En quelques jours, le Maroc a pris deux décisions fortes : l'utilisation de la ligne de précaution et de liquidité et le déplafonnement de l'endettement extérieur. Les autorités font tout pour préserver des réserves en devises sous très haute pression actuellement. Mais la fin justifie-t-elle les moyens ?
Par D. William
Le coronavirus a mis à genoux l'économie mondiale. Partout, les gouvernements ont fait une entorse à la rigueur budgétaire dans une tentative de sauver leurs économies. Le Maroc, comme tous les autres pays touchés par la pandémie, s'est plié à cet exercice, utilisant tous les mécanismes à sa disposition pour soutenir une activité économique fortement chahutée. C'est dans ce cadre d'ailleurs que le Royaume a fait le choix, le 7 avril courant, de tirer un montant de 3 milliards de dollars sur la ligne de précaution et de liquidité (LPL), remboursable sur une période de 5 ans, avec une période de grâce de 3 ans. Malgré les assurances données par le ministre de l'Economie, des Finances et de la Réforme de l'Administration, Mohamed Benchaâboun, sur l'impact de l'endettement du Maroc, cette opération laisse perplexes certains observateurs. Etait-elle hâtive ? C'est ce que pense l'économiste Driss Effina, qui juge cette décision du gouvernement marocain «prématurée, ce qui va lui engendrer des coûts additionnels dans ce contexte difficile». Il avance comme arguments le fait que l'encours des réserves internationales nettes du Maroc se situe au 3 avril à 255 milliards de DH, hors LPL, «dans un contexte caractérisé par une réduction de la demande, avec comme conséquence moins d'importations et d'exportations ». A cela, s'ajoutent une conjoncture internationale marquée par une baisse des prix du pétrole (31 USD le baril), entraînant moins de pression sur la facture des importations énergétiques, mais également le fonctionnement au ralenti de plusieurs activités industrielles. Ces dernières ont ainsi besoin de moins de produits semi-finis, ce qui va aussi soulager considérablement les importations. Sauf que, parallèlement, certains indicateurs vont être rudement impactés, comme notamment les principaux pourvoyeurs de devises pour le Royaume, à savoir le tourisme, les investissements directs étrangers et les transferts des Marocains résidant à l'étranger. D'ailleurs, l'étude que vient de publier CDG Capital estime que «sur la base d'une hypothèse de recul de 50% du solde voyage, de 30% des transferts des MRE, ainsi qu'une baisse similaire à celle de 2019 des IDE, soit -42 %, le flux net global émanant de ces trois sources devrait reculer de 54,5 milliards de DH à 87,3 Mds de DH estimés pour l'année 2020». Pour autant, même si Effina reconnaît que les recettes touristiques et les transferts des MRE vont diminuer, il estime néanmoins que «la pression sur le solde courant, en tenant compte des éléments précédemment cités, va être moins importante que nous pouvons le croire». Raison pour laquelle il soutient que «la décision de recourir à la LPL a été prématurée», précisant que «ce qui s'impose aujourd'hui, c'est de bien gérer les importations en fixant une liste noire de produits et services à ne pas importer pour protéger les réserves en devises du pays». Pour sa part, l'économiste Najib Akesbi est d'un tout autre avis. Il estime, d'emblée, que l'utilisation de la LPL était «la moindre des choses», d'autant que le Maroc y a souscrit depuis presque 8 ans. Rappelons, en effet, que le Royaume a signé 4 lignes de précaution et de liquidité avec le FMI. Le premier accord LPL en faveur du Royaume, d'un montant de 4,1 milliards de DTS (environ 6,2 milliards de dollars au moment où il a été approuvé), a été approuvé le 3 août 2012. Le deuxième, d'un montant de 3,2 milliards de DTS (environ 5 milliards de dollars au moment où il a été approuvé), a été approuvé le 28 juillet 2014. Le troisième, d'un montant de 2,5 milliards de DTS (environ 3,5 milliards de dollars au moment où il a été approuvé), le 22 juillet 2016, tandis que le 4ème a été approuvé le 17 décembre 2018, pour un montant de 2,1 milliards de DTS (environ 2,97 milliards de dollars). Et depuis tout ce temps, «le Maroc a payé pour cette LPL sans l'utiliser», martèle Akesbi, qui estime qu'«elle a coûté jusqu'en 2018 au moins 750 millions de dollars». Aujourd'hui, le Royaume a certes fait un tirage sur la LPL, «mais à quel coût et à quelles conditions» ?, s'interroge-t-il. «Si ce que nous payons depuis 8 ans est une assurance contre les chocs extrêmes, maintenant que nous l'utilisons, le crédit doit être gratuit», ajoute-t-il. «Si le Maroc paye au taux du marché, ce serait scandaleux parce que cela voudrait dire que pendant 8 ans, nous avons dépensé pour rien; si c'est moins que le marché, c'est donc une formule trompeuse et l'on peut comprendre que les responsables restent muets sur le sujet», analyse Akesbi. Et même si l'argentier du Royaume assure que le produit du tirage sur la LPL ne doit pas être considéré comme une dette du Trésor, Akesbi pense, lui, que «cela reste une dette, le FMI ne faisant pas de dons». «C'est un endettement pas comme les autres puisque nous en payons le coût depuis 8 ans, et qui va s'ajouter à la dette du Maroc», conclut-il. ◆
Les réserves en danger Les réserves du pays sont sous haute tension. Actuellement, la hantise des autorités marocaines est de renflouer le stock de devises, dans un contexte où les réserves ont pris un sacré coup. «Tous les canaux qui alimentent nos réserves sont en train de s'épuiser (exportations, tourisme, IDE, MRE)», constate Akesbi, notant que «nous avons besoin d'endettement extérieur parce que nous avons un besoin urgent de devises». C'est pourquoi le Maroc a utilisé la LPL, dont le produit du tirage va être affecté à Bank Al-Maghrib, et a décidé de déplafonner l'endettement extérieur. «Ce n'est pas un choix, mais plutôt une nécessité face aux contraintes auxquelles nous faisons face», précise-t-il, et ce eu égard notamment à l'élargissement de la bande de fluctuation du Dirham, dans le cadre de la seconde phase de la réforme du régime des changes, et à la crise économique provoquée par le coronavirus. «Les réserves en devises sont réellement en danger», renchérit-il. Or, pour pouvoir défendre valablement la parité du Dirham, d'une part, et importer des produits de première nécessité, d'autre part, il faut de la devise. «Il faut en avoir suffisamment, sinon c'est la catastrophe», alerte Akesbi.