Face à un secteur public peu attractif, la généralisation de l'AMO profite plus au privé avec tous les déséquilibres qui en résultent. Les défis restent nombreux au moment où le gouvernement tente de se rattraper. Décryptage. Le temps presse. Le gouvernement s'attaque désormais à la réforme du système de santé, dont l'urgence se fait sentir aujourd'hui plus que jamais. Mercredi, le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch,, a réuni l'ensemble des acteurs concernés, dont le ministre de la Santé, Amine Tahraoui, la ministre de l'Economie et des Finances, Nadia Fettah Alaoui, et le directeur général de la CNSS, Hassan Boubrik, pour faire le point sur l'état d'avancement de ce chantier. L'accent a été mis sur les Groupements Territoriaux de la Santé qui seront bientôt expérimentés dans une phase pilote, selon le communiqué publié à l'issue de la réunion. Très attendus, les Groupements Territoriaux de la Santé (GTS) sont l'une des pierres angulaires du nouveau système de santé publique que le Maroc s'empresse de construire. Ils sont destinés à renforcer l'offre de soins dans les douze régions de sorte à ce qu'ils remplacent les CHU. L'idée est simple : chaque citoyen peut se déplacer vers le GST de sa région au lieu d'aller se faire soigner dans les grandes métropoles comme Rabat, Casablanca ou Tanger.
Nous sommes en retard ! Aujourd'hui, on en est encore loin. "Il est temps d'accélérer la cadence, surtout que les Groupements Territoriaux de la Santé sont indispensables à la gouvernance hospitalière", plaide Allal Amraoui, président du groupe de l'Istiqlal à la Chambre des Représentants, qui déplore le retard qu'accuse la réforme du système à tous les niveaux. En plus de l'infrastructure hospitalière, le député affirme que la réforme n'avance pas aussi rapidement qu'espéré en ce qui concerne les ressources humaines. Allusion faite à la Fonction publique de Santé et au problème de la formation qui n'a pas encore été définitivement résolu. Bien que promulguée, la loi sur la Fonction publique sanitaire dépend encore des textes d'application qui n'ont pas encore vu le jour, étant donné la complexité du dialogue entre le ministère de tutelle et le personnel hospitalier qui ne sont pas encore parvenus à un accord définitif sur leur statut. Le compromis du 26 janvier 2025 a laissé entrevoir une lueur d'espoir au moment où les médecins du public continuent leur fronde, bien qu'il y ait un feu vert de principe sur la majeure partie de leurs revendications.
AMO : Des avancées inachevées ! Le gouvernement s'empresse d'accélérer le redressement du secteur public, pour faire face aux besoins énormes des nouveaux adhérents de l'AMO. La Sécurité sociale universelle au sens propre du terme est encore inachevée. Le gouvernement en a fait une priorité depuis son arrivée aux commandes en 2021. Généralisation de l'AMO, aides sociales directes, l'Exécutif a multiplié depuis 2022 les décrets pour respecter le deadline fixé par la loi cadre et octroyer le plus vite possible l'assurance maladie obligatoire à 22 millions de Marocains. Jusqu'à présent, le taux de couverture a largement augmenté par rapport à 2020 pour se situer aujourd'hui à 86%, mais nous ne sommes pas encore parvenus à l'objectif initial. 14,5 millions d'assurés supplémentaires ont été immatriculés à l'AMO depuis 2022, dont 11,2 millions de personnes démunies et leurs ayants-droit ont été inscrits au régime "AMO Tadamon" qui a remplacé le RAMED. En parallèle, 3,7 millions de travailleurs non-salariés et leurs ayants-droit ont été intégrés en vertu de 22 décrets adoptés depuis 2022. Les chiffres du Conseil Economique, Social et Environnemental parlent d'eux-mêmes. 8,5 millions de Marocains sont dépourvus d'assurance maladie. Il y en a 5 millions qui ne sont pas inscrits, bien qu'ils soient en capacité de cotiser, tandis que 3,5 millions n'ont pas accès à l'AMO même s'ils sont inscrits à cause de «la fermeture de leurs droits».
