Le CESE (re)met à nu les défaillances du secteur de la santé. En l'absence de carte sanitaire qui définit les besoins humains, matériels et financiers, le secteur continuera de patauger. Il ne faut pas être un expert pour se rendre compte que la santé publique au Maroc souffre de grands dysfonctionnements, et que l'accès aux soins de base traîne de grands boulets qui en font un système inéquitable, injuste et inefficace ! Cela dit, indépendamment de la qualité du diagnostic, tout aussi important pour connaître les facteurs de blocage, seuls des experts sont à même de formuler des recommandations pertinentes pour rétablir tout un chacun dans son droit à la santé. Ce droit universel et fondamental est garanti par notre Constitution, mais sur le terrain, c'est une tout autre paire de manches ! Saisi par le Chef du gouvernement, le 28 novembre 2012, le Conseil économique, social et environnemental vient tout juste de livrer son avis relatif à l'accès équitable et généralisé aux soins de santé de base. Il était appelé à évaluer la situation actuelle de l'accès des citoyennes et citoyens aux prestations de soins de santé de base dans les milieux urbain et rural, en termes de qualité, de coût et de modalités de financement, et d'élaborer des recommandations opérationnelles. La tâche a été confiée à la Commission permanente chargée des Affaires sociales et de solidarité qui a ciblé deux régions, Al Hoceima et Souss-Massa-Drâa. Cette commission a établi un diagnostic concernant les différents aspects du système de santé de base : à savoir l'organisation de la gouvernance du réseau d'établissements de soins de santé de base (ESSB), la disponibilité et la gestion des ressources humaines dédiées ainsi que l'accès à ces soins et aux médicaments, tout en soulignant les faiblesses structurelles constatées à plusieurs niveaux. D'emblée, le rapport fait mention d'une pénurie en personnel soignant, et le peu qui existe demeure concentré dans les grandes villes. Le pays traîne un «trou» de 6.000 médecins et de 9.000 en personnel médical, selon l'estimation du ministère de la Santé. Plus grave encore, la formation du personnel soignant est devenue inadaptée. A cela s'ajoute une gouvernance très centralisée de ce secteur. C'est l'administration centrale qui décide, alloue et gère les ressources humaines, matérielles et financières. Et fait connu de tous, la corruption est quasiment banalisée dans ce secteur ! Ces éléments, à eux seuls, suffisent pour expliquer que l'accès aux soins de base est inéquitable. Néanmoins, la Commission chargée des affaires sociales et de solidarité a poussé le travail de diagnostic, multipliant les auditions et ateliers avec les différents intervenants du secteur, des autorités locales aux acteurs associatifs. Et ce sont des conclusions alarmantes que dresse cet avis, notamment les effets négatifs de l'absence d'une carte sanitaire et de schémas régionaux d'offre de soins, pourtant prévus par la Loi-cadre 34-09. Conséquence : 143 ESSB sont fermés à travers le Royaume. Aussi, le réseau d'établissements de soins de santé de base, au nombre de 2.500 dont 70% dans le monde rural, souffre-t-il de disparité rendant leur accès difficile pour près de 24% de la population. Une faible accessibilité aggravée dans les zones enclavées faute d'offre de transports ou d'évacuation sanitaire. Aussi, le rapport révèle-t-il des inégalités liées au genre, notamment à l'égard des femmes dans le monde rural dont une bonne moitié ne bénéficie d'aucun suivi médical et accouchent à domicile. D'où des taux de mortalité maternelle et infantile élevés, surtout des mamans adolescentes. Autre catégorie souffrant des inégalités, celle des migrants subsahariens, dont les besoins médicaux et psychologiques ne sont plus pris en charge avec la disparition du Certificat d'indigence au profit du Ramed dont ils sont exclus. Les SDF également et les populations vulnérables ne pouvant fournir un certificat de résidence sont exclus des services du Ramed. Quand bien même les populations franchissent ce premier seuil des ESSB, se pose alors la question d'accessibilité aux médicaments dont les prix sont anormalement élevés, selon le rapport et dont le système de stockage et de distribution est jugé inefficace et manquant de traçabilité dans le public. Aussi le rapport, présenté par le professeur Hakima Himmich et Dr Jaouad Chouaïb, souligne-t-il qu'au niveau des ESSB, les dépenses de santé sont à 53% supportées par les ménages. Le rapport met en exergue, entre autres, l'absence d'un partenariat public-privé dans le secteur de la santé, si ce n'est l'expérience du partenariat public/privé réussie de l'hémodialyse. Et le privé en fort développement s'estime exclu des réflexions sur l'élaboration et la mise en œuvre d'une Couverture médicale de base et des programmes mis en place par le ministère de la Santé. De ce fait, le CESE recommande la déclinaison d'une stratégie sectorielle de partenariat public-privé et la mise en place du cadre réglementaire et légal approprié ainsi que les mécanismes de régulation et les outils de suivi et d'évaluation. La santé, indissociable de la politique de développement humain Parmi les recommandations proposées par le Conseil, on peut retenir celle d'une politique nationale de santé ciblant en priorité les régions défavorisées, le monde rural et les populations pauvres ou vulnérables. Aussi, toute réforme de ce secteur ne saurait être réalisée sans la mise en place des stratégies intersectorielles de prévention en tenant compte de la transversalité de la prévention des maladies non transmissibles, des déficiences et du handicap. Le CESE appelle à la mise en œuvre de la politique nationale du médicament en impliquant tous les acteurs. Formation, motivation du personnel médical, lutte contre la corruption, développement des capacités de financement des soins de santé de base en intégrant leur financement au dispositif de la couverture médicale de base... Autant de recommandations qui ne sauraient porter leurs effets sans rendre effective la Loi cadre 34-09 relative au système de santé et à l'offre de soins en définissant la carte sanitaire nationale et les schémas régionaux d'offre de soins. Sans ce tableau de bord, le secteur continuera à naviguer dans le flou. Présent lors de cette rencontre, le président du CESE a assuré que cet avis, adopté à l'unanimité par l'assemblée générale du Conseil, lors de sa 31ème session tenue le 26 septembre 2013, a été bien envoyé au Chef du gouvernement. La question est : que va-t-il en faire ? Car s'il est bien de se concerter et de compiler les avis sur le ton à donner à la réforme de la santé publique, il n'en demeure pas moins qu'il est encore meilleur d'entamer des actions concrètes...