L'Alliance des économistes istiqlaliens a défini les axes prioritaires pour une mise en œuvre rapide du NMD. Pour le président de l'AEI, le Maroc doit réorienter 20 à 25% de l'investissement public vers des activités directement productives.
Par Y. Seddik
Le nouveau modèle de développement (NMD) est aujourd'hui au centre des débats dans le milieu politique et celui des affaires. Les forces vives du pays affirment leur mobilisation totale pour la réussite du NMD. Pour l'Alliance des économistes Istiqlaliens (AEI), le travail accompli par la CSMD constitue un cadre pour aboutir à un «pacte national» en vue d'accélérer le développement du pays et assurer son émergence au cours des 15 prochaines années. Or, au vu de la profondeur de la crise actuelle, l'AEI considère qu'il est nécessaire de bien définir certaines priorités permettant au pays de sortir de cette phase, au plus vite. Et de lui faire saisir toutes les opportunités offertes par la reconfiguration en cours du tissu productif mondial. «Le pays est en crise comme le reste du monde. On ne peut pas envisager des choses sur 15 ans sans penser à ce qu'il faut faire dans l'immédiat», explique, pour Finances News Hebdo, Abdellatif Maâzouz, ancien ministre du Commerce extérieur et président de AEI. Partant de ce constat, «nous avons proposé quelques priorités pour les prochaines années, dont quelques-unes doivent être opérationnalisées au plus vite», indique Maâzouz. La généralisation d'un préscolaire de qualité La généralisation d'une éducation préscolaire de qualité est la première des priorités en matière d'éducation. Sa mise en œuvre doit également être portée par les régions et les collectivités territoriales. Elle doit bénéficier à tous les enfants durant les 2 années précédant le cycle primaire. Pour le président de l'AEI, «le préscolaire est un chantier urgent, important et faisable. Deux années du préscolaire conditionnent toute une vie. D'autant que nous avons les moyens humains pour initier très rapidement ce chantier». L'étude du HCP, à l'instar d'autres études internationales, a prouvé que les enfants ayant bénéficié de l'éducation préscolaire sont capables de poursuivre leurs études pour une durée moyenne de 4 années de plus que ceux qui en ont été privés. La généralisation d'un préscolaire de qualité préparera les futurs citoyens de 2035 à acquérir les compétences et les habiletés nécessaires à leur insertion sociale et leur épanouissement dans le Maroc émergent, visé par le NMD. Provoquer un «choc entrepreneurial compétitif» L'AEI considère que la libération des énergies et la création massive d'emplois passent par la réalisation d'un véritable «choc entrepreneurial compétitif». Cette inflexion nécessite un positionnement technologique clair et perçu de tous; l'investissement conséquent dans des programmes de recherche; la publication de textes juridiques simples et accessibles; des codes d'investissement et de fiscalité tenant compte des spécificités régionales et territoriales; des procédures légères et dématérialisées; un mécanisme d'accompagnement de proximité aux entrepreneurs auprès des CRI. Pour cela, l'AEI recommande de réorienter une partie substantielle de l'investissement public vers des activités directement productives. «Nous préconisons d'allouer, directement ou indirectement, 20 à 25% de l'investissement public global, soit 40 à 50 milliards de DH par an, et sur les 5 prochaines années, au développement des capacités productives du pays, notamment pour la création et le développement des TPE, des PME et des start-up, qui constituent le plus fort gisement d'emplois, dans le cadre d'écosystèmes régionaux dans notre pays», indique l'AEI. Ce financement peut prendre la forme de subventions, de prises de participations directes ou indirectes, complétées par des prêts obligataires ou bancaires garantis. L'accompagnement de ces structures à travers des véhicules tels que le Fonds Mohammed VI ou les grandes entreprises peut faire émerger et croître des écosystèmes performants, innovants et compétitifs. Notre interlocuteur ajoute que «nous avons demandé à ce qu'une partie du budget public soit réaffectée de l'infrastructure à la production immédiate. C'est-à-dire sur des choses qui peuvent immédiatement générer de la valeur. On peut se permettre le luxe de ralentir un peu les grosses infrastructures, par exemple les autoroutes, et nous concentrer sur l'entrepreneuriat. En clair, nous avons des investissements 'soft' sur les 2 ou 3 prochaines années». Promouvoir la classe moyenne L'Alliance insiste sur l'importance de réduire les inégalités sociales et spatiales qui ont atteint un niveau devenant insoutenable, notamment dans le monde rural. Il s'agit particulièrement de rétablir et de renforcer le pouvoir d'achat des classes moyennes et vulnérables. Celui-ci a été fortement érodé par une décennie de politiques ultralibérales, accentuées par la crise issue de la Covid-19, qui a basculé plus d'un million de nos concitoyens dans la pauvreté. Il s'agit particulièrement d'améliorer le revenu des ménages et de réduire la pression fiscale sur les revenus bas et intermédiaires. Il s'agit également d'accélérer la généralisation de la protection sociale globale effective; d'améliorer l'accès au logement; de réduire le coût et de renforcer la qualité des services publics tels que la santé, l'éducation et le transport, et de permettre l'accès de larges pans de la population à la culture, au sport et aux loisirs. «Il faut aussi stimuler le pouvoir d'achat de la classe moyenne à travers différents mécanismes. N'oublions pas qu'à chaque crise subie par le Maroc, c'est la demande intérieure qui a sauvé, à l'image de la crise des subprimes en 2008», commente sur ce point l'ancien ministre. Ces mesures amélioreront les conditions de vie des ménages marocains et renforceront la demande intérieure, principal moteur de croissance et de souveraineté économiques de notre pays. Enfin, et compte tenu des ressources limitées du Maroc pour les prochaines années, nous n'avons droit ni au saupoudrage, ni à la perte de temps. Il est donc nécessaire de faire des choix courageux de nos premières priorités sectorielles et territoriales. L'annonce de ces choix, et surtout leur prise en charge par la Loi des Finances 2022, donneraient plus de visibilité et plus de confiance aux opérateurs et aux citoyennes et citoyens marocains. «Le PLF 2022 doit être un premier reflet des ruptures émanant de ce travail (ndlr : NMD). En gros, ce sont des priorités qui peuvent relancer la croissance, générer de l'emploi et c'est surtout faisable avec nos moyens actuels. Nous n'avons pas à chercher de nouvelles ressources, il faut juste réaffecter nos ressources disponibles», conclut Maâzouz.