffrés dans la Déclaration de politique générale exposée au Parlement en début de mandat. En revanche, tenir les promesses sur les plans économique et social ainsi que sur le front des finances publiques relève d'une autre paire de manches. Il y a quelques jours, Aziz AKhannouch s'est livré au même exercice, à une exception près : il a dévoilé des objectifs chiffrés du programme gouvernemental 2021- 2026. Pour les cinq prochaines années, le nouveau gouvernement dirigé par Akhannouch promet, entre autres, un taux de croissance moyen de 4% et la création d'au moins 1 million de postes d'emploi net, couplée à l'accroissement du taux d'activité des femmes à plus de 30% (au lieu de 20% actuellement). La pondération du nouveau gouvernement en matière d'objectifs de croissance pour les cinq ans à venir obéit-elle au réalisme ou au manque d'ambition, censée être boostée par les futures politiques publiques ? Au regard de la teneur des discussions au cours d'une séance plénière à la Chambre des représentants, Akhannouch joue vraisemblablement la carte d'un réalisme qui serait mu par la pandémie toujours d'actualité au Maroc et sous d'autres cieux. Rappelons tout de même que le gouvernement El Otmani avait fait une promesse plus ambitieuse en la matière. Celle de réaliser un taux de croissance annuel moyen compris entre 4,5 et 5,5% du PIB lors de la période 2017-2021. La suite est connue. Le résultat escompté par l'ancien gouvernement en matière de croissance n'a pas été au rendez-vous.
Des doutes légitimes Interrogé sur l'objectif de croissance fixé par le gouvernement Akhannouch pour le prochain quinquennat, l'économiste et professeur Mehdi Lahlou émet des réserves. «Il est clair que le taux de croissance visé par la majorité ne permettra pas d'atteindre l'objectif ambitieux de création d'un 1 million de postes de travail sur 5 ans. Ce qui revient à générer 200.000 emplois par an», assure l'économiste. Ce dernier rappelle que chaque année, ce sont entre 250.000 et 270.000 personnes qui arrivent sur le marché du travail. Au regard de la baisse d'activité induite par la crise, le nouveau gouvernement devrait plutôt travailler afin de permettre à l'économie nationale de réaliser un taux de croissance annuel moyen plus important que l'objectif fixé. Ce qui serait un rempart contre les stigmates de la pandémie pour les années à venir. L'économiste s'interroge sur les voies qui seront investies par l'Exécutif pour réaliser ce qu'il convient d'appeler une prouesse en matière de création d'emplois. Pour rappel, un point de croissance au Maroc ne génère qu'entre 25.000 et 30.000 emplois. Et dans le même temps, l'on sait que le secteur public de son côté génère entre 15.000 et 20.000 postes de travail annuellement. Ainsi, au-delà de la question de la création d'emplois et de la réduction du taux de chômage qui sera l'un des plus gros défis du gouvernement, le fait que Aziz Akhannouch fasse l'impasse sur les données chiffrées relatives au financement des composantes-clefs du programme social de son gouvernement est tout sauf rassurant pour bon nombre d'économistes. L'omission d'objectifs chiffrés, voire d'ambitions claires en matière de finances publiques est très mal perçue par les experts. Et ce, à une période charnière en proie au creusement du déficit budgétaire et à l'inflation inquiétante de la dette publique globale. «Lorsque l'on propose autant de mesures sociales dans un programme gouvernemental, la moindre des choses est de livrer ne serait-ce que quelques pistes de financement», soutient le professeur de l'INSEA de Rabat. Notons tout de même que le PLF 2022 pourrait permettre au nouveau gouvernement de lever le mystère sur les mécanismes de financement qui seront privilégiés en 2022, voire au-delà.