Le scoring pose problème ! Là, le système d'éligibilité pose problème bien que le Registre Social Unifié (RSU) soit conçu justement pour perfectionner le ciblage. On revient donc au débat sur le mécanisme de scoring qui définit si telle personne est éligible en fonction du fameux indice qui se base sur les dépenses plutôt que sur le revenu. Contesté à de nombreuses reprises, ce système est parfois jugé pénalisant. "Ce mécanisme doit être perfectionné", appelle Allal Amraoui, qui juge qu'il faut accélérer la cadence des immatriculations en poussant les gens en état de cotiser à s'inscrire, quitte à utiliser tous les moyens de sensibilisation, y compris des campagnes nationales de grande envergure. "Il faut ancrer davantage la culture de l'assurance maladie qui manque terriblement", plaide le député. Rappelons que le nouveau système est adapté à catégorie sociale. L'Etat paye les cotisations des personnes démunies tandis que les travailleurs non-salariés cotisent à travers une contribution professionnelle. Pour le reste, les personnes sans profession mais en mesure de s'acquitter de leurs cotisations ont accès à l'AMO Achamil qui est mis à leur disposition. Toutefois, il y a encore du chemin à parcourir.
Afflux vers le privé : Le risque invisible ! Actuellement, les dépenses de l'AMO vont plus vers le secteur privé qui en récoltent les fruits, comme l'a souligné, mercredi, le président du CESE, Ahmed Réda Chami, lors de son discours pendant le forum parlementaire sur la couverture sociale. "C'est la conséquence naturelle de l'insuffisance de l'offre de santé dans les hôpitaux publics", regrette Allal Amraoui. "Cette situation risque de perdurer tant que les hôpitaux publics restent peu attractifs", rappelle-t-il, mettant en garde contre le risque que les caisses de sécurité sociale deviennent des pompes aspirantes. Notre interlocuteur juge que cette situation est préjudiciable aux équilibres financiers des caisses de prévoyance sociale puisque, explique-t-il, tant que les dépenses de remboursement des prestations dans le secteur privé sont plus chères que celles dans le secteur public. En effet, il est beaucoup moins cher de se faire soigner dans un hôpital public. Selon le CESE, un dossier remboursé dans un établissement privé coûte généralement cinq fois plus cher qu'au public. Face aux parlementaires, le président du CESE, Ahmed Réda Chami, a rappelé que les dépenses vont plus vers les cliniques privées. Cette question ne se pose pas encore vu que la CNSS dégage des excédents, surtout sur la partie salariée. Mais le reste des régimes, notamment celui des travailleurs non-salariés, enregistrent des déficits. Idem pour le régime des fonctionnaires. Pour l'instant, le gouvernement laisse cette question des équilibres financiers en suspens, en attendant la fusion entre la CNSS et la CNOPS qui suscite une forte opposition syndicale.
En quête d'une TNR tant attendue En gros, la ruée vers le privé est d'autant plus pénalisante, aux yeux de M. Amraoui, qu'elle condamne les ménages à supporter plus une part plus importante dans les dépenses."Nous sommes à plus de 50% aujourd'hui alors que nous devrions atteindre 25% pour se conformer aux standards de l'OMS", rappelle Allal Amraoui. Ceci contraint évidemment de nombreux patients à abandonner des soins faute de moyens. La situation risque de durer tant qu'on n'a pas tranché la Tarification Nationale de Référence (TNR) qui n'a pas encore été revue au moment où les prix des médicaments restent élevés par rapport aux marchés internationaux. Autant de défis qui nécessitent des solutions structurelles.
Anass MACHLOUKH Trois questions à Allal Amraoui : "Le secteur public peine à être compétitif face au privé" * Etes-vous satisfait des avancées de la généralisation de la couverture sociale jusqu'à aujourd'hui ?
La généralisation de la couverture sociale est un choix irréversible pour le Maroc. Il faut reconnaître que le gouvernement en a fait la priorité de son mandat. Concernant le bilan, force est de constater que nous n'en sommes qu'au début. L'AMO Tadamon est incontestablement une réussite, mais il n'en demeure pas moins qu'une partie importante de la population reste encore non-couverte. Le CESE parle de 8 millions de personnes, dont celles qui ne sont pas inscrites ou celles dont les droits aux prestations sont fermés. C'est un vrai défi, il est inconcevable qu'autant de nos concitoyens soient dépourvus de l'assurance maladie alors que tout a été fait pour inclure tout l'ensemble des Marocains. Nous avons besoin plus que jamais de sensibiliser à l'importance de la couverture médicale et de persuader les gens de s'inscrire à travers des campagnes nationales. C'est indispensable d'autant plus qu'il faut promouvoir la culture de la couverture sociale. Cela incombe autant aux politiques qu'à la société civile.
* Le secteur privé devient une destination privilégiée face au marasme du secteur public. Quelle conclusion en tirez-vous et, si nous continuons sur cette lancée, y a -t-il un risque sur l'équilibre du système ? N'oublions pas que le recours excessif au secteur privé va peser lourdement sur l'équilibre des caisses de prévoyance sociale et empêche de réduire la part des dépenses supportées par les ménages. Nous sommes à plus de 50% aujourd'hui alors que nous devrions atteindre 25% pour nous conformer aux standards de l'OMS. Les dépenses de l'AMO seraient beaucoup plus équilibrées si les hôpitaux publics étaient plus performants. Outre cela, nous ne disposons pas de système d'information intégré qui, avec le mécanisme du médecin référent, permet de réduire et les dépenses inutiles et, par conséquent, la surconsommation. Donc, il est impératif de mettre en place une filière de soins passant obligatoirement par un médecin référent.
* Les prix des médicaments posent eux aussi problème, la révision de la Tarification nationale de référence peut-elle permettre de soulager les dépenses à votre avis ? Le coût des médicaments est un réel problème, les différentes phases de réduction de quelques centaines de produits n'ont pas eu d'impact réel. Le problème est sûrement ailleurs. La Tarification nationale de référence devant être revue, elle reste risquée en absence d'équilibre de nos caisses déjà sous pression. En tout cas, il faut que le secteur public soit redressé le plus vite possible pour que le système de sécurité sociale puisse fonctionner correctement.
Recueillis par A. MACHLOUKH Infrastructure hospitalière : Le gouvernement fait la course contre la montre La rencontre du Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, avec l'ensemble des acteurs concernés par la Santé publique a permis également d'examiner la progression du programme de réhabilitation des centres de santé primaires, selon un communiqué de la primature. A cette occasion, un bilan d'étape a été présenté en ce qui concerne la construction d'hôpitaux universitaires, régionaux et provinciaux, dont 64 projets sont en cours. Sur ce point, 934 de ces centres ont été réhabilités jusqu'à présent dans la perspective d'atteindre un total de 1.439 structures du genre, indique la même source. La réunion s'est aussi arrêtée sur la mise en œuvre du programme relatif à la création de groupements territoriaux de santé, dont le lancement sera donné dans l'une des régions du Royaume en tant que phase pilote. Aziz Akhannouch a souligné, lors de cette réunion, que la réforme structurelle du système de santé entreprise par le gouvernement selon une approche sérieuse et responsable, en application des Hautes Directives Royales, ne se limite pas uniquement aux mesures liées aux ressources matérielles et humaines, étant donné qu'il s'agit aussi de relever les différents défis relatifs à la gouvernance administrative et institutionnelle. Le Chef du gouvernement s'est félicité des progrès réalisés dans la mise en œuvre des différents programmes liés à la réforme du système national de santé, appelant les secteurs concernés à redoubler d'effort et à poursuivre l'accélération de la réalisation de l'ensemble des axes de cette réforme, afin de garantir la réussite de ce chantier, conformément aux Hautes Instructions Royales.