C'est la première fois que le Maroc utilise la Ligne de précaution et de liquidité (LPL). Il s'agit d'un dispositif auquel il souscrit depuis 2012. Après avoir contracté un prêt de 275 millions de dollars auprès de la Banque mondiale, le Maroc a sollicité le FMI un tirage sur la LPL pour un montant de 3 milliards de dollars. L'opération sera remboursable sur 5 ans avec un sursis de 3 ans. Rappelons qu'un premier accord entre le Maroc et le FMI a été conclu en 2012, sous le gouvernement pjdiste Benkirane, et renouvelé pour la 3ème fois en décembre 2018, sous El Othmani. Et ce, pour une période de deux ans, de sorte à y recourir en tant qu'assurance contre les chocs extrêmes. Il s'agit du quatrième accord en six ans, le premier en août 2012 de 6,2 milliards de dollars, le deuxième de 5 milliards de dirhams en juillet 2014 et le troisième de 3,5 milliards en juillet 2016. Selon un communiqué du ministère des Finances et de Bank Al-Maghrib, ces 3 milliards de dollars ne seront pas comptabilisés dans la dette publique. Ils seront portés au bilan de Bank Al-Maghrib. Toutefois, selon Najib Akesbi, économiste et professeur de l'enseignement supérieur, il s'agit d'une dette qui s'ajoute à l'endettement puisqu'il ne s'agit pas d'un don du FMI. « Certes, ce montant va être utilisé afin d'atténuer les déficits de la balance des paiements. Mais il n'en demeure pas moins que l'origine est la dette qui va automatiquement s'ajouter à l'endettement public qui dépasse 85% du PIB. Et ce, sans compter la partie de la dette qui n'est pas comptabilisée, à savoir la TVA, les marchés publics qui ne sont pas honorés, la dette privée qui est payée à l'étranger en devises, entre autres », a-t-il indiqué dans une déclaration à Barlamane.com/fr. La pandémie du covid-19, d'une ampleur sans précédent, laisse présager une récession économique mondiale bien plus profonde que celle de 2009. Et l'économie nationale sera en conséquence impactée. L'économiste explique que le contexte économique national est aujourd'hui marqué par le repli de la demande étrangère adressée au Maroc surtout avec la chute de la production des secteurs de l'automobile, du textile et des industries électriques. De plus, les principales rentrées de devises pour le Maroc sont globalement : les exportations automobiles, agricoles et agroalimentaires, de phosphates et dérivés, de textile, les recettes touristiques, les transferts des MRE, les IDE. Tous ces secteurs ont été fortement touchés par le contexte national et international. Ces rubriques seront en stand-by tant que la crise épidémique durera. C'est un coup dur pour l'économie du Maroc. « Je pense que le fait que Maroc en arrive à faire un tirage, auquel il avait droit depuis 7 ans, est dans l'ordre des choses et la moindre des choses », précise-t-il. Selon Najib Akesbi, la LPL est une dette pour laquelle le Maroc paye depuis 7 ans sans en tirer d'avantages. Par conséquent, le coût de cet endettement devrait être autrement plus faible que les conditions du marché. « Si le coût n'est pas faible par rapport aux conditions du marché, ce sera un scandale ! Et le fait qu'on ne communique pas le taux est inquiétant. De plus, il ne faut pas faire l'amalgame entre l'origine et l'utilisation. L'origine est la dette et l'utilisation n'est autre qu'atténuer les déficits de la balance des paiements. Le gouvernement joue sur les mots et mise sur l'amalgame et la désinformation. Il s'agit d'une dette qui va s'ajouter à l'endettement : c'est un fait », déplore-t-il. Pour l'économiste, le vrai problème qui se pose actuellement est lié à la flexibilité du dirham. « Les 3 milliards sont une sorte de mouvement de panique. Et pour le moment, toutes les sources de devises, à savoir le commerce extérieur, le tourisme, les transferts des MRE et les IDE s'effondrent. De plus, les principaux partenaires de ce commerce [NDLR : l'Espagne, la France et l'Italie] sont gravement touchés par la pandémie. La défense du dirham dans les marchés sera dorénavant problématique. Et si on ne dispose pas suffisamment de réserves de change, on ne sera pas en mesure de défendre la parité du dirham qu'on espère », explique-t-il. Rappelons que le Wali de la Banque centrale a indiqué, en septembre 2019, que les opérateurs économiques ne sont pas tout à fait prêts pour la transition. Il avait réitéré sa volonté de s'assurer que tous les pré-requis nécessaires à une transition indolore soient en place, avant de se lancer dans l'aventure. Cependant, le Maroc a entamé la deuxième phase de la flexibilité des changes le 9 mars, après la visite de la DG du FMI au Royaume, en élargissant la bande de fluctuation du dirham, de +ou- 2,5% à +ou- 5%. Selon BAM, la situation des paiements extérieurs n'est pas jugée inquiétante pour l'instant. Au 27 mars, les réserves de change à près de 25 milliards de dollars, équivalaient à 5 mois et 8 jours d'importations. Toutefois, ce montant peut s'évaporer en un clin d'oeil puisqu'il faut en déduire les dettes, les services de la dette, entre autres. Ainsi, la Banque centrale marocaine ne dispose pas en vrai de toute la somme indiquée. « Nous avons au moins deux gros paquets d'importation qui sont incontournables puisque le Maroc dépend structurellement de l'énergie et de l'alimentation. Il nous est impossible dans le contexte actuel, marqué par la sécheresse, de ne pas importer l'énergie et l'alimentation. Par conséquent, BAM ne dispose pas actuellement de grandes réserves de change pour défendre le dirham en remontant son cours. Résultat : il se peut que le Maroc se retrouve avec une dévaluation du dirham. Il faut donc repenser notre politique d'importation », conclut-il. Rappelons que pour faire passer ce tirage, Mohamed Benchaâboun, ministre des Finances, a fait passer en urgence un projet de décret-loi n°2.20.320. Ce projet de loi consiste à autoriser le gouvernement à dépasser le plafond des emprunts extérieurs prévu dans la loi de Finances 2020, fixé à 31 MMDH. Et ce, pour faire face au choc attendu sur la balance des paiements et les réserves en devises suite à la crise du coronavirus